L'accord Netflix & Warner, nouveau test pour les motivations anti-monopole de l'administration Trump

L'accord Netflix & Warner, nouveau test pour les motivations anti-monopole de l'administration Trump Le président va devoir trancher entre satisfaire son aile populiste et la Silicon Valley. Un numéro d'équilibriste qui s'annonce compliqué pour le président américain.

C’est un accord aussi gargantuesque que symbolique : Netflix a mis 83 milliards de dollars sur la table pour racheter les studios Warner Bros., qui comptent parmi les plus vieux et emblématiques du pays. De quoi illustrer la spectaculaire montée en puissance de la vidéo à la demande, qui permet à Netflix de venir chasser sur les terres jadis imprenables d’Hollywood. Un fait certes déjà illustré par le rachat de la Metro-Goldwyn-Mayer par Amazon, annoncé en mai 2021. Mais on parlait toutefois alors d’un accord à 8,5 milliards de dollars : ici, le pactole engagé est dix fois plus conséquent.

L’accord, en plus de mettre dans l’escarcelle de Netflix un studio iconique détenant les licences d’Harry Potter, Superman ou encore Batman, renforcerait considérablement la position de l’entreprise sur le streaming. La Warner détient en effet HBO Max, le service de vidéo à la demande qui détient les droits de Game of Thrones, et rivalise pour la troisième place avec Disney+ en matière de part de marché aux Etats-Unis, derrière Netflix et Amazon Prime.

La coalition MAGA divisée

L’affaire n’est cependant pas encore dans le sac. Netflix va notamment devoir convaincre les autorités anti-monopole américaines du bien fondé de ce rachat. Or, la coalition MAGA est sur ce point extrêmement divisée. D’un côté, l’aile populiste, qui constitue la base électorale historique du président, celle qui l’a porté au pouvoir en 2017, souhaite une rupture avec le laisser-faire qui dominait le Parti républicain depuis les années Reagan. Elle souhaite prendre le parti des travailleurs et des consommateurs contre les grandes entreprises, défend les syndicats, veut une réduction drastique de l’immigration, y compris légale et choisie, réclame des droits de douane et la lutte acharnée contre les monopoles, y compris et surtout ceux des Big Tech. Le vice-président JD Vance a à cet égard salué à plusieurs reprises le travail de Lina Khan, l’ancienne patronne de la FTC, le gendarme américain de la concurrence, sous l’administration Biden, devenue la bête noire des Big Tech pour sa lutte acharnée contre les monopoles technologiques.

De l’autre, les transfuges de la Silicon Valley, qui penchaient jadis côté démocrate, mais se sont ralliés à Trump, notamment à cause de la politique perçue comme antitech de l’administration Biden. Ces derniers attendent au contraire du président qu’il adopte une approche minimaliste favorisant la bonne marche des affaires : baisse des impôts, des régulations, défense contre les sanctions européennes et approche laxiste sur les fusions/acquisitions.

L’administration Trump ménage les camps

Depuis son retour au pouvoir, Trump s’efforce de contenter les deux factions, adoptant des mesures tantôt favorables à l’une, tantôt favorables à l’autre, ce qui donne à sa politique un aspect chaotique, alors que celle-ci est en réalité contrainte par des intérêts électoraux indépassables. Sur le plan de la lutte anti-monopole, l’administration Trump n’a pas tranché de manière claire en faveur d’un côté ou de l’autre, même si les signaux vont pour l’heure plutôt dans le sens d’une continuité avec l’administration Biden.

Au poste clé de cheffe de la division anti-monopole du département de la Justice, Trump a ainsi nommé Gail Slater, qui a remplacé Jonathan Kanter, lui-même nommé par Joe Biden. Avec son prédécesseur, elle partage une ferme volonté de lutter contre les monopoles technologiques. "Gail Slater est une excellente candidate pour poursuivre le travail de Jonathan Kanter", avait réagi Sacha Haworth, du Tech Oversight project, un lobby favorable à la régulation des Big Tech, lors de sa nomination. Choisi par le président pour remplacer Lina Khan à la tête de la FTC, Andrew Ferguson a lui aussi affirmé vouloir poursuivre la lutte acharnée contre les monopoles menée par sa prédécesseuse. Donald Trump, qui n’a certes pas le pouvoir de bloquer la fusion, mais pourrait faire pression sur l'administration, a en outre déclaré que la "grosse part de marché" sur la vidéo à la demande que l’accord confèrerait à Netflix "pourrait être un problème'".

Qu’elles souhaitent bloquer ou autoriser la fusion, les autorités de la concurrence disposent d’arguments dans les deux cas. D’un côté, la part de marché importante que Netflix acquerrait sur le marché de la vidéo à la demande pourrait être citée comme problématique, avec un risque de hausse des prix pour les utilisateurs. De l’autre, les autorités pourraient citer la taille et la diversification du marché du streaming, qui inclut non seulement les services par abonnement comme Amazon Prime, Disney+ et Apple TV, mais aussi des concurrents indirects comme YouTube.

Paramount en embuscade

Un dernier élément vient toutefois encore compliquer les choses. La Warner a en effet reçu une contre-offre plus élevée (30 dollars par action, contre 27,75 pour Netflix) de Paramount, le plus vieux studio de cinéma américain, qui participe également à la guerre du streaming avec son offre Paramount+.

Outre sa proposition plus attractive, Paramount dispose d’un atout dans sa manche : son directeur général David Ellison. Celui-ci est le fils de Larry Ellison, un donateur du Parti républicain et allié de Donald Trump. Un élément qui, alors que le président s’est fait une spécialité d’intervenir personnellement dans les affaires, est un solide argument en faveur de Paramount : avec le président de son côté, la contre-offre aurait davantage de chances d’aboutir que celle de Netflix. Le président de la plateforme, Reed Hastings, est à l’inverse un opposant de longue date de Donald Trump.

David Ellison ne s’est d’ailleurs pas privé de mettre en avant sa proximité avec celui-ci. "Je suis très reconnaissant de la relation que j’ai avec le président", a-t-il récemment déclaré lors d’une interview télévisée. "Je crois aussi fermement dans la compétition, et permettre au numéro 1 de la vidéo à la demande de fusionner avec le numéro 3 me semble aller contre celle-ci."

Certes, et malgré la plus grande implication de Donald Trump dans les affaires économiques par rapport à ses prédécesseurs, l’approbation d’un tel accord se joue sur beaucoup plus que la simple proximité de l’un des dirigeants avec le président américain. Cet élément supplémentaire vient toutefois compliquer la tâche de Netflix.

Ajoutons que, si l’aile populiste a marqué des points lors des premiers mois du mandat de Donald Trump, notamment avec la mise en place des droits de douane et le durcissement de la politique migratoire, c’est l’aile technophile qui semble dernièrement avoir l’ascendant, en témoignent la réconciliation entre Trump et Elon Musk, l’essor, avec l’aval des autorités, des marchés prédictifs et celui des cryptomonnaies, ainsi que la politique favorable à l’IA. Un feu vert accordé à Netflix (ou même à Paramount) viendrait confirmer cette tendance, tandis qu’un blocage de la fusion marquerait un rééquilibrage en faveur des populistes.