Virginie Maillard (Renault) "Nous ne croyons pas à la fin du véhicule personnel"
A l'occasion du salon automobile de Genève, la vice-présidente Innovation, recherche et stratégie de Renault fait le point sur le développement de véhicules autonomes et de nouveaux services de mobilité.
JDN. Vous présentez aujourd'hui au salon de Genève EZ-GO, un concept car partagé et autonome. Où en sont vos efforts pour concevoir de véritables véhicules autonomes ?
Virginie Maillard. Nous testons deux familles de véhicules autonomes de niveau 4 (le conducteur n'a pas besoin de garder un œil sur la route ni les mains sur le volant, mais peut-être appelé à reprendre le volant, ndlr) qui auront des clients différents. Il y a d'abord le véhicule autonome personnel, équipé de systèmes d'assistance à la conduite (ADAS), que nous testons sur plusieurs autoroutes en France.
La deuxième famille est celle de l'environnement urbain. La vitesse y est réduite mais il pose de nouveaux défis comme la présence de piétons et de cyclistes ou la détection de feux. Il s'agit là de flottes de robo-véhicules partagés gérés par des opérateurs de transport et qui résolvent des problématiques de dernier kilomètre. Ce sont des objets différents des voitures personnelles autonomes. Le niveau d'autonomie du véhicule, et donc la complexité de sa conception, sont extrêmes car il n'y aura à terme plus de chauffeur pour reprendre la main en cas de problème.
Où en êtes-vous de vos tests ?
Nous avons signé un partenariat de collaboration avec l'opérateur de transport Transdev l'année dernière grâce auquel nous menons des tests sur le plateau de Saclay et à Rouen avec nos Renault Zoé. Si Saclay est sur route-semi ouverte, Rouen est le premier test en environnement urbain dans lequel nous sortons sur routes ouvertes de façon aussi visible. Nos véhicules autonomes réalisent trois boucles qui passent par des campus, des zones commerciales et industrielles. Nous ouvrirons le service en juin aux passagers. Une fois que la loi le permettra et que nous serons prêts, nous n'aurons plus de chauffeur derrière le volant.
A Rouen, les usagers pourront commander à la demande leurs véhicules via une application, mais devront quand même les rejoindre à une station. Pourquoi avoir choisi cet hybride entre VTC et ligne de transport en commun ?
Pour ne pas perturber l'organisation urbaine telle qu'elle existe aujourd'hui, nous pressentons qu'il y aura des stations de monte et de descente pour les robo-véhicules. Cela permet une plus grande sécurité et évite d'impacter le reste du trafic.
Que vous reste-t-il à apprendre à travers ces différents tests ?
Pour que la mobilité s'intègre à la smart city, une infrastructure intelligente est nécessaire. Nous allons notamment expérimenter les feux rouges connectés, les systèmes de communication V2X (vehicle to anything, ndlr) ou encore les ronds-points connectés équipés de lidar et de caméras pour donner au véhicule une perception étendue. Nous devons aussi nous doter de capacités de supervision de flotte. Dans notre vision de la mobilité, les flottes de véhicules autonomes seront similaires à celles des bus : on pourra suivre leurs déplacements depuis un centre de contrôle. Nous travaillons donc sur cette brique technologique de surveillance à distance et sur tous les imprévus qui nécessitent que le centre de contrôle explique au véhicule comment gérer la situation.
En développant des véhicules autonomes et de nouveaux services de mobilité, Renault n'est-il pas en train de préparer la cannibalisation de ses propres ventes de voitures ?
Nous ne croyons pas à la fin du véhicule personnel, c'est une vision extrême. Renault pense conserver son marché. Il s'agit de nouveaux services de mobilités qui répondent à de nouveaux besoins et pour de nouveaux usagers. La mobilité autonome est un complément du transport public, par exemple sur les horaires creux, ou les quartiers mal desservis.
Vous avez annoncé en janvier, au niveau de l'alliance avec Nissan et Mitsubishi, la création du fonds d'investissement Alliance Ventures, doté d'un milliard de dollars sur cinq ans. Comment cet investissement s'intègre-t-il à votre stratégie dans les mobilités ?
Il s'intègre à notre philosophie d'open innovation. Nous voulons entrer au capital ou racheter des start-up qui possèdent des briques technologiques intéressantes que nous ne pouvons développer nous-mêmes. Nous ne nous restreignons pas à l'automobile pure : nous sommes intéressés par toutes les sociétés qui nous aideront à créer un véhicule autonome, connecté et électrique. Nous avons par exemple investi dans la jeune pousse de vision par ordinateur Chronocam (devenue Prophesee en février 2018, ndlr). Ou la start-up Yuso, propriétaire du VTC Marcel, que nous avons rachetée en septembre dernier. Elle apporte le cœur technologique de nos systèmes de dispatch de véhicules. L'objectif est de bénéficier de ces apports extérieurs, de les digérer pour ensuite les intégrer à nos systèmes.