Jean-Christophe Tortora (CMA Média) "La publicité représente un tiers des revenus de La Provence et la majorité des recettes de La Tribune"

Jean-Christophe Tortora, président de La Tribune et patron du pôle presse de CMA Média, dresse le bilan et partage avec le JDN sa feuille de route pour chacun de ses titres phares.

JDN. Quel bilan tirez-vous du pôle presse de CMA Média, trois ans après sa première acquisition ?

Jean-Christophe Tortora, président de La Tribune et patron du pôle presse de CMA Média. © CMA Média

Jean-Christophe Tortora. C'est une rentrée plutôt positive pour le pôle presse de CMA Média, que nous segmentons en trois thématiques : la proximité, l'économie et l'information. Pour ce qui est du pôle proximité, qui englobe La Provence et Corse Matin, soit les premiers investissements de CMA CGM dans la presse, nous constatons déjà une amélioration des résultats. Nous sommes encore loin de l'équilibre économique mais nos journaux perdent beaucoup moins d'argent qu'au moment de leur reprise, il y a trois ans. Nous visons à La Provence un résultat proche de -10 millions d'euros, soit une amélioration de l'ordre de 35% du résultat de gestion menée sous la direction de Jean-Louis Pelé, directeur général du groupe La Provence - Corse Matin.

Cela prouve bien que le travail qui a été initié il y a trois ans commence à donner des résultats. Un retournement du modèle économique prend du temps. Il nous faut réduire les coûts et lancer une dynamique de diversification et d'augmentation de revenus. Je vis cette rentrée comme une sorte d'entrée en maturité du pôle proximité avec l'inauguration d'un nouveau siège pour nos équipes à Grand Central, au cœur de Marseille, et l'ouverture dès le 1er octobre d'une nouvelle imprimerie, à Vitrolles.

Le choix d'ouvrir une imprimerie en dit long sur l'importance du papier encore dans votre économie, non ?

Le papier est certes en baisse structurelle mais il répond pour la majorité de nos revenus. De plus, la PQR ayant pour mission d'être à la portée de tous les lecteurs, elle ne peut exclure le papier. Si nous souhaitons améliorer nos résultats, nous devons aussi baisser nos coûts. Le choix de ne pas externaliser l'impression est ambitieux. Nous avons souhaité maîtriser notre chaîne de production à travers cet outil industriel partagé avec Nice Matin (dont l'acquisition par CMA Média n'est pas officiellement à l'ordre du jour pour le moment, ndlr). Nous sommes une industrie en transition, il faut maintenir le bon équilibre entre les deux, le papier et le digital, et innover pour diversifier les formats et s'installer dans l'avenir.

Où en sont vos audiences ?

Notre projet éditorial recentré sur la proximité commence à montrer ses premiers résultats avec +15% de croissance d'audience sur le digital depuis le début de l'année pour La Provence et un doublement de nos audiences sur la vidéo. Pour conquérir les publics plus jeunes il nous faut choisir les bons formats, comme le social et le podcast, où nous avons battu des records d'audience avec notamment "Cartel Nord" (plus d'un million et demi de visites d'un public jeune). La Provence peut s'adresser à tout le monde dans le territoire, à condition de s'adapter aux nouveaux usages.

C'est avec cette idée en tête que nous avons lancé le 20 septembre MAX, pour Media Audio Experience, sur La Provence. Les plus jeunes sont aujourd'hui fortement orientés sur l'audio. La spécificité de MAX est de vous proposer les contenus du journal à la manière d'une émission de radio. MAX, c'est un projet industriel de quelques millions d'euros, une innovation mondiale que nous menons avec Mistral AI, Google, Kyutai et BCG X, un vrai pari sur le long terme. C'est une manière de dire aux gens qui ne nous lisent plus qu'ils peuvent nous écouter désormais. Nous valorisons 100% du travail de nos 154 journalistes avec une expérience audio d'une très grande qualité. Nous déploierons MAX sur nos autres marques de presse dès janvier 2026.

La presse écrite se porte mal. Les abonnements peinent à décoller, la diffusion payante baisse et la publicité chute d'année en année même sur le digital. Où trouver des leviers de croissance ?

Chaque année en effet, nous observons une attrition de l'ordre de 10% des ventes de journaux chez les marchands de journaux. Cette baisse a des impacts économiques très violents pour la PQR. Pour compenser cela, il faut beaucoup s'investir sur le numérique. Nos abonnements numériques sont en hausse de 5% depuis le début de l'année. C'est bien mais ce n'est pas suffisant pour compenser la baisse du print. C'est pour cela que depuis le début de l'année nous soignons tout particulièrement notre projet éditorial. Pour assurer son avenir, le projet de La Provence doit être vraiment en phase avec les attentes des habitants de Marseille et de la Provence. Nous investissons beaucoup plus sur la proximité, en déployant de nouveaux correspondants et en élargissant notre présence géographique pour toucher aussi les plus petites villes et communes.

Pour ce qui est de votre pôle économique, avec La Tribune, où en êtes-vous ?

