Les éditeurs US découvrent que le digital ne les sauvera pas
Non seulement les lecteurs désertent les journaux papiers mais en plus les internautes papillonnent d'un titre à l'autre, préférant les plateformes aux sites de presse et le mobile au web fixe.
Le constat ne date pas d'hier. Entre la digitalisation des usages, un contexte publicitaire difficile et désormais la concurrence grimpante des plateformes sociales, l'état de santé de la presse papier n'a jamais été aussi précaire. Mais l'examen du rapport "State of News Media" du cabinet Pew Research Center, qui prend chaque année le pouls du marché US, achève de l'imposer.
Le malade ne va pas mieux. Il n'a même jamais été aussi mal en point après une année 2015 marquée par une baisse de 7% des ventes en semaine de la presse (ventes au numéro papiers et numériques). Soit la chute la plus brutale depuis 2010. Une dégringolade qui risque de s'aggraver avec la génération des millennials, ces 18-35 ans qui ne jurent que par le "tout gratuit" et qui est amenée à devenir le cœur de l'audience des groupes de presse dans les années à venir.
Le plus inquiétant dans tout ça ? La désertion des lecteurs américains ne s'explique pas tant par leur refus de payer pour de l'information que par le désintérêt qu'ils manifestent vis-à-vis à des journaux papiers. Une étude commandée en janvier 2016 par Pew révélait qu'à peine 5% des Américains qui s'étaient informés sur l'élection présidentielle la semaine précédente citaient la presse papier comme leur source d'information la plus utile, loin derrière la TV, la radio, les sites Web et les réseaux sociaux.
Les groupes de presse traditionnelle n'ont donc pas d'autre choix que de suivre leur audience et de miser gros sur leur développement numérique. Un quart des revenus des groupes de presse cotés aux US (Tribune Publishing, Gannet, New York Times, Lee Enterprise, AH Belo) provient d'ailleurs désormais du digital. Une forte évolution par rapport à 2006 quand le ratio était de 5%. Une forte hausse par rapport à 2006 quand le ratio était de 5%. Mais cette évolution est en trompe l'œil, car elle tient davantage à la chute du marché offline (encore -9,9% en 2015 par rapport à 2014) qu'à la croissance du digital (qui est d'ailleurs en baisse de 1,5% sur un an en 2015).
Une bascule mobile qui saigne les médias US
Et si quelques journaux papiers pensaient être sur la bonne voie dans leur transition du print vers le Web, le mobile les fait déchanter. 39 des 50 journaux US étudiés par Pew ont vu leur nombre de visiteurs uniques sur Web fixe diminuer entre 2014 et 2015. La chute est de plus de 10% pour 28 d'entre eux. Ils sont au contraire 43 à avoir vu l'indicateur augmenter sur mobile. 35 ayant même une hausse de 10% ou plus.
Problème, ce basculement vers le mobile s'accompagne d'une perte de chiffre d'affaires, avec des publicités bien moins rémunérées. Mary Meeker estime le manque à gagner pour l'ensemble des acteurs du mobile à près de 22 milliards de dollars en 2015, vu le temps passé sur le terminal.
Autre problème, si le nombre de visiteurs uniques ne cesse de croître sur mobile, l'engagement de ces mobinautes suit la courbe inverse. 34 des groupes de presse étudiés voient le temps passé sur leurs services par les mobinautes décliner. Car sur smartphone, plus que sur tout autre device, l'audience des médias est très volatile. Les mobinautes atterrissent sur les pages des éditeurs, depuis Google ou Facebook, et ne font que picorer de l'information. Selon Pew, 80% des visiteurs d'un site mobile ne lit qu'un article sur ce site chaque mois. Impossible dans ces conditions d'installer la notoriété de sa marque dans l'esprit du mobinaute. Un challenge que la plateformisation des médias risque de rendre encore plus ardu.
Facebook et Google captent plus de 60% du marché pub mobile
Il faut dire que le duo Google et Facebook est plutôt encombrant sur mobile où sa part de marché publicitaire combinée est en croissance de 76% aux Etats-Unis. Les deux géants captent à eux seuls plus de 60% des investissements publicitaires mobiles. De quoi en faire autant des amis que des ennemis pour les médias traditionnels qui, en acceptant d'aller sur Instant Articles et AMP, cherchent à profiter du succès de ces services, mais prennent le risque de se faire dévorer par les deux gloutons.
Certains pure players s'en accommodent, comme Buzzfeed dont plus de 70% de l'audience n'est plus réalisée chez lui. Mais ces acteurs sont aidés par un modèle qui les rend bien plus flexible que leurs homologues papiers, car eux sont capables de produire beaucoup pour pas cher et revoir leurs exigences de CPM à la baisse en jouant sur les volumes. L'équation économique est bien plus compliquée à tenir pour les médias traditionnels, la faute à une structure de coûts beaucoup plus rigide.
Beaucoup n'ont d'ailleurs pas d'autre choix que de tailler dans leurs troupes pour sauver leur rentabilité, ou à défaut ne pas creuser leur déficit, en témoigne une baisse de 10% des effectifs moyens en 2015. Autant que le record de 2009. Au final, 20 000 postes ont disparu au cours des 20 dernières années, soit près de 39% des emplois. De même, ce sont pas moins de 100 titres qui ont mis la clef sous la porte en l'espace de 10 ans, leur nombre tombant de 1 457 à 1 331 entre 2004 et 2014 aux Etats-Unis. Une morosité qui explique sans doute pourquoi l'association de la presse américaine a arrêté de communiquer à partir de 2014 l'évolution des revenus du marché.