Pourquoi le marché de la voiture de collection explose
Les prix des véhicules anciens ont grimpé de 400% en dix ans. La passion s'est transformée en investissement.
Les vieux volants ne sont pas uniquement de magnifiques objets profilés qui viennent titiller notre fibre nostalgique, peuplée d'un univers de bruit et de fureur, baignant dans les vapeurs d'huile et d'essence. Ce sont aussi et surtout un excellent investissement.
Le Financial Times, en février 2013, a calculé que les prix des voitures de collection a augmenté en moyenne de 395% depuis 2002, pulvérisant le taux de progression de 195% des œuvres d'art, de celui des grands vins qui se sont bonifiés de 166% ou des montres de collection dont la hausse a culminé à 76%.
Il existe désormais un nouveau regard porté sur les voitures de collection, trop longtemps restées l'apanage, au sein du marché de l'art, de passionnés férus de mécanique qui n'envisageaient leurs bolides que dans un but utilitaire, dédié aux rallyes et autres concours d'élégance. Rares étaient alors les nouveaux acheteurs.
Mais depuis 2011, avec l'internationalisation des ventes d'Artcurial (le leader des ventes aux enchères d'automobiles en Europe continentale, et la première maison de vente française), on trouve de plus en plus d'acheteurs, venus notamment des pays de l'Est, du Moyen-Orient, ou des Etats-Unis. Ce qui explique, en partie, le boom des ventes.
De plus en plus d'acheteurs viennent des pays de l'Est, du Moyen Orient ou des Etats Unis
La hausse des prix s'est effectuée sur de nombreux modèles, mais pas sur tous. Il demeure des voitures difficiles à vendre, comme celles d'avant-guerre en carrosseries fermées, telles les Delage, ces bolides qu'achetaient les mécanos à la retraite et qu'ils retapaient amoureusement. Ces modèles n'intéressent plus les nouveaux collectionneurs car se sont des voitures qui demandent une expertise mécanique pointue, des dons de bricoleur, et qui s'avèrent difficiles à utiliser dans le trafic routier actuel. Le prix de ces voitures n'a donc pas augmenté.
Cependant, parmi ces voitures d'avant-guerre, certaines tirent leur épingle du jeu, celles dont les concours d'élégance ont boosté les prix, comme les Bentley, Bugatti, et autres Alfa Romeo. De même, les très grandes carrosseries françaises, qui sont célébrées aux Etats-Unis comme des œuvres de l'art déco, sont extrêmement populaires de l'autre côté de l'Atlantique. Ainsi, les voitures françaises d'avant-guerre avec des carrosseries extravagantes, en forme de goutte d'eau, très profilées, très spectaculaires, comme les Delahaye, les modèles de Figoni et Falaschi, sont pratiquement toutes vendues à des Américains. Leurs prix s'envolent et peuvent dépasser les 5 à 6 millions de dollars.
Les voitures des années 60-70, et même 80, sont collectionnées par des quadras qui possédaient des posters de ces automobiles dans leurs chambres d'adolescent
De plus, toutes les voitures éligibles à des évènements comme le Tour Auto et le Mans Classic ont vu leurs prix fortement augmenter. De même que toutes les voitures des années 1960-70, pour des raisons générationnelles. Chez Artcurial, les voitures des années 60-70, et même 80, sont collectionnées par des quadras qui possédaient des posters de ces automobiles dans leurs chambres d'adolescent et cette passion se répercute sur les prix. Ce sont principalement des modèles italiens, comme les Ferrari 288 GTO et F40, dont les tarifs ont explosé.
Paradoxalement, la hausse du marché des Ferrari a fait grimper celui des Maserati, les concurrents directs de ce type d'automobiles. Les collectionneurs se sont rabattus sur la marque au trident parce que les Ferrari équivalentes plafonnaient à des prix extravagants. Les voitures importantes, au-delà de 200 000 euros, sont principalement vendues à l'étranger.
Mais les modèles français suivent aussi le même mouvement. Ainsi chez Artcurial, une 2CV s'est vendue 70 000 euros, une Citroën SM restaurée 160 000 euros, et une DS 23 berline est partie à 185 000 euros.
Au sein des automobiles françaises, les modèles rares de voitures populaires parfaitement restaurées se vendent très bien, à des prix largement au-delà des cotes établies car la clientèle internationale désire fortement ces automobiles et n'est pas regardante sur les prix. Comme belle marque française d'après guerre, on trouve Facel-Vega, dont les prix se sont envolés en trois ans : la Facel-Vega HK 2 est passée de 80 000 euros à 240 000 euros en 6 ans. De même, les Alpines A 110, de jolies petites voitures de rallyes, parfaites pour concourir au Tour Auto, valent aujourd'hui 200 000 euros. On assiste ici encore à une vraie flambée des prix.
