Les prêts crypto, entre liberté d'emprunter et spéculation

Les prêts crypto, entre liberté d'emprunter et spéculation Parmi les services financiers décentralisés qui ont fait leur apparition ces derniers mois, le crédit garanti par de la crypto commence à séduire.

Pour mieux comprendre les mécanismes derrière les prêts crypto, les acteurs qui se positionnent et les enjeux réglementaires, le JDN répond aux dix grandes questions qui se posent.

Qu'est-ce qu'un prêt crypto ? 

Un prêt crypto, en anglais crypto-backed loans, fonctionne comme un prêt traditionnel. Sauf qu'il faut mettre en garantie des crypto-monnaies. Il est donc indispensable d'avoir des garanties pour emprunter. Dans certains cas, les emprunteurs doivent fournir plus de garanties que la valeur de leur prêt pour protéger les prêteurs des risques contre la perte d'argent. Pour contracter un prêt, il suffit de se rendre sur une plateforme dédiée, demander le montant désiré (en monnaie fiat, crypto ou stable coin) et indiquer la crypto-monnaie à envoyer en garantie. Sur les plateformes les plus décentralisées, pas besoin de renseigner son identité pour monter un dossier de prêt. Un smart contract (programme autonome qui s'exécute automatiquement suite à des conditions prédéfinies) est conçu pour mettre en séquestre la crypto et obtenir le prêt de façon instantanée. Si l'emprunteur ne rembourse pas l'emprunt, le smart contract est liquidé et l'argent revient au prêteur. Les taux d'intérêt sont en général fixés soit par des algorithmes soit par la plateforme. 

Quels sont les différents types de plateforme de prêts crypto ? 

Toutes les plateformes de prêts ne se ressemblent pas. Certaines sont plus décentralisées que d'autres. Kyle Kistner, fondateur du protocole de prêts bzX, a identifié sept types de plateformes, qui correspondent à sept briques (le protocole, la conservation des crypto-monnaies, la définition du taux d'intérêt, le développement de la plateforme…).

Sept types de plateformes de prêts crypto. © Kyle Kistner

Quels sont les avantages des prêts crypto ? 

Comme il n'y a pas de score de crédit et d'étude de dossier, chaque détenteur de crypto peut contracter un prêt. La transaction est transparente car les informations nécessaires sont inscrites dans un smart contract, qui est audité afin de réduire le risque de failles et de bugs (même si le risque zéro n'existe pas). L'emprunteur a la main sur les fonds qu'on lui prête car il possède sa clé privée (une suite de chiffres et de lettres qui peut être comparé à la signature d'un chèque). Evidemment, les critères pour l'octroi d'un prêt sont moins drastiques que ceux des acteurs traditionnels, puisque seule une garantie en crypto est demandée. Une spécificité qui n'est pas forcément une qualité : les gardes-fous des banques sont aussi là pour ne pas empirer ou créer des situations de sur-endettement.

A qui s'adressent les prêts crypto ? 

Techniquement, les prêts crypto s'adressent à toutes les personnes qui peuvent avoir accès à Internet. Ils sont avantageux pour ceux dont les dossiers sont refusés dans le circuit traditionnel. C'est aussi une bonne alternative pour ceux qui ont un accès difficile aux services financiers classiques. A condition d'être en mesure de pouvoir sur-garantir son prêt. Mais ces cibles naturelles ne sont pas les actuels utilisateurs. "L'un des problèmes de l'open finance (finance décentralisée, ndlr) est effectivement que ce système, censé viser en particulier les populations ayant difficilement accès au système financier traditionnel, est surtout utilisé aujourd'hui par des individus ayant déjà accès à celui-ci", tempère le cabinet Blockchain Partner dans son étude "Comprendre l'Open Finance : définitions, usages, enjeux, perspectives".

C'est une bonne alternative pour ceux qui ont un accès difficile aux services financiers classiques

 

Pour l'instant, des investisseurs particuliers actifs dans la sphère crypto ont recours à ces prêts pour faire des effets de levier. "La finance décentralisée est utilisée par les personnes qui ne sont pas dérangées par l'expérience utilisateur actuelle et qui savent comment faire du profit avec ces instruments", résume Albert Dessaint, analyste chez Blockchain Partner.

Les prêts crypto servent-il seulement à spéculer ?

Selon Max Bronstein, responsable marketing au sein du protocole Dharma, les volumes de prêts crypto sont majoritairement tirés par une activité de trading spéculatif et le besoin de cash à court terme. Dans son rapport trimestriel, Genesis Capital a indiqué que la majorité de ses clients hedge funds crypto faisaient des prêts crypto pour se positionner sur des actifs et profiter de leur évolution. Les brokers s'en servent aussi pour faire des arbitrages sur les écarts de prix entre le cours du bitcoin actuel et le marché des contrats à terme sur bitcoin (s'engager sur un prix futur à l'achat ou la vente). Genesis Capital note aussi que certaines entreprises s'en servent pour avoir de la liquidité à court terme.

Quels sont les projets de prêts crypto ?

Il existe une vingtaine de projets de prêts crypto qui se divisent en deux catégories : les protocoles, plus ou moins décentralisés et sur lesquels il est possible de construire des produits, et les plateformes centralisées. Les trois protocoles les plus utilisés à ce jour sont Maker Dao, Compound et InstaDApp, comme le montre le tableau ci-dessous. Ils sont tous basés sur la blockchain Ethereum.

