Pixmania, histoire d'une débandade
En trois ans, ce leader français de l'e-commerce, l'un des principaux concurrents d'Amazon en Europe, est arrivé au bord du dépôt de bilan.
Au meilleur de sa forme, sur l'exercice clos le 30 avril 2010, Pixmania enregistrait un chiffre d'affaires en hausse de 15% à 897 millions d'euros réalisé dans 26 pays d'Europe. La société, créée en 2000 par Steve et Jean-Emile Rosenblum, voit même son résultat net progresser de 40% à 10 millions d'euros. A l'époque, elle prévoit de porter ses revenus au-delà du milliard et demi d'euros avant 2015 avec une marge opérationnelle de 6 à 7 %.
Poursuivant sa stratégie de diversification, Pixmania ouvre sans cesse de nouvelles catégories de produits, via sa marketplace et en propre. En outre, le site quitte définitivement le rang des pure players et se lance dans la distribution physique. Son credo : attaquer un univers moins concurrentiel offline et développer une marque multicanale. Une stratégie ambitieuse, mais qui paraît très adaptée à la commercialisation de ses deux catégories phares, le high-tech et l'électroménager.
Fin 2011, Pixmania emploie 1400 salariés et compte 18 magasins, en France et à l'étranger, sur des localisations à fort trafic, en centre-ville ou en centre commercial. Pour superviser l'activité, sont en particulier recrutés François Gazuit, ancien DG de Mr Bricolage et d'Intermarché, puis Fabien Sfez, directeur e-business de PPR et ex-DG de la Fnac. Les frères Rosenblum continueront de croire dur comme fer à cette stratégie jusqu'en 2012, estimant que d'ici 2017 les magasins pourraient représenter la moitié des ventes de Pixmania.
Ereinté par la concurrence
Mais durant les années qui suivent, le chiffre d'affaires de l'e-commerçant stagne... puis recule. Touché de plein fouet par le recul du secteur high-tech et par la concurrence d'Amazon et de Cdiscount, il enregistre une perte opérationnelle de 71,4 millions d'euros sur son exercice 2011-2012 clos fin avril 2012, pour un chiffre d'affaires se repliant à 822 millions d'euros.
Ce qui conduit finalement le groupe de distribution britannique Dixons Retail, propriétaire à 77% de Pixmania depuis 2006, à porter à 99% sa part du capital de l'e-commerçant en août 2012. Ces 22% ne lui coûtent que 10 millions d'euros. Entre les deux opérations, la valorisation de la société est passée de 350 à 45 millions d'euros. Steve et Jean-Emile Rosenblum quittent l'aventure et Dixons confie le gouvernail à l'un de ses hauts responsables, Phil Birbeck.
Afin de "réduire ses coûts et simplifier son organisation", selon les termes du rapport annuel de Dixons, Pixmania se retire de 12 pays et entreprend de fermer tous ses magasins. Il abandonne également bon nombre de catégories de produits pour recentrer son offre sur ses gammes historiques, le high-tech et l'électroménager. Et il quitte l'Avenue de la Grande Armée, à Paris, pour s'installer à Asnières. A l'arrivée, début 2013, ses effectifs ont été réduits de moitié. Sur l'exercice clos fin avril 2013, ses revenus dégringolent de 24% à 605 millions d'euros, chute qui s'accélère même à -36% sur le dernier trimestre de l'exercice. En mai, Dixons Retail indique à la presse son intention de vendre le site marchand voire, s'il ne trouve pas de repreneur, de le fermer.
Des divergences entre fondateurs et actionnaire
Quelles sont les raisons de la débâcle de Pixmania ? Le décrochage massif du secteur high-tech, d'abord, toujours à l'oeuvre actuellement. Ensuite, la concurrence acerbe que lui livrent ses deux rivaux, Amazon et Cidscount. Le premier réinvestit tous ses bénéfices dans sa croissance, le second bénéficie de l'appui efficace du groupe Casino. Autant d'éléments qui contraignent Pixmania à rogner ses marges encore et encore. Enfin, peut-être, des désaccords entre les frères Rosenblum et Dixons Retail sur la stratégie à mener. Face aux projets ambitieux des deux cofondateurs, le distributeur britannique, connu pour "n'avoir jamais été très au diapason du Web", n'était manifestement pas à l'aise sur les investissements à consentir pour maintenir ses parts de marché en ligne en dépit de marges minimales.
Finalement, l'histoire de cet effondrement témoigne surtout de la fragilité des e-commerçants, quelle que soit leur taille. S'adosser à un groupe industriel n'est pas une garantie de survie, encore faut-il trouver un terrain d'entente entre la croissance rentable qu'exigent les distributeurs fatigués d'éponger les pertes et les investissements nécessaires pour survivre et prospérer dans un secteur en perpétuelle mutation. Racheté par Mutares, Pixmania bénéficie d'une seconde chance. Connu pour racheter bon nombre d'entreprises en difficulté et les redresser avec succès, le groupe industriel allemand donnera peut-être un nouvel avenir à l'ancienne pépite de la nouvelle économie française.