Là aussi nous sommes en train d'innover, vu que nous mettons progressivement en place depuis cette rentrée une plus forte coopération entre les équipes de La Tribune et de BFM Business. Les frontières entre la presse et l'audiovisuel sont en train de s'effacer. Les lecteurs suivent des marques médias présentes sur tous les fronts, papier, audio et vidéo. Avec Arnaud de Courcelles, directeur général de BFM Business, nous avons l'ambition de créer en France un acteur leader sur l'information économique, un pôle BFM Business-La Tribune qui est en train de se concrétiser. Au total, ce sont 140 journalistes économiques qui vont coopérer au sein de ce nouveau pôle, qui va démarrer le 1er décembre. Les deux marques vont certes continuer d'exister de manière autonome et les rédactions ne vont pas fusionner. Mais elles vont se nourrir mutuellement de leurs richesses respectives : la Tribune apportera son savoir-faire à BFM Business, qui lui rendra en notoriété. Ce nouveau pôle d'informations économiques sera le seul à être présent sur tous les canaux (radio, TV, digital et événementiel). 

Où en est La Tribune justement de ses audiences, abonnés et revenus ?

La Tribune réalise aujourd'hui environ 10 millions d'euros de chiffres d'affaires, 18 millions si on y inclut La Tribune Dimanche. Quand je l'ai cédée il y a deux ans au groupe CMA CGM, La Tribune était rentable grâce à son modèle mêlant abonnements, événementiel et digital. Comme nous sommes répartis sur une phase d'investissements, en augmentant les verticales et le nombre de journalistes, nous réaliserons des pertes cette année. Mais ce n'est que provisoire, nous comptons revenir à l'équilibre dès l'année prochaine. La vocation de La Tribune est d'être rentable tout comme BFM Business est rentable. La Tribune aujourd'hui a plus de 10 000 abonnés, soit une hausse de plus de 13% sur un an. Sa spécificité est d'être un site d'information, d'analyse et de prospective sur les secteurs clés dans lesquels la France doit être souveraine aujourd'hui. Il est produit par une quarantaine de journalistes.

Un mot sur la Tribune Dimanche ?

Avec Tatiana de Francqueville, directrice générale de La Tribune Dimanche, nous sommes très satisfaits des résultats de la Tribune Dimanche, lancée il y a deux ans. La diffusion payée est de l'ordre de 50 000 exemplaires (digital et print, 48 583 précisément selon l'ACPM, ndlr), soit 7% de croissance en an et 12% depuis son lancement, quand un Journal du Dimanche, qui a près de 70 ans d'existence, déclare avoir environ 100 000 (111 787 d'après l'ACPM, ndlr) exemplaires. En seulement deux ans, nous avons déjà fait la moitié de ce que représente le JDD, notre dynamique de croissance est donc très positive. C'est une belle victoire pour nous.

A noter que nous sommes leaders sur le marché publicitaire, avec entre 55% et 60% des parts le dimanche, face au Parisien et au JDD. A noter également que le digital répond pour la moitié de notre diffusion. Cela s'explique aussi par un nombre trop limité de marchands de journaux qui sont ouverts le dimanche. Nous avons beaucoup de projets pour La Tribune Dimanche dans le développement de notre offre numérique mais également dans l'événementiel porté par la rédaction, qui marche très bien aussi.

Quelle est l'importance de la publicité pour vos titres et observez-vous des baisses ?

Aujourd'hui la publicité représente un tiers des recettes de La Provence. Sur La Tribune et La Tribune Dimanche, la pub est majoritaire, de l'ordre de 75% dont plus de la moitié via l'évènementiel. Nous observons des baisses des recettes publicitaires sur la PQR mais pas sur La Tribune Dimanche, qui est en phase de lancement, sans compter que beaucoup d'annonceurs ont quitté le JDD pour venir chez nous. Ceci étant, mon objectif est de continuer de développer fortement la part de la vente des contenus et des abonnements. Le modèle publicitaire est très fragilisé par la baisse du trafic provenant des moteurs de recherche, que nous identifions bien aujourd'hui aux Etats-Unis. Cela est un fait et ne fera que s'aggraver avec l'essor des agents d'intelligence artificielle. Nous avons intérêt à mettre tous nos efforts sur nos marques et sur des projets éditoriaux solides, afin que les gens choisissent nos marques pour y trouver du contenu.

Etes-vous en discussions avec les entreprises d'IA pour mettre en place des accords de collaboration ?

Nous sommes fortement sollicités. Nous échangeons avec eux. Je préfère prendre mon temps avant de me décider. Ces discussions sont là pour nous aider à identifier les modèles du futur mais il faut que ce soit win-win. Si je me base sur la manière dont la presse a été traitée par le digital ces 20 dernières années, cela n'a pas été tout à fait le cas. Une grande partie de la valeur produite par la presse est partie ailleurs que dans nos propres entreprises. Nous devons être prudents afin de protéger notre souveraineté informationnelle, en France et en Europe.