Les assureurs en retard dans la course aux boitiers connectés

La perspective de la voiture autonome chargée de capteurs suscite les convoitises des opérateurs d'assurance. Cette nouvelle technologie permettrait de mieux maitriser le risque, la collecte des données étant probablement la clé de l'assurance automobile de demain.

L’autonomie partielle ou totale des futurs voitures imposera aux assureurs de repenser leurs offres et rendra indispensable la mise en place de "boites noires". Ces dernières permettont le recueil des données afin d’établir les causes et les responsabilités d’un sinistre. Pourtant, les initiatives des assureurs en matière de télématique restent très rares à ce stade.

Les constructeurs automobiles proposent de plus en plus de systèmes embarqués enregistrant les données d’utilisation du véhicule. Renault assurances utilise le système multimédia intégré dans la Zoe pour recueillir les données nécessaires à la réévaluation de la prime. Les applications mobiles des conducteurs, notamment de géolocalisation, collectent des données sur la conduite. Ainsi, plusieurs solutions très performantes de gestion de flotte permettent de suivre les indicateurs clés (kilométrage, géolocalisation, type de conduite…). 

Il existe actuellement une dizaine d’offres sur le marché de l’assurance proposant une couverture conditionnée à la mise en place d’un boitier connecté suivant le kilométrage ou le comportement du conducteur. Mais ces offres peinent à décoller.

Les offres connectées n’ont pas trouvé leur public en France

Des offres "test" ont été abandonnées ou mises de côté (ex : Amaguiz avec Road Coach). Seuls quelques "pure player" du web et Insurtech (Direct Assurance, Wilov…) continuent à mettre en avant leurs offres connectées.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cet attentisme (problèmes techniques, frilosité des clients…) mais une raison semble dominer : le business model n’a pas encore été trouvé. Les clients semblent prêts à partager leurs données en contrepartie d’une baisse significative de leurs primes ou de services additionnels mais les assureurs ne réussissent pas à créer suffisamment de valeur pour compenser ce manque à gagner. D’une part, le lien entre la conduite « responsable » favorisée par le boitier et la baisse de la sinistralité n’est pas avéré. Et d’autre part, les assureurs n’ont pas encore identifié la solution pour monétiser les données recueillies grâce à ces offres.

A l’inverse, les offres connectées progressent rapidement dans d’autres pays comme l’Italie, où elles semblent même devenir la norme. Cette différence peut s’expliquer par des tarifs d’assurance auto classiques bien plus élevés qu’en France (407 euros par an en Italie vs 172 euros par an en France en moyenne).

Pour aller plus loin, l’arrivée brutale de la Covid-19, des confinements successifs, de la généralisation du télétravail et de la prise en compte d’une consommation plus vertueuse pourrait changer la donne des assurances auto.

Le véhicule connecté doit aussi répondre à un défi juridique

Le pack de conformité publié par la CNIL définit le cadre juridique pour les professionnels de l'assurance et de l'automobile au regard de la protection des données personnelles. Construit autour de 3 scénarii, il cartographie les principales actions à mettre en œuvre pour s'aligner avec le RGPD et la loi Informatique et Libertés. 

Le texte propose une interprétation concrète de la réglementation sur l’utilisation des données personnelles, notamment concernant l'utilisation des boitiers télématiques. La CNIL considère par exemple que la collecte des données de géolocalisation – particulièrement révélatrices des habitudes de vie – n'est pas justifiée dans le cadre de services PHYD pour respecter le principe de proportionnalité des données car les données de l'accéléromètre et du gyromètre sont jugées suffisantes. Si la collecte et l’utilisation de données via des boitiers télématiques est permise par la réglementation, il est vivement recommandé de concentrer les opérations de traitement des données personnelles en local dans les boitiers pour ne communiquant que des scores. Cela limite les flux de données personnelles, réduisant à la fois les risques de pertes ou vol de données, mais aussi la lourdeur du stockage pour les assureurs. Globalement, la CNIL insiste sur deux principes fondamentaux du RGPD : la responsabilité qui incombe à tout acteur intervenant dans un processus de traitement de données et l'obligation de sécuriser les données à chaque étape du processus.

