La digitalisation du métier de commissaire-priseur est en marche

Transformation numérique, marché de l'art en ligne et loi Macron ! Le marché de l’art poursuit sa mutation numérique et comme nombre de métiers celui de commissaire-priseur est impacté. L’apparition de plateformes d’enchères en ligne et la dématérialisation des ventes ont généré une concurrence directe dans les ventes aux enchères en France interpellant la profession qui s'interroge sur son avenir au moment de la promulgation de la loi Macron.

A l'heure où le marché de l'art poursuit sa mutation numérique, comme nombre de métiers celui de commissaire-priseur est impacté du fait de l’apparition de plateformes d’enchères en ligne et de la dématérialisation des ventes. Et si grâce à Internet le nombre d’enchérisseurs potentiels a été multiplié en offrant une visibilité à échelle mondiale aux ventes organisées, en revanche, en ce qui concerne la garantie de l’attribution de l’objet et donc de sa valeur, le Net n’est pas encore en mesure de l’apporter seul ! Une concurrence directe s’est progressivement installée dans les ventes d’objets, entre les acteurs opérant en ligne et le plus souvent basés hors de l’Hexagone et les Commissaires-Priseurs Volontaires (CPV*), qui au vu des réglementations qui ne cessent de changer en France, s’interrogent sur l’avenir de leur profession.

Etat de l’art… Quel est le point commun entre les ventes aux enchères et le trafic aérien ? Peu de choses selon le journal Les Echos judiciaires si ce n’est que chaque année ces deux marchés progressent inexorablement de plus de 3 % en moyenne ;  et si en 2015 le nombre de passagers a augmenté de 3,1 %, en France, le montant total des adjudications dans l’hexagone a connu une hausse de 10 %. On résume parfois les ventes par adjudication au seul "marché de l'art", alors que les objets vendus aux enchères par l’intermédiaire notamment d’opérateurs de ventes volontaires (OVV*) sont classés en trois catégories : l’art et les objets de collection effectivement, le matériel industriel et les véhicules d’occasion, et enfin les chevaux. A souligner qu’en 2015, les ventes d’objets utilitaires ont atteint un montant presque aussi important que les ventes d’objets d’art et de collection. Le périmètre de l’analyse choisi ici reste néanmoins celui du marché de l'art, soit la vente d’objets d’art et de collection (synchrone ou asynchrone, aux enchères libres ou automatiques, en live ou en ligne, ainsi que la vente à prix fixes).

Mise en perspective du marché de l'art en France par rapport au reste du monde. De nouvelles mesures ont été annoncées par le gouvernement français - entérinées ou en instance de l’être - qui concernent entre autres le commerce de l’Ivoire ou les transactions relatives aux documents historiques dits publics. La promulgation de la Loi Macron instaure par ailleurs l’inter-professionnalité (ordonnance du 31 mars 2016) en créant une nouvelle profession réglementée en France - les Commissaires de Justice - qui réunit les huissiers de justice et les Commissaires-Priseurs judiciaires sous une même bannière. Et de fait interpelle la profession qui s’interroge alors sur le périmètre d’intervention du commissaire-priseur Volontaire, d’autant que la transformation numérique a ouvert et démocratisé le marché des ventes aux enchères jusque-là réservé à des professionnels habilités. A noter que les législations de nos voisins européens sont majoritairement beaucoup plus flexibles quant à l’organisation de ventes aux enchères publiques : car si on retrouve la dichotomie des institutions, selon qu'il s'agisse de ventes volontaires ou judiciaires dans beaucoup de pays (Allemagne, Danemark, Suède, etc.), en revanche le cursus n'est nulle part aussi astreignant qu’en France… La majorité des pays européens ne requière qu’une autorisation administrative, assortie d'une limite d'âge (Allemagne, Danemark, etc…), contrairement au Royaume Uni où aucune autorisation n’est nécessaire. Enfin quand il n'y a pas de métier de commissaire-priseur en tant que tel, ce sont les notaires et les huissiers qui procèdent aux ventes comme en Belgique ou en Grèce.

