Investir dans l’art à l’heure de la blockchain : de la nécessité des experts

Les applications de la blockchain pour l’art se multiplient depuis cinq ans. Provenance et authenticité sont deux facteurs essentiels contribuant à la valorisation d’une oeuvre d'art et même si la blockchain est alimentée par des contenus validés par des connaisseurs, investir dans l'art, de l’acquisition à la cession de l'oeuvre, reste à ce jour, affaire d’experts.

Les applications de la blockchain pour le marché de l'art se multiplient depuis cinq ans. Cette nouvelle technologie, capable d’inscrire de façon immuable et infalsifiable toutes sortes de données simultanément sur des milliers de serveurs reliés entre eux, permet de concevoir des solutions multiples : comme en matière de paiement et/ou de financement d'acquisition d’œuvres par des cryptomonnaies à partir de la plateforme Maecenas, ou d’investissement/tokenisation (2) de parts d’œuvres avec la plateforme Monart(3), et de certification de provenance et d’authentification avec les applications de Verisart, Monuma, Arteïa, ou bien encore de rémunération pour les artistes avec l’instauration à terme d’une forme d’"universalisation" du droit de suite (4).

Décryptage... Qui dit "marché" dit rencontre entre une offre et une demande dans un contexte (situation et lieu) donné. Qui dit "oeuvre d’art" dit aussi "actif", au sens d'asset, relativement dérégulé ici, contrairement à l’immobilier ou autre actif, ainsi que spéculation, investissement et collection. 

Intervenir du côté de l'offre, c’est permettre, grâce à la blockchain, de contribuer à donner confiance en apportant plus de sécurité et de transparence pour inciter à la transaction. Et quand Monart (3) annonce opportunément, durant la semaine de la Fiac en France, le lancement de la 1re plateforme financière pour l’art, sa promesse se veut forte et claire : "Participer à la croissance du marché de l’art", sans pour autant être un collectionneur multimillionnaire, tout en s’offrant une part de rêve en investissant dans un actif "financiarisé" qui s’échangera à terme sur une bourse à dimension internationale. L’innovation est de taille et les enjeux pour ses concepteurs de même, puisqu’il s’agit de convaincre des investisseurs potentiels de devenir collectionneurs pour un temps, d’une œuvre d’art en multipropriétés dont la valeur intrinsèque est régie par le marché, mais celui de l’art ! 

Se placer du côté de la demande, c’est proposer par ailleurs des solutions de financiarisation (5) et d’investissement, et surtout de traçabilité et d’authentification !

Car provenance (1) et authenticité sont deux facteurs essentiels contribuant à la valorisation d’une oeuvre d’art. L’authentification par la blockchain peut réduire les risques de "tromperie sur la marchandise" jusqu’au minimum, à savoir l’erreur humaine, la blockchain étant alimentée par des contenus validés par des connaisseurs (6), leurs connaissances ou compétences sont néanmoins à mettre en perspective avec l’état actuel de la science… 

Par ailleurs, si les innovations de la blockchain favorisent la transformation technologique du marché de l’art en supprimant des intermédiaires, en revanche, "monnayer" une œuvre d’art, et ce, quel que soit son circuit d’investissement - de l’acquisition à la cession - est et restera, affaire d’experts à même de développer une vision à 360° de l’ensemble des enjeux (artistiques, historiques, économiques, financiers, fiscaux (7) et technologiques a minima). Et l’on ne pourra s'affranchir d’aucune de ces dimensions sans risquer gros ! Cela, les start-up proposant de nouvelles applications mêlant l'art aux dernières technologies (intelligence artificielle, réalité augmentée, blockchain) l’ont compris : des équipes pluridisciplinaires sont en charge de leur conception, mais celles-ci ne seront efficientes que si cette vision globale, soutenue par des experts polyvalents, est partagée, et ce, afin de cerner tous les tenants et envisager alors l’ensemble des aboutissants.