Tout traitement de données susceptible d'engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes concernées doit faire l'objet d'une analyse d'impact relative à la protection des données (AIPD). Le non-respect de cette disposition peut faire l'objet d'amendes pouvant s'élever jusqu'à 10 000 000 euros, ou 2% du CA annuel (art. 83(4)(a)).  

Le véhicule autonome va-t-il bousculer le secteur de l’assurance ?

Du côté des constructeurs, la course aux voitures autonomes s’accélère, souvent impulsée par une volonté politique forte.

PSA, Navya, Bosch, Apple, Huyndai et de nombreuses start-ups se positionnent plus ou moins activement sur le marché. De nombreuses expérimentations sont réalisées en Corée du Sud, aux USA, en Chine, en Russie, en Allemagne et en France où plus de la moitié des expérimentations concernent les transports publics. La RATP via le projet Paris2Connect se prépare à faire circuler des véhicules autonomes reliant la Gare de Lyon, Bercy et Austerlitz.

Face à ces expérimentations, le cadre juridique définissant la responsabilité en cas d’accident impliquant un véhicule autonome devra être adapté. A ce jour, la justice française n'a pas eu à se prononcer sur ce sujet mais plusieurs accidents impliquant un véhicule autonome ont été recensés aux Etats-Unis. Le dernier date du 17 avril 2021, impliquant une voiture Tesla en autopilote sans conducteur. Les décisions à venir préciseront le cadre dans lequel les assureurs devront se positionner pour déterminer les causes et les responsabilités lors d’un sinistre.

L'avènement des véhicules autonomes pourrait donc avoir un impact significatif sur les assureurs alors qu’ils ne sont pas en pole position dans la course à la collecte des données utiles en cas de sinistre.

Si les assureurs ne recueillent pas les données eux-mêmes, ils seront contraints de les acheter auprès d'autres opérateurs et deviendront ainsi dépendants pour liquider les sinistres voire effectuer leur propre tarification. Ce lien ne sera probablement pas neutre sur les prix et répercuté sur le montant des cotisations.

Par ailleurs, l’assureur sera privé d’opportunités de contact avec son client : la déclaration d’un sinistre par exemple pourra être effectuée directement par le constructeur automobile, informé en temps réel de l’incident, qui transmettra tous les détails permettant de calculer l’indemnisation.

Investir massivement pour conserver sa place dans un monde connecté

Les assureurs devraient d’ores et déjà habituer leurs clients aux boitiers de collecte de données en lançant davantage d’offres connectées sur le marché français.

Plusieurs types de boitiers doivent être proposés pour lever les freins des consommateurs. Pour convaincre, il faut adapter l’offre au niveau de surveillance toléré par les utilisateurs : suivi du kilométrage ou boitier intelligent captant le type de conduite ? Boitier conditionnant le montant de la prime ou simple boitier "conseil" sans impact sur le montant des cotisations ? Les boitiers doivent être adaptés au seuil d’acceptation du niveau de contrôle de l’utilisateur, ce qui permettra sans doute de réduire la défiance naturelle des assurés envers les assureurs.

Enfin, les opérateurs d’assurance doivent aller au-delà de l’argument tarifaire en proposant des services originaux et ludiques pour séduire leurs assurés : prévention, géolocalisation en cas de vol, suivi de l’entretien de la voiture… Pour cela, la mise en place de partenariats valorisant une application ou un boitier proposant déjà des services plébiscités, serait sans doute une solution pragmatique et efficace.

Par Benoit Grué (Associé), Raphaëlle Nag Brulet (Manager) et Charlène Sessegolo (Consultante) pour Colombus Consulting