Fiscalité du bitcoin : non, le Conseil d'Etat n'a pas gâté les contribuables

Fiscalité du bitcoin : non, le Conseil d'Etat n'a pas gâté les contribuables L'institution a modifié une partie du régime fiscal applicable aux gains issus de la vente de bitcoins et consorts. Un cadeau fiscal disent certains... qui feraient mieux d'y regarder de plus près.

Branle-bas de combat chez les détenteurs de cryptomonnaies. En pleine période de déclaration de revenus, le Conseil d'Etat a annulé une partie du seul texte de référence à ce jour concernant le "régime fiscal applicable aux bitcoins" (et aux 1 468 autres devises virtuelles référencées...). Ce que prônait ladite doctrine ? Que la conversion occasionnelle de cryptomonnaies relevait du régime fiscal des bénéfices non commerciaux (BNC) et que les conversions régulières, elles, relevaient des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).

"Les contribuables imposés dans les deux premières tranches du barème seront perdants"

Quatre ans après la publication cette instruction – et surtout l'année suivant l'envolée du cours du bitcoin, le cabinet d'avocats-fiscalistes parisien Bornhauser a saisi l'institution pour demander à ce que les gains sur cryptomonnaies soient soumis au régime d''imposition des plus-values de biens meubles. Vœu en partie exaucé dans la décision qu'a rendue le Conseil d'Etat ce jeudi 26 avril.

En partie seulement, puisque le changement de régime fiscal ne vaut que pour les produits tirés de la vente occasionnelle de cryptomonnaies. Les bénéfices issus de ventes récurrentes, eux, restent imposés dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux. Conséquence : les revenus générés via des cessions ponctuelles seront frappés par un taux forfaitaire de 19%, contre une taxation jusqu'à 45% dans le cadre du barème de l'impôt sur le revenu (hors prélèvements sociaux). "Mais tous les investisseurs en cryptomonnaies ne sont pas imposés à 45% sur leurs revenus, loin s'en faut, relève Marianne Tordeux, avocate-fiscaliste chez Franklin. Ceux qui sont imposés dans les deux premières tranches du barème (0% et 14%, ndlr) seront perdants."

"Jusque-là, un flou régnait sur l'imposition des échanges de cryptomonnaies entre elles qui arrangeait aussi bien les investisseurs que le fisc"

Benoît Couty, avocat chez Pichard & Associés, ne voit pas non plus cette décision comme un cadeau fiscal. Il est le coauteur avec Marianne Tordeux d'une note sur la fiscalité des cryptomonnaies et ICO, déposée auprès de l'Assemblée nationale dans le cadre de la mission d'information sur les monnaies virtuelles. "Jusque-là, un flou régnait sur l'imposition des échanges de cryptomonnaies entre elles qui arrangeait les investisseurs mais aussi l'administration fiscale, pour laquelle c'est impossible de contrôler ces échanges. Le fisc a une visibilité sur ce qui entre et ce qui sort, pas sur les centaines d'échanges qui peuvent avoir lieu entre les deux. J'ai discuté avec des contribuables qui ont interrogé leur centre des impôts et auxquels on a dit qu'on allait probablement se contenter de ne regarder que ce qui sortait en monnaie fiat (fiduciaire, ndlr), raconte l'avocat-fiscaliste. Le Conseil d'Etat a levé ce doute, puisqu'il a dit clairement dans sa décision que les échanges de crytpomonnaies entre elles étaient taxables."

Chaque trade occasionnel devra faire l'objet d'une déclaration à administration fiscale le mois suivant

Autre désagrément potentiel induit par cette clarification, un problème de trésorerie pour le contribuable, eu égard à la volatilité inhérente aux cryptomonnaies : "Vu l'envolée des valeurs fin 2017 et la correction constatée depuis, de nombreux contribuables ont enregistré des gains élevés en 2017 tandis que le solde de leurs positions au jour du recouvrement de l'impôt est faible, voire en-deçà de l'impôt dû au titre des profits réalisés en 2017", explique Marianne Tordeux.

"Dans le régime des plus-values sur biens meubles, les moins-values ne sont pas imputables"

La liste des griefs des deux avocats-fiscalistes ne s'arrête pas là : "Chaque cession doit être déclarée dans le mois qui suit. Or, même les traders occasionnels sont amenés à réaliser plusieurs ventes par mois. Par ailleurs, ce n'est pas parce que quelqu'un fait 10 ou 20 trades qu'il doit être considéré comme un investisseur récurrent et être imposé comme tel", estime Benoît Couty. D'ailleurs, qu'est-ce qui le justifie ? Les critères qui permettent de qualifier l'activité de ponctuelle ou d'occasionnelle "résultent de l'examen, au cas par cas, des circonstances de fait dans lesquelles les opérations d'achat et de revente sont réalisées (les délais séparant les dates d'achat et de revente, le nombre de bitcoins vendus, les conditions de leur acquisition, etc.)", peut-on lire dans l'instruction fiscale de 2014 qui, a sur ce point, été reprise par le Conseil d'Etat.

"Autre aspect négatif de l'application du régime des plus-values sur biens meubles, reprend l'avocat, les moins-values ne sont pas imputables. Par ailleurs, ce régime a été créé pour des biens indentifiables : chevaux de course, bateaux de plaisance ou encore vins et eaux de vie. Vous savez combien vous avez payé tout ça. Mais quand vous avez dix bitcoins et que vous en vendez un, comment calculez-vous son prix d'acquisition ? Est-ce le prix d'achat du premier ? Du dernier ? Est-ce que vous faites une moyenne ?"

Alors ce nouveau régime fiscal n'a-t-il vraiment rien pour lui ? "Seule une certaine catégorie d'investisseurs y gagneront, concède Benoît Couty. Ceux qui réalisent des opérations de moins de 5 000 euros, puisque le code général des impôts prévoit une exonération en faveur des meubles dont le prix de cession est inférieur à cette somme." C'est déjà ça.

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