Pacte Dutreil : réformer sans affaiblir la transmission d'entreprise

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Pilier de la transmission d'entreprise depuis plus de vingt ans, le Pacte Dutreil est au cœur de discussions parlementaires. Réformer, oui, mais sans en faire un frein à la transmission familiale.

L’Assemblée nationale a récemment voté plusieurs amendements visant à mieux encadrer le Pacte Dutreil, ce dispositif fiscal emblématique de la transmission d’entreprises familiales. Derrière cette réforme, un enjeu majeur, celui de préserver l’équilibre entre justice fiscale et pérennité économique. Car si la lutte contre les abus est légitime, il serait dangereux de fragiliser un outil qui demeure essentiel à la vitalité du tissu entrepreneurial français.

Le Pacte Dutreil, pilier de la transmission d’entreprise

Créé par la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, le Pacte Dutreil offre une exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit (donation ou succession) lors de la transmission d’une entreprise, sous réserve d’un engagement de conservation des titres pendant plusieurs années.
L’objectif initial était de faciliter la transmission intergénérationnelle et éviter que des entreprises familiales, souvent à forte valeur patrimoniale mais à liquidités limitées, ne soient contraintes de se vendre pour payer les droits de succession/donation.

Vingt ans plus tard, le dispositif s’est imposé comme un levier majeur de continuité économique, notamment pour les PME et ETI familiales, qui constituent une part essentielle du tissu productif français. Toutefois, son coût budgétaire a attiré l’attention du gouvernement et de la Cour des comptes, qui y voient une “niche fiscale” de plus en plus lourde pour les finances publiques.

Une réforme motivée par le souci de justice fiscale

Selon un rapport à paraître de la Cour des comptes, le coût du Pacte Dutreil aurait atteint 5,5 milliards d’euros en 2024, bien au-delà de l’estimation historique de 800 millions. L’institution financière y dénonce notamment des dérives : certains contribuables auraient utilisé le dispositif pour alléger leurs droits de succession sur des biens non professionnels, sans lien réel avec une activité économique.

Face à ces constats, l’Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements correctifs. Les députés ont notamment décidé d’exclure les biens personnels – comme certains immeubles artificiellement rattachés à une activité – du champ des exonérations.
Ils ont également voté l’allongement de la durée minimale de détention des titres, qui passerait de quatre à six ans, ainsi qu’un critère d’âge imposant qu’au moins un bénéficiaire de la transmission ait entre 18 et 60 ans, afin d’éviter les montages purement patrimoniaux. Ces ajustements restent provisoires, puisque la loi de finances n’a pas encore été adoptée. Le Sénat, dominé par la droite, pourrait à son tour amender le texte.

Ces propositions de réforme traduisent une volonté de rendre le Pacte plus vertueux. Néanmoins, ils posent une question capitale : jusqu’où réformer sans nuire à l’objectif fondamental du dispositif ?

La réforme ne doit pas punir ceux qui transmettent réellement

La lutte contre les abus est évidemment nécessaire. Certains cas, comme celui souvent cité du chalet avec un bureau professionnel, ont discrédité un outil pourtant utile. Mais réformer le Pacte Dutreil ne doit pas conduire à l’affaiblir. Le risque, à vouloir trop restreindre son champ ou allonger excessivement ses conditions, serait de freiner les transmissions légitimes et d’exposer de nombreuses entreprises familiales à des impasses financières.

Car dans la réalité, beaucoup d’héritiers n’ont pas la trésorerie suffisante pour s’acquitter des droits de donation ou de succession. Sans le Pacte Dutreil, nombre d’entre eux seraient contraints de vendre tout ou partie de l'entreprise, parfois à des groupes étrangers. Une telle évolution ne serait pas seulement dommageable pour les familles concernées, mais pour l’économie française dans son ensemble.

Exemple concret de l'impact d'une transmission sans Pacte Dutreil

Prenons le cas d’un chef d’entreprise de 75 ans, fondateur et dirigeant d’une SAS qu’il a bâtie au fil de sa vie.
À son décès, son fils unique, qui travaille à ses côtés depuis plus de quinze ans et maîtrise parfaitement l’activité, souhaite reprendre la direction de la société en tant qu’associé majoritaire. La valorisation des actions de l’entreprise à transmettre s’élève à 3,5 millions d’euros.