Révolution ou Evolution du métier de commissaire-priseur ? On constate alors que le métier du commissaire-priseur Volontaire en France se dessine finalement "en creux" - indépendamment des réformes * de 2000 et 2011 -, la Loi Macron créant une profession de "Commissaires de Justice "dont les Commissaires-Priseurs Volontaires seront exclus à terme (2022), sauf à suivre une formation pour devenir Commissaire de Justice (dont les modalités restent encore à déterminer) et à racheter, ou créer une étude selon le principe de l’horodatage, qui les obligera à mutualiser leurs risques… 

Transformation digitale du métier de commissaire-priseur : une réalité et des enjeux. Ce que l'on nomme transformation digitale doit avant tout être compris comme l'expression de nouvelles pratiques initiées par l’utilisation d’outils technologiques en lien avec internet, et ce, à une échelle mondiale. Le numérique est un gisement de simplification et d’automatisation des processus et des interactions, ayant de ce fait un attrait indéniable et surtout un pouvoir à terme de réduction de coûts, de par une transparence accrue et une information partagée. Et les Commissaires-Priseurs Volontaires sont directement concernés dès l’établissement de leurs conditions de vente, et donc de la tarification de leurs prestations, librement fixée en vente volontaire.

Cette transformation numérique engendre de nouveaux comportements et interactions - notamment dans la relation avec la clientèle, tant au niveau du traitement des opérations que du mode de travail (à distance et/ou en ligne). Par ailleurs, elle implique de se positionner par rapport à une stratégie d’e-commerce en vue d’affronter la concurrence que représentent les diverses plateformes du marché de l'art en ligne. Avant de revenir sur la proposition de valeur que pourrait mettre en avant aujourd’hui un commissaire-priseur en France dans ces contextes nouveaux,  il apparaît nécessaire de faire un point sur les principaux faits et chiffres du marché de l'art en ligne, et de les mettre en perspective à partir des conclusions du rapport Hiscox publié en juin dernier*.

L’objet d’art et de collection est presque devenu une marchandise comme une autre, achetée de plus en plus souvent par le biais d’une expérience "multicanal "(on line - ordinateurs, tablettes, Smartphone -, off line sur les lieux d’exposition ou bien chez un OVV lors d’une vente aux enchères). A travers la jungle des différents acteurs du Net, la dernière édition du rapport Hiscox* propose de catégoriser les différentes offres des opérateurs du marché de l'art en ligne en décryptant leurs modèles économiques. Du "pure player", comme la plateforme de vente en ligne dématérialisée, à l’organisation d’enchères en streaming live et/ou à échéance, en passant par l’agrégateur de contenus qui recense par mots-clés (#tags) les ventes à venir, sans oublier la galerie ou le marchand en ligne, ce rapport livre un éclairage sur ce qui se vend le mieux sur le Net - tous types de vente confondus -, en soulignant des tendances d’achats nouvelles ainsi que l’évolution des comportements de consommation de l’objet d’art ; et parmi eux, ceux de la nouvelle génération
 d’acheteurs, la génération Y ( 20-35 ans). 

Existe-t-il alors une prime aux pure players du marché de l'art en ligne, c’est à dire aux opérateurs qui réalisent des ventes totalement dématérialisées ? Ce rapport souligne que si des plateformes proposant des ventes exclusivement en ligne, telles qu'Auctionata et Paddle8 - qui viennent par ailleurs de fusionner après l’entrée au capital de Bernard Arnaud dans Auctionata en 2015 (à signaler cette autre tendance du marché de l'art en ligne, soit la concentration des acteurs) -, ont plus que doublé leurs opérations en 2015, et qu’elles continuent d'attirer de nouveaux acheteurs, la majorité des acheteurs d'art considèrent le marché de l'art en ligne comme un canal alternatif plutôt qu'un substitut à la distribution traditionnelle pour acquérir des œuvres… Le "Click&Buy ", au vu des récentes tendances décryptées, n’est alors qu’un mode de diffusion de l’objet d’art, qui plus est, rarement exclusif notamment pour les moins de 35 ans et les primo-acquérants. 

Dans une étude précédente publiée dans le JDN en mars 2015*, je m’interrogeais sur la mutation numérique du marché de l'art et sur les différents modèles économiques de ses acteurs en ligne. Et soulignais alors, face aux "pure players "du marché de l'art en ligne, et au vu des contraintes, voire des freins liés au e-commerce appliqué à l’objet d’art, la nécessité d’un modèle hybride d’acquisition, à la fois on line et off line.

