Aurélie L'Hostis (Forrester) "En matière de coaching financier, l'innovation vient des néobanques"

Cette analyste du cabinet Forrester revient sur les lacunes spécifiques aux banques tricolores en matière de banque mobile… Et lance des pistes pour les combler.

Aurélie L'Hostis, analyste chez Forrester. © Forrester

JDN. L'an dernier, vous alertiez les banques françaises sur leurs lacunes en matière de fonctionnalités mobiles. Où en sont-elles aujourd'hui ?

Aurélie L'Hostis. L'écart continue de se creuser entre les banques qui sont au top et celles qui sont à la traîne. C'est le cas des établissements français qui restent derrière leurs homologues espagnols et polonais. L'une des raisons de ce retard, c'est qu'elles lancent une app, ajoutent de nouvelles fonctionnalités, font le point six mois plus tard etc. Il n'y a pas de process d'amélioration continue, contrairement à ce qui se passe en Espagne, par exemple.

Quelles fonctionnalités mobiles manquent encore aux banques françaises ?

Il y a tout ce qui concerne le paiement de factures. En Europe, aux Etats-Unis ou en Australie, de plus en plus de banques donnent la possibilité à leurs clients d'ajouter un bénéficiaire depuis l'application, parmi une liste de fournisseurs de services proposés, pour permettre le règlement des factures via l'app. Barclays, au Royaume-Uni, le fait notamment. La Pologne, la Turquie et l'Italie le font également.

Les banques françaises ne permettent pas non plus l'utilisation de la caméra pour simplifier le dépôt de chèques. Presque toutes les banques américaines donnent la possibilité aux utilisateurs de leur application de déposer des chèques en prenant une photo. Idem pour ce qui est de l'utilisation de la caméra pour le retrait au distributeur. Certaines banques, comme NatWest, au Royaume-Uni, ou BBVA, en Espagne, permettent de générer un code que l'utilisateur reçoit par texto et grâce auquel il peut retirer de l'argent sans carte au distributeur. (En France, Caisse d'Epargne a récemment lancé la fonction "Retrait SMS", ndlr.) En Italie, Barclays et UniCredit permettent à leurs clients d'effectuer un retrait en capturant un QR code sur l'écran du distributeur de billets.

"Les banques françaises restent derrière leurs homologues portugaises et espagnoles"

Le domaine du paiement est-il le seul dans lequel elles aient du retard ?

Non. Les banques françaises en ont aussi en matière d'options en libre-service. Par exemple, prévenir sa banque depuis l'application lorsqu'on part en voyage pour éviter de se retrouver avec une carte bancaire bloquée par erreur parce que la banque aura soupçonné une activité anormale. Aujourd'hui, certaines banques permettent même d'indiquer ses dates de voyage et la ville de destination directement dans l'app. Autre possibilité offerte par certaines : bloquer temporairement sa carte depuis l'application en cas de perte ou de vol, le temps de la retrouver éventuellement. Les néobanques offrent cette fonctionnalité de gel de la carte. Monzo, au Royaume-Uni, notamment, le permet. En Europe, il y a aussi la banque espagnole BBVA. Il y a également l'option qui consiste à limiter le nombre d'opérations qu'on peut faire en ligne avec la carte. Cela commence à se développer. Plusieurs banques m'ont d'ailleurs contactée à ce sujet. Mais pas les banques françaises ! Ce sont des fonctionnalités qui apparaissent d'abord chez les néobanques et auxquelles les banques s'intéressent car elles les considèrent comme les "fonctionnalités du futur".

"Le handicap des banques traditionnelles est notamment dû aux systèmes informatiques"

Comment expliquez-vous cela ?

Les néobanques sont plus ergonomiques, plus centrées sur le client. Ce sont des banques très largement "mobile centric". Elles ont cela de bien qu'elles utilisent tous les composants de l'appareil mobile. L'espagnole BBVA, par exemple, permet une ouverture de compte 100% mobile, au moyen d'une photo de la pièce d'identité prise avec la caméra du smartphone et d'un selfie, afin d'authentifier le nouveau client. Les néobanques ont l'avantage de ne pas avoir les systèmes informatiques des années 1970. Elles sont donc plus agiles et peuvent offrir des outils de gestion en temps réel. Le handicap des banques traditionnelles sur ce sujet est notamment dû aux systèmes informatiques.

"Les banques françaises vont devoir faire évoluer leurs outils de gestion de budget vers du conseil délivré de manière plus proactive"

Quelles sont selon vous les atouts des acteurs français en matière de banque mobile ?

Les banques françaises avaient un avantage en matière d'outils de gestion de budget : des outils de catégorisation des dépenses, de planification, des graphiques interactifs... Mais ces outils sont amenés à évoluer avec l'IA et les technologies cognitives. On entre dans l'ère du coaching financier. Les utilisateurs n'attendent pas des outils de gestion de budget, mais des outils qui leur permettent de pouvoir gérer seuls leur budget. Ils veulent des outils sur mesure. Là encore, l'innovation vient du côté des néobanques. Moven aux Etats-Unis, Monzo, B, la banque digitale développée par Clydesdale et Yorkshire Bank... Toutes évoluent vers un rôle de coach financier personnel et aident les utilisateurs à gérer les finances aux quotidiens. Moven le fait au travers du virement intelligent, qui permet d'éviter le découvert et, à terme, de booster l'épargne. On va vers du conseil délivré de manière plus proactive, plus efficace, sous forme d'alertes et de notifications. Plutôt que de donner à leurs clients une vue d'ensemble sur la façon dont ils dépensent leur argent, les banques vont pouvoir prédire à quel moment ils vont passer dans le rouge et déclencher un virement préventif.

Les solutions de budget vont évoluer dans ce sens dans les mois à venir. Les banques françaises vont devoir se mettre à la page. Autrement, les néobanques offriront des services plus intéressants à leurs clients. Même les agrégateurs de comptes, comme Linxo et Bankin', vont développer leurs services. Ils peuvent se spécialiser dans le domaine de la finance perso afin d'aider leurs utilisateurs à gérer leurs finances avec des outils plus pratiques.