Vincent Fourcaut (UNCIA AM) "La stratégie de Snapchat est un pari en passe d'être raté"

Pour ce président-fondateur d'une société de gestion de portefeuille, l'IPO de l'application chère aux millennials était précipitée, au regard de son business model "balbutiant".

Vincent Fourcaut est président-fondateur d'UNCIA AM, une société de gestion de portefeuille. Au moment de l'annonce de l'introduction en bourse de Snap, l'éditeur de Snapchat, il nous avait fait part de son scepticisme quant au réalisme de la valorisation boursière attendue. La chute de la capitalisation de l'application pour millennials enregistrée ces derniers jours tend à lui donner raison. Voilà ce qu'il prédit pour la suite.

Vincent Fourcaut, président-fondateur d'UNCIA AM. © Vincent Fourcaut

JDN. Quel regard portez-vous sur l'évolution à la baisse du cours de Snap, l'éditeur de Snapchat ?

Vincent Fourcaut. La conclusion que l'on peut tirer sur la qualité de cette opération, c'est qu'il s'agissait plus d'une opération marketing que d'une opération sérieuse. Peu de flottant a été proposé, avec quelques 3 ou 4 milliards aux Etats-Unis, qui ont tout de suite été absorbés. Cela explique pourquoi le cours a monté, pas seulement le jour de l'IPO mais aussi les semaines qui ont suivi, puisqu'il a atteint 27 ou 28 dollars contre à peine 16 aujourd'hui. Certains actionnaires ont perdu près de 40% sur leur investissement.

On s'aperçoit aussi que des acteurs concurrents comme Facebook, via Instagram, ou Twitter ont mis en place des moyens de neutraliser l'ascension de Snapchat, qui pouvait faire peur au début. Ils ont proposé des caractéristiques et des usages comparables pour éviter la concentration d'une population d'utilisateurs sur Snapchat. Ça c'est très bien passé sur Instagram, qui a même connu une accélération de son audience, en employant les bonnes pratiques de Snap. Les acteurs en place ont été rapides à décortiquer ces dernières et le business model de Snapchat.

"Les pertes seront records pour une société cotée dans le digital, en rythme annualisé"

Ce business model, justement, est-il en cause ?

Vu la publication des résultats du trimestre précédent, on avait prédit que la société entrerait dans une stratégie à marche forcée de gains d'utilisateurs excessivement coûteuse pour elle. La croissance des nouveaux utilisateurs est atone, alors que les dépenses ont explosé, et la réduction des pertes n'est pas prévue. Ces pertes seront même records pour une société cotée dans le digital, en rythme annualisé. Il n'y a donc pas d'amélioration à attendre de la rentabilité au regard de stratégie d'acquisition clients. C'était un pari, et ce pari est en passe d'être raté. Le management risque d'être débarqué et la société n'est pas en mesure d'être autonome. Quand on subit des pertes de plusieurs milliards sur un exercice, soit on a assez de fonds propres, soit on fait à nouveau appel au marché via une augmentation de capital, sinon à un partenaire stratégique sur des niveaux de valorisation cette fois-ci normalisés sur un actif de ce type. Snapchat n'est pas une marque capable, au regard de son business model, de créer du revenu publicitaire et une rentabilité interne.

"L'issue favorable pour les actionnaires serait que le management s'en aille"

A quoi s'attendre pour la suite ?

L'issue favorable pour les actionnaires serait que le management s'en aille et qu'une solution soit trouvée avec un partenaire stratégique. Qui pour jouer ce rôle ? Quelques leaders comme Facebook ou Google peuvent être intéressés. Tout le monde cherche à faire du contenu. C'est délicat lorsque le momentum se dégrade, c'est-à-dire lorsque les talents qui ont permis à la société d'émerger risquent de la quitter. Pour notre part, on ne sera pas actionnaire jusqu'à ce qu'il y ait un évènement majeur dans la vie de l'entreprise. Le départ du management ne suffira pas. Il faudrait que la marque soit incorporée dans un groupe plus grand, qui ait des coûts d'acquisition utilisateurs moins élevés.

Selon nous, le business model est inadapté. Les revenus par utilisateur unique ont baissé sur un trimestre, ce qui montre qu'au-delà des annonceurs qui se sont emballés au début, parce qu'ils ont identifié tout de suite la nécessité d'un média comme Snapchat en accord avec leur cible, les annonceurs sollicités en second-rang, plus mass market, ne sont pas prêts à payer ce qu'a réclamé Snapchat. Ils testent mais ne transforment pas l'essai. D'où un essoufflement du revenu par utilisateur en termes de publicité. Les annonceurs valorisent un nouveau média par sa dynamique de collecte de nouveaux utilisateurs et par la nature de ces utilisateurs. Le principal souci de ce média, c'est qu'il cible les teenagers et qu'ils n'ont pas de revenus. Cette IPO est donc une erreur de diagnostic. Elle a été faite dans la précipitation, dans un environnement favorable pour lever des capitaux dans de bonnes conditions, mais la réalité est toute autre. Le business model de Snapchat est balbutiant, avec des défauts majeurs, dont on connaît les faiblesses et dont les forces restent à démontrer.