Néanmoins de nouvelles habitudes de consommation s’installent. Ainsi près de la moitié des acheteurs d'art en ligne pensent acquérir davantage d'œuvres d'art sur le Net au cours des 12 prochains mois - et cela concerne en majorité le segment de marché des objets au prix inférieur ou égal à 10.000€ - . Par ailleurs 80% des acheteurs d'art en ligne n’utilisent que trois plateformes voire moins, dont les principales comme Artnet, Barnebys, Paddle8 etc… Et 45% des nouveaux collectionneurs d'art n'en utilisent qu'une seule ! Ces chiffres suggèrent donc que les acheteurs d'art
 en ligne gravitent autour d'un nombre relativement limité de sites de vente
 et indiquent aussi que de nouvelles habitudes d'achat sont acquises, d’autant que les plateformes en ligne savent établir rapidement des relations de confiance et de proximité avec leurs clients, grâce notamment à leurs outils technologiques - comme certaines applications pour Smartphone – mais aussi à leur présence sur les réseaux sociaux. Le rapport Hiscox souligne en effet l’influence des réseaux sociaux, comme Facebook et Instagram qui reste particulièrement élevée chez les acheteurs d'art "novices ", 38% d'entre eux ayant déclaré que les réseaux sociaux jouaient un rôle dans leurs décisions concernant l'œuvre à acheter. Instagram est aussi en train de devenir une plateforme génératrice de revenus dans le luxe avec des applications comme Like2Buy et Soldsie permettant d'acheter directement à partir d'images. Et l’on suppose que le marché de l'art adoptera une stratégie similaire...

De nouvelles tendances de marché décryptées : la concentration des acteurs et l’achat d’art à partir d’un guichet unique à terme, et des comportements d’achats qui s’installent dans la durée.

Ce rapport permet de mieux cerner le comportement des consommateurs et leur utilisation des différents appareils/canaux au moment de l’acte d’achat ; une étude de BI Intelligence est par ailleurs mentionnée car elle prévoit que le commerce à partir d’un Smartphone représentera d'ici 2020, 45% de l'e-commerce total et 284 milliards de dollars.

En terme de comportement d’achat, il est mis en avant le fait que plus de la moitié des ventes totales d'art en ligne sont alimentées par la croissance rapide des plateformes d'enchères d'œuvres d'art et d'objets de collection telles que Auctionata et Paddle8, des agrégateurs d'enchères tels que Barneby's, The-saleroom.com, LiveAuctioneers.com, ainsi que des maisons de ventes aux enchères traditionnelles telles que Heritage Auction, Sotheby’s et Christie’s. Et selon ces estimations, les ventes en ligne générées par ces entreprises représentent 58% des ventes en ligne totales, qui s’élèvent en 2015 à 3,27 milliards $. Enfin, la croissance rapide des agrégateurs d'enchères en ligne tels qu'Invaluable qui a affiché une augmentation de ses ventes de 60% en 2015, laisse penser que les maisons d'enchères traditionnelles se mettent à vendre de plus en plus en ligne via ces agrégateurs. A noter aussi que l'option "acheter maintenant "(soit à un prix fixe) semble susciter un intérêt croissant par rapport aux ventes aux enchères, qu’elles soient en live ou à échéance (On Line). 

Des intervenants incontournables du marché de l'art qui s‘organisent. Face à une diversité d'acteurs, certaines plateformes engagent des moyens financiers importants en vue de centraliser les offres sur une place de marché unique accessible à tous, et d’y présenter un large choix d'objets renouvelés régulièrement, tout en proposant de plus en plus de garanties quant à l'attribution des objets et/ou à leur état, par l'intermédiaire d'experts et de commissaires-priseurs associés. Ainsi Catawiki chaque semaine vend en moyenne 15.000 lots dont des objets d’art et annonce vouloir recruter des commissaires-priseurs et des développeurs pour soutenir sa forte croissance !