Aujourd'hui, des questions essentielles subsistent, au-delà du développement de cette technologie, à savoir :  comment "passer", à partir d’une inscription dans la blockchain, d'une économie de marché classique, relative à un "bien physique et matériel", l’oeuvre d’art, à une économie de marché dématérialisée et financiarisée ? Plus encore, qui est/sera garant de la validité des données et /ou contenus introduits dans la blockchain concernant l'oeuvre d'art, sachant son incidence primordiale sur la valeur de l'oeuvre à terme, toutes choses égales par ailleurs ?

Les débats restent ouverts (8) et intenses, les intérêts des parties prenantes et autres acteurs du monde de l'art ne convergeant pas naturellement.

Or à l’ère de l’économie de la connaissance (9), l’irruption de la blockchain dans l'art est en train de changer irrémédiablement les règles de jeu. 

Signe des temps ? De grands collectionneurs commencent à l'intégrer dans leur stratégies d'acquisition et de cession, voire participent pour certains à la mise en oeuvre d'applications, anticipant une disruption (10) annoncée ! Pendant que le marché de l'art, lui, est en train de rebattre ses cartes...

 1 - Dans le monde de l’art, la provenance fait référence à l’historique de propriété d’une oeuvre. Au-delà de la provenance, il faut prouver qu’une œuvre est authentique. Le niveau de complexité dépend entre autres de l’ancienneté de l’œuvre. Cette authentification s’effectue à l’heure actuelle par le biais d’experts. Il existe de nouvelles technologies capables de contribuer à identifier une œuvre de manière particulièrement efficace (tomographie, analyses physico-chimiques, datation…). L’enjeu est d’obtenir une information fiable sur les propriétaires successifs d’une œuvre et la certitude que cette dernière n’est pas un faux.

2- La tokenisation d’actifs consiste à convertir les droits qui sont attachés à un actif comme la titrisation, mais en un jeton numérique : la tokenisation a alors recours à la technologie blockchain qui permet avec une certaine transparence pour les parties, de favoriser la traçabilité des transactions, en proposant une sécurité renforcée des données.

3- Monart.art : Dernière plateforme utilisant la blockchain à avoir été lancée : Art Marketplace & Community | Earn Money With art, le 17 octobre dernier à Paris.

4- Droit de suite : Rémunération dont bénéficient les auteurs d’œuvres originales - au sens du marché de l’art - graphiques et plastiques, lors des reventes de leurs œuvres au cours desquelles intervient un professionnel du marché de l’art. Proposition de la plateforme Monart, à chaque transaction inscrite sur sa plateforme, d’en faire bénéficier l’artiste et/ou ses ayants droits…

5- La financiarisation étant la transposition au Monde de l’art du phénomène de la mondialisation des capitaux et des investisseurs ainsi que le développement de nouvelles approches financières dans la gestion des actifs. Le marché de l’art, par essence "physique", devient, un marché globalisé et mondial, et les œuvres d’art sont analysés comme des actifs financiers…

6- Au sens de "Connoisseurs", terme anglais au sens d’Experts en art d’une époque, d’un courant, d’un artiste. La blockchain est une technologie aussi efficace que possible en fonction des données qu’on y introduit et c’est tout l’enjeu du tiers de confiance…

7- C’est un autre véritable enjeu dans une économie de marché dérégulé car il existe une fiscalité du marché de l’art avec des réglementations spécifiques propres aux pays et/ou zones économiques concernées.

8- La maison de vente Christie’s organise depuis 2 ans le art+Tech Summit, comme le Groupe Beaux arts Magazines en France, le art Market Day - dont la prochaine édition se tiendra à Paris en Novembre.

9- L‘économie de la connaissance s’appuie sur une circulation accrue de l’information et la croissante dématérialisation des échanges et produits 

10- Disruption : en économie, on utilise ce terme lorsqu’un nouveau produit ou service radicalement innovant, bouleverse les habitudes de consommation et casse les codes du marché concerné en créant véritablement une rupture (un avant/ après); soit un nouveau «"marché", un nouveau modèle économique, de nouveaux comportements chez les utilisateurs.