Marques digitales, profitez de la crise pour ouvrir vos boutiques

Marques digitales, profitez de la crise pour ouvrir vos boutiques Avec la crise, les coûts d'ouverture d'un commerce physique peuvent être jusqu'à divisés par deux. Une occasion à saisir, mais à certaines conditions, expliquent les dirigeants de BonneGueule, My Jolie candle et Tediber.

Le retail n'a pas fini de connaître des heures difficiles. D'après une étude de l'Agence nationale de la cohésion des territoires publiée en juin 2020, l'augmentation du taux de vacance des locaux commerciaux attendue dans les 18 à 24 mois, conséquence de la crise sanitaire, pourrait dépasser 25% dans certains centres-villes. Avec les confinements, l'activité des commerces indépendants est mise à rude épreuve, se soldant parfois par la fermeture définitive. "La situation actuelle renouvelle le paysage du retail en 2021 car de nombreux locaux sont disponibles sur le marché, analyse Rémi Le Druillenec, cofondateur de l'agence Héroïne Retail Expérience. Les foncières immobilières se rapprochent des marques digitales pour remplir leurs espaces vacants et, dans le même temps, changer leur catalogue."

Dans ce nouveau contexte, les marques se voient même proposer des deals défiant toute concurrence. "Certaines bénéficient d'une dizaine d'emplacements par le biais des foncières immobilières et ne versent que les charges la première année, sans loyer", dévoile Rémi Le Druillenec. Une occasion idéale pour les DNVB qui disposent souvent de budgets moindres pour investir dans le retail. 

Quelle ville, quel emplacement, à quel prix ? 

L'acquisition d'une boutique implique le versement d'un droit au bail : le locataire sur le départ cède son bail à l'arrivant. Le montant peut varier entre une dizaine de milliers d'euros jusqu'à plusieurs centaines de milliers pour les meilleurs emplacements. "Nous ne sommes pas en mesure de débourser 500 000 euros de droit au bail, or actuellement ces emplacements sont parfois disponibles à moitié prix, voire davantage. C'est les soldes !", se réjouit Samuel Guez, fondateur de My Jolie candle. La marque de senteurs a ouvert sa 7e boutique à Annecy au début du mois de mars et prévoit l'ouverture d'une nouvelle boutique à Bordeaux d'ici un mois et demi. Deux ou trois boutiques supplémentaires sont prévues cette année. La crise est donc loin d'avoir mis un coup d'arrêt à la stratégie retail de la marque au 10 millions d'euros de chiffre d'affaires. "Nous avons commencé à développer notre réseau retail bien avant la crise et nous savons que c'est un axe qui porte ses fruits, argumente Samuel Guez. Etant donné le contexte actuel, nous sommes conscients que la rentabilité de nos boutiques sera inférieure à ce que l'on peut espérer d'ici 6 ou 12 mois donc en contrepartie nous misons sur des conditions financières favorables."

Pour définir l'emplacement de ses boutiques, My Jolie candle recense les villes et départements où sont expédiés les colis. "Nous minimisons les risques en ouvrant une boutique où se trouve une partie de nos clients, sachant que notre panier moyens avoisine 50 euros", souligne Samuel Guez. Le choix de l'emplacement, au plus près des flux, n'est pas non plus anodin. La marque ne jette son dévolu que sur les tronçons de rue très fréquentés. Raison aussi pour laquelle My jolie candle continue d'agrandir son réseau retail malgré la crise, puisque les boutiques situées aux meilleurs emplacements sont celles qui souffrent le moins.

Chez BonneGueule également, la stratégie retail ne date pas de la crise sanitaire. La marque de mode masculine, qui dispose déjà de quatre boutiques, a signé un nouvel emplacement à Lille début 2020, en plus d'une boutique à Nantes signée pