Jean-Baptiste Kempf (VideoLAN, éditeur de VLC) "VLC est le logiciel français le plus utilisé au monde"

Né dans une école d'ingénieurs française, le logiciel gratuit et libre VLC est devenu un incontournable du multimédia. Entretien avec Jean-Baptiste Kempf, fondateur de l'association VideoLAN, pour retracer son histoire et ses ambitions.

JDN. Comment est né VideoLAN, éditeur de VLC Media Player, et quel est votre rôle dans le développement de cette association à but non lucratif ?

Jean-Baptiste Kempf est le président de VideoLAN, l'éditeur de VLC. © VideoLAN

Jean-Baptiste Kempf.  VideoLAN est la continuité d'un projet d'étudiants né à l'école Centrale Paris dans le milieu des années 90. En 2001, le projet VideoLAN Client devient open source, avec l'autorisation de l'école, et je commence à m'impliquer personnellement en 2003 lors de mon entrée à Centrale Paris. Je fonde l'association VideoLAN en 2008, marquant ainsi l'indépendance au projet vis-à-vis de l'école. Au cours des années qui suivent, nous faisons grandir le logiciel en passant de quelques millions à plusieurs centaines de millions d'utilisateurs. J'y consacre une grande partie de mon temps libre, soit près de 30 à 40 heures par semaine, en parallèle de mon activité de CTO de Scaleway.

VLC cumule aujourd'hui plus de 6 milliards de téléchargements. Comment ce lecteur multimédia gratuit et libre a-t-il réussi à s'imposer face aux solutions propriétaires des géants technologiques ?

La principale force de VLC est de pouvoir lire tous les formats vidéo et audio, ou presque. Le logiciel a apporté une solution définitive au problème des codec packs de l'époque. En fonction de si l'on utilisait Windows Media Player ou Real Player, il fallait télécharger des packs de codecs pour lire certains formats de vidéos, qui eux-mêmes ne fonctionnaient pas toujours. VLC intègre directement tous les codecs nécessaires. L'autre explication du succès de VLC réside dans sa simplicité d'utilisation et sa nature multiplateforme, géré par une association à but non lucratif et continuellement amélioré par des contributeurs bénévoles du monde entier. C'est aujourd'hui le logiciel français le plus utilisé au monde, avec plus de 500 millions d'utilisateurs actifs, incluant l'usage sur les plateformes mobiles Android et iOS, l'Apple TV, etc.

Au-delà de lecteur VLC, quelles sont les autres technologies développées par VideoLAN ?

VideoLAN est une association loi 1901 française et gère plusieurs projets majeurs au-delà de VLC. Parmi eux figure x264, l'encodeur vidéo H.264 le plus utilisé au monde, que l'on retrouve au cœur des services web vidéo comme YouTube, Facebook, Vimeo et d'autres. Bien qu'il soit peu connu du grand public, x264 encode une grande partie des vidéos que nous visionnons quotidiennement sur le web. VideoLAN développe également dav1d, un décodeur vidéo AV1 conçu pour lire les vidéos modernes dans ce nouveau format. Ce décodeur est désormais intégré dans toutes les versions de Windows, macOS, iOS, mais aussi dans les navigateurs Safari, Chrome ou Firefox, ainsi que dans des applications comme celles de Netflix ou Facebook.

Quel intérêt tirez-vous d'avoir adopté un modèle entièrement open source ?

Sans l'open source, VLC n'existerait pas. Le projet VideoLAN est essentiellement géré par la communauté de manière bénévole. Ce modèle open source explique la capacité de VLC à s'adapter continuellement pour lire tous les types de vidéo. Via GitLab, la communauté est libre de proposer des améliorations et la prise en compte de nouveaux formats. Le nombre de contributeurs bénévoles est de plus d'une centaine chaque année, avec un noyau dur de développeurs actifs, dont je fais partie, composé de cinq personnes et un deuxième cercle de contributeurs réguliers d'une vingtaine de personnes.

Outre les dons, comment financez-vous VideoLAN ?

A partir de 2013, j'ai créé plusieurs sociétés de service qui emploient des membres de la communauté. Ces sociétés répondent aux besoins d'entreprises, notamment grands comptes tels que Google, Nvidia, Netlix, ou encore Free, pour intégrer la technologie de Videolan dans leurs propres applications. Ces sociétés opèrent indépendamment de l'association à but non lucratif tout en contribuant à accélérer le projet dans son ensemble.