Sans le Pacte Dutreil, la transmission au profit du fils se traduirait par environ 1,3 million d’euros de droits de succession à régler. Cependant, l’héritier ne dispose pas du patrimoine financier nécessaire pour s’acquitter d’une telle somme.
Il se retrouve alors face à une alternative : vendre tout ou partie de la société – parfois à des acteurs étrangers – pour payer le fisc, ou liquider l’entreprise afin de puiser dans sa trésorerie.

Dans les deux cas, c’est la survie de l’entreprise qui est en jeu, ainsi que les emplois qu’elle génère. Ce scénario illustre la raison d’être du Pacte Dutreil : permettre aux héritiers repreneurs de préserver l’activité économique plutôt que d’être contraints de la sacrifier sur l’autel de la fiscalité successorale.

Adapter sans affaiblir le Pacte Dutreil

Le Pacte Dutreil mérite d’être ajusté, modernisé et recentré sur sa vocation première : la transmission intergénérationnelle réelle des entreprises. Il faut en effet éviter que le dispositif ne soit utilisé à des fins purement patrimoniales, sans projet entrepreneurial. Mais le supprimer ou le durcir à l’excès reviendrait à sacrifier un outil de conservation des entreprises sur l’autel du rendement budgétaire.

Une réforme équilibrée pourrait par exemple :

  • maintenir l’exonération à 75 % en réservant strictement l’éligibilité aux actifs réellement professionnels ;
  • allonger raisonnablement la durée de détention des titres, sans excès, afin de garantir la stabilité de l’actionnariat tout en laissant la possibilité d’une revente lorsque cela s’inscrit dans un projet économique cohérent (réinvestissement favorisant l’innovation) ;
  • renforcer le contrôle a posteriori pour s’assurer du respect des engagements de gestion et d’emploi.

En somme, il faut corriger les abus sans étouffer l’esprit du Pacte Dutreil : encourager la transmission d’entreprise, la stabilité de l’emploi et la conservation des savoir-faire en France.

Le contexte budgétaire ne doit pas tout justifier

Dans un contexte de tension budgétaire, accroître les recettes fiscales se justifie, tant les besoins sont importants. 
Néanmoins, il serait contre-productif que cette quête de recettes immédiates se fasse au détriment de la production de richesses. Les entreprises, qu’elles soient familiales ou non, sont le moteur de la création de valeur, d’emplois et donc de recettes fiscales.

Chaque entreprise qui disparaît faute de transmission réussie constitue une perte sèche pour l’État et induit moins d’impôt sur les sociétés, moins de taxes sur les salaires, moins de consommation des ménages. À terme, cela pourrait appauvrir les Français dans leur ensemble.

Le vrai enjeu de la politique économique n’est pas seulement d’augmenter les recettes à court terme. Il est aussi primordial de préserver et de stimuler la capacité productive du pays. La politique budgétaire doit s’envisager dans une approche globale : il convient de mieux dépenser les deniers publics, d'améliorer le ciblage des aides accordées aux entreprises et de protéger les ménages les plus modestes.

Réformer intelligemment, avec une vision à long terme

En conclusion, le Pacte Dutreil doit évoluer pour lutter contre certains abus, c’est une évidence. Toutefois, ce changement doit être lucide et équilibré. Une réforme trop brutale ou idéologique risquerait de briser la dynamique de transmission et de fragiliser notre tissu productif.

La transmission d’entreprise simplifiée n’est pas seulement une affaire de fiscalité : c’est un enjeu social et territorial. 
Elle garantit la pérennité des entreprises sur notre sol, des recettes fiscales stabilisées et le maintien de l’emploi dans les territoires. Dans un contexte où la France cherche à réindustrialiser et à relocaliser, affaiblir le Pacte Dutreil serait une erreur stratégique. L’avenir du dispositif repose sur une adaptation mesurée, conciliant justice fiscale et compétitivité économique.