Nom du protocole Montants conservés (en dollars) Nombre d'ethers conservés (en millions) Crypto-monnaies en garantie acceptées 
Maker 261,7 millions 2,43 ETH
Compound 113,2 millions  1,05 ETH, DAI, REP, ZRX, BAT 
InstaDApp 32 millions  0,3 DAI, ETH, MKR, REP, USDC, ZRX
dYdX 21,3 millions  0,2 ETH, DAI
Nuo Network 12,6 millions  0,12 BAT; DAI, ETH, MKR, USDC, ZRX 
Dharma 9,2 millions  0,09 Ether; DAI; USDC

Source : Defipulse.com (données du 12 septembre 2019)

Maker Dao est loin devant les autres. Début juillet 2019, près de 1,6 million d'ethers étaient conservés par le système, ce qui représentait plus de 1,5% du total des ethers en circulation. Maker Dao est la fois un système de stable coin (crypto-monnaie dont le cours est stable) et un protocole de prêts décentralisé. Compound permet à la fois de toucher des intérêts en plaçant des crypto-monnaies sur son protocole et d'emprunter des crypto (avec un solde d'approvisionnement égal à 1,5 fois le solde d'emprunt en garantie). Le taux d'intérêt est défini par un algorithme, qui fluctue en temps réel en fonction de l'offre et la demande. Dharma permet de générer, d'émettre et de gérer de la dette sous la forme d'un token sur Ethereum. Au-delà, il existe de nombreux autres protocoles : Colendi, Lendroid, Marble, Ripio Credit Network... .

Si je n'ai pas confiance dans un protocole, quelles sont les plateformes centralisées de prêts crypto ? 

Voici une liste non exhaustive des plateformes de prêts crypto décentralisées. 

Nom de la plateforme Création Taux d'intérêt Garanties 
BlockFi août-17 A partir de 4,5% bitcoin, ether, litecoin
Celsius  juil-18 A partir de 4,95% bitcoin, ether, bitcoin cash, dash, litecoin, XRP et DAI
EthLend nov-17 En fonction du marché Plus de 150 crypto
Nexo 2017 A partir de 8% 20 crypto
Salt  2016 A partir de 5,99% bitcoin, ether, litcoin, dash

En outre, le plus gros exchange du monde, Binance, a signé en juillet 2018 un partenariat avec une plateforme de prêts qui permet aux détenteurs de son token (le BNB) de s'en servir comme garantie sur la plateforme. 

Quels sont les inconvénients des prêts crypto ?

La plupart des plateformes existantes, en particulier les moins décentralisées, n'ont pas une bonne expérience utilisateur. Elles souffrent d'un manque de liquidités comme les exchanges décentralisés. "Un nouveau système financier est une idée excitante, mais est inutile sans liquidité. Pour encourager la liquidité, il faut qu'il soit équitable, facile, économique et rapide d'échanger sur chaque marché. Aujourd'hui, les marchés financiers fondés sur des blockchains ne remplissent pas la plupart de ces critères", fait remarquer Joey Krug de Pantera Capital. Autre désavantage : la difficulté pour les investisseurs institutionnels à s'assurer. Pour Max Bronstein, "l'un des plus grands obstacles aujourd'hui est le manque de produits d'assurance, surtout l'incapacité à s'assurer contre les risques liés aux smart contracts. Les investisseurs institutionnels ne sont pas à l'aise avec l'idée de mettre de l'argent en séquestre s'il n'y a pas d'indemnités liées aux failles techniques."

Les prêts crypto sont-ils adaptés aux réglementations françaises ?

C'est évidemment le flou juridique. "Il y a un décalage énorme entre la réglementation actuelle et l'open finance. Quand on regarde les textes actuels, il faudrait les réécrire", note William O'Rorke, avocat chez OWRL Avocats. L'AMF a réalisé début 2018 une analyse juridique des produits dérivés sur crypto-monnaies afin de déterminer si les acteurs concernés devaient se conformer à la réglementation applicable aux instruments financiers.

"Il y a un décalage énorme entre la réglementation actuelle et l'open finance"

Selon l'autorité, les produits dérivés sur crypto peuvent être encadrés comme n'importe quel autre produit dérivé. La réglementation est donc censée être applicable. Les plateformes qui proposent des prêts crypto ne sont pas régulées aujourd'hui et ne sont donc pas obligées de mettre en place des processus KYC/AML. Les acteurs centralisés demandent tout de même des pièces d'identité à leurs utilisateurs. 

Quand un utilisateur prête de la crypto, comment doit-il déclarer ses intérêts ? 

"Il n'y a pas de réponse sûre à 100% en ce qui concerne la fiscalité française", indique Alexandre Lourimi, avocat chez ORWL Avocats. Pour celui qui prête, il y a deux cas de figure : soit cela rentre dans le cadre du régime fiscal des intérêts au sens large, soit on considère que le texte vise seulement les intérêts sur les monnaies fiat (puisqu'on parle de monnaies ayant cours légal). Dans le premier cas, le taux de fiscalité serait de 30%, le même que pour les plus-values réalisées sur des cessions de crypto-monnaies. Dans le deuxième cas, les intérêts sont considérés comme des bénéfices non commerciaux (BNC), une catégorie de l'impôt sur le revenu. Il dépend du chiffre d'affaires annuel. Pour l'emprunteur, il n'y aurait en revanche aucune incidence car aucun revenu n'est perçu.

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