Les leaders du marché de l'art, Christie's et Sotheby's, ont fortement investi dans leur présence en ligne depuis quelques années et en recueillent les fruits aujourd’hui en se positionnant dans le Top 5 des acteurs du marché de l'art en ligne, occupant même la tête du classement en ce qui concerne l'expérience utilisateur (UX) des visiteurs et des acheteurs.  Ce qui laisse à penser que ces sociétés bénéficient pour leur offre en ligne d'un "effet réputation ", tant axé sur la fiabilité que sur la crédibilité qu'elles ont réussi à acquérir sur le marché off line. 

Quelle est la stratégie des autres intervenants du marché (courtiers, galeries, antiquaires, etc…) pour monter à bord de l’expérience digitale ? Certains abandonnent les ventes classiques et transfèrent leur lieu d’exposition sur Internet. D’autres comme de nombreuses galeries préfèrent s'associer à une plateforme d'e-commerce existante (26% en 2016 contre 15% en 2013) plutôt que de générer un service on line qui leur serait propre ; enfin 39% des galeries interrogées ne disposent pas encore de stratégie d'e-commerce ! 

- Extrait d'une étude réalisée pour une intervention auprès des Jeunes Commissaires-Priseurs,  organisée par le SYMEV le 6 juillet 2016, sur le thème "le commissaire-priseur de ventes volontaires : enjeux de la loi Macron et Valeur ajoutée d’une profession "- .

Notes

*CPV : commissaire-priseur Volontaire (non judiciaire) qui officie dans une SVV (société de ventes volontaires) et est habilité par le CVV (Conseil des Ventes Volontaires) pour organier des ventes aux enchères publiques de biens meubles en France 

*OVV : Les opérateurs de ventes volontaires sont des personnes physiques ou morales autorisées à organiser et à diriger les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Ces opérateurs peuvent prendre la forme de sociétés  commerciales (S.A.R.L., S.A., S.A.S. par exemple), sans que cela soit une obligation, un OVV pouvant exercer à titre individuel. L’OVV doit se déclarer préalablement au Conseil des ventes avant d’organiser des ventes. Cette déclaration est soumise à certaines conditions dont notamment le fait de compter parmi leurs dirigeants, leurs associés ou leurs salariés au moins un commissaire-priseur habilité*. L’OVV est soumis à la régulation du Conseil des ventes 

 *CVV : Le Conseil des ventes (CVV) a été créé en 2000 et est qualifié d’autorité de régulation du secteur par la loi du 20 juillet 2011. C’est un établissement d’utilité publique qui veille au respect de la réglementation et est doté d’un pouvoir disciplinaire sur les opérateurs. Il accompagne la libéralisation du secteur dans un cadre juridique modernisé assurant une meilleure protection des vendeurs et acheteurs.

*Loi n°2000-642 du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. *Le sort des enchères en ligne, en leur consacrant un article de la loi du 10 juillet 2000 (désormais article L. 321-3 du Code de commerce) 

*Loi n°2011-850 du 20 juillet 2011 :  *Si l’objet n’a pas trouvé acquéreur lors de l’adjudication, la Loi de 2011 permet à l’opérateur, avec l’accord du vendeur, de vendre l’objet de gré à gré. 

*L’authenticité et l’état de l’objet sont garantis par les mentions portées au catalogue (décret n°81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d'œuvres d'art et d'objets de collection).*Une vente Live est la retransmission en direct d’une vente aux enchères depuis la salle des ventes. Cette technologie permet aux enchérisseurs qui ne peuvent se déplacer de suivre une vente depuis n’importe quel ordinateur connecté à Internet et d’enchérir en ligne en temps réel en même temps que les enchérisseurs en salle ou au téléphone. 

*Une Vente Online est une vente dématérialisée dirigée par un commissaire-priseur qui se déroule uniquement sur Internet sur une période de quelques heures et même plus fréquemment de quelques jours. Les enchères montent progressivement en ligne en s’incrémentant à chaque nouvelle enchère. L’enchérisseur qui remporte le lot est celui dont l’enchère est la plus élevée à la fin de la période d’enchères.

 *Bien Culturel. Ce terme juridique désigne les objets d’art et de collection ou les antiquités. La loi du 10 juillet 2000 en soumet le courtage aux enchères par voie électronique à l’autorisation du Conseil des ventes volontaires.