Avez-vous reçu des offres de rachat pour VLC ?

Je n'ai jamais cherché à en faire un business. D'ailleurs, il n'existe pas et il n'y aura jamais de version pro de VLC. J'ai effectivement reçu plusieurs offres de rachat pour des montants importants, et la raison pour laquelle j'ai toujours décliné jusqu'à présent était que ces acquéreurs ne voulaient pas faire de VLC quelque chose qui me paraissait bien pour les utilisateurs. Par exemple, installer des adwares lors de l'installation de VLC sont des choses qui me paraissent immorales et vont à l'encontre de mes principes.

De plus, il faut noter qu'il est compliqué de mettre en place un business model B2C autour de VLC, dont le code est accessible en open source. Il y a des règles et licences en place qui limitent certaines pratiques. En bref, je n'ai pas reçu d'offre de potentiels acquéreurs qui apporterait réellement de la valeur aux utilisateurs de VLC.

VLC a fait sensation au CES 2025 en présentant une fonctionnalité de sous-titres générés en temps réel et en local. Quels ont été les défis techniques ?

Cette fonctionnalité ouvre la porte à de nouveaux usages. Concrètement, un utilisateur thaïlandais ou vietnamien peut désormais visionner un film ou n'importe quel contenu vidéo en anglais ou espagnol, même sans sous-titres préexistants. Le système repose sur deux modèles distincts. Le premier, basé sur Whisper d'OpenAI, est dédié au speech-to-text et peut traiter une trentaine de langues en entrée. Le second assure la traduction et fonctionne dans près d'une centaine de langues. Tout ce processus s'exécute entièrement en local, sans aucune connexion internet requise, garantissant ainsi la protection des données des utilisateurs.

Au-delà des sous-titres, quelles autres intégrations de l'IA envisagez-vous pour VLC ?

Avec les sous-titres, nous avons montré qu'il est possible de faire de l'IA open source on-device, c'est-à-dire d'avoir des algorithmes fonctionnant directement sur l'ordinateur, sans dépendre d'un service web externe. Encore peu d'acteurs le proposent. Pourtant, il y a énormément de choses à explorer dans ce domaine. L'IA, cela reste fondamentalement des algorithmes et il n'y a pas de raison que cela soit la chasse gardée de quelques acteurs américains. Il y a encore plein d'autres usages à développer pour VLC, comme la détection d'objets par exemple. Nous pourrions imaginer, dans le futur, pouvoir cliquer sur un objet ou un acteur dans une vidéo pour obtenir instantanément des informations sur celui-ci.

VLC pourrait prochainement intégrer du streaming, en prenant en charge les chaines gratuites FAST TV (Free Advertising Supported Streaming TV, ndlr). Prévoyez-vous de faire évoluer VLC d'un simple outil à une plateforme de contenus ?

Effectivement, il s'agit peut-être de la prochaine évolution de VLC. L'objectif serait de permettre à des créateurs ou artistes de mettre en avant leurs contenus ailleurs que sur les principales plateformes, comme Youtube, tout en offrant une option supplémentaire à ceux qui souhaitent le consommer. En comparaison, les podcasts audios sont généralement disponibles sur une dizaine de plateformes. Je ne vois pas pourquoi il en serait différent avec la vidéo. Notre volonté n'est pas d'héberger du contenu mais de le rendre accessible, un peu à l'instar d'un agrégateur. Tout cela resterait évidemment optionnel pour les utilisateurs. C'est un projet important qui demandera du temps et des ressources.

Jean-Baptiste Kempf est le créateur de l'association à but non lucratif VideoLAN et l'une des figures centrales du développement du lecteur VLC media player. Acteur majeur de l'écosystème open source depuis plus de 20 ans, il maintient des dizaines de projets open source, a fondé plusieurs start-up dans les domaines du multimédia et du jeu vidéo, et conseillé des fonds d'investissement. Il est également le fondateur et dirigeant de Kyber, une start-up dédiée au contrôle en temps réel de machines et de robots. Il est actuellement le CTO de Scaleway, où il œuvre à construire un cloud souverain européen.