L'autre phénomène de collection aujourd'hui concerne certains nouveaux acheteurs qui prennent possession de véhicules pour leur valeurs refuge, à l'instar des montres. Ils se sont rendus compte qu'il était plus sympathique d'acheter un objet formidable dont on dispose à loisir : on peut partir en famille en week-end et réaliser un exceptionnel voyage dans le temps.
Les voitures de collection sont soumises au même régime que les œuvres d'art : une taxe sur les plus-values à la revente existe mais les véhicules ne sont pas pris en compte dans le calcul de l'ISF. C'est donc un excellent placement dont on peut jouir physiquement...
"Il ne faut pas acheter à un prix, mais un véhicule en bon état"
Pierre Novikoff, spécialiste au département Motorcars chez Artcurial, prodigue quelques conseils pour le JDN : "L'achat intelligent consiste à acquérir une voiture en très bon état, même au-dessus de la cote, plutôt qu'une voiture en état moyen. Une automobile est un objet complexe à régler, à faire fonctionner, et cela à un coût. Il ne faut pas acheter à un prix, mais un véhicule en bon état." Quant aux modèles qu'il recommande, dirigez-vous, pour les voitures du début des années 70, vers la Maserati Ghibli, par exemple, qui est le pendant de la Ferrari Daytona et qui reste sous-cotée, offrant de belles sensations de conduite, pour 90 à 120 000 euros.
Ce que les acheteurs demandent principalement, c'est que la voiture soit équipée de son moteur d'origine, sorti d'usine
Dans les années 80, en éditions limitées, Pierre Novikoff préconise l'acquisition d'une Ferrari 308 polyester, une voiture de 75-76, le premier modèle des 308 qui a été construite à moins de mille exemplaires. Ou alors une très belle Renault 5 Turbo 1, une voiture originale, représentant le design de son époque, qui a remporté énormément de rallyes. C'est un achat raisonnable procurant un plaisir indicible lors de sa conduite. Elles sont devenues très rares en bon état et valent entre 40 et 60 000 euros. De même, une Aston Martin DBS, du début des années 70, demeure un bon achat. Comme tous les modèles précédents ont extrêmement augmenté, c'est une voiture qui commence à devenir très recherchée mais qui n'est pas encore à son prix. Une DBS, conduite à gauche, coûte entre 70 et 100 000 euros. De même, une Jaguar Type E coupé, dont le prix est en train de remonter au niveau de celui du cabriolet, est un bon achat. C'est une voiture emblématique à acheter en bon état. "Pour un cabriolet comptez 80 à 110 000 euros. A la revente se sera le même prix, voir plus", explique Pierre Novikoff.
Ce que les acheteurs demandent principalement, c'est que la voiture soit équipée de son moteur d'origine, sorti d'usine. Cela s'appelle le matching numbers (sur les Ferrari des années 60, le numéro de châssis était le même que celui du moteur, puis cela a été décliné sur tous les types de voitures). C'est une mode venue des Etats-Unis qui influe sur la revente. Les acheteurs exigent également que la voiture soit de la couleur d'origine, sortie d'usine.
"Si j'ai un dernier conseil à donner, achetez une très belle CX Turbo. Il faut qu'elle soit magnifique, avec très peu de kilomètres, sans hésiter à la payer un peu plus chère que la cote. Elle vaut entre 10 et 15 000 euros. Mais les prix vont s'envoler", analyse-t-il.
L'ensemble du marché s'interroge quant à l'arrivée des Chinois
Si l'on veut s'offrir une 2CV aujourd'hui, il faut privilégier les derniers modèles très peu kilométrés (20 à 30 000 km), comme une Charleston, ou une 2CV Azelle, ou un modèle avant 1964, pour posséder un collector avec ses fameuses portes suicide (le danger était que le vent s'engouffre dans la voiture par la porte inversée, qui pouvait alors s'ouvrir en grand et être arrachée de la carrosserie). On peut en trouver une jolie entre 6 et 10 000 euros.
Le marché est loin d'être arrivé à maturation. Pour Rétromobile, le 7 février 2014, Artcurial espère vendre pour 25 millions d'euros de voitures (15 millions en 2013 et 12,5 millions d'euros en 2012). Cependant l'ensemble du marché s'interroge quant à l'arrivée des Chinois. Pour l'instant, ces collectionneurs n'ont pas le droit d'importer de voitures d'occasion, sauf pour les concours d'élégance. Une mesure de restriction afin d'obliger les constructeurs occidentaux à produire en Chine... Mais le jour où ils pourront importer une voiture de collection pour rouler avec, le marché risque littéralement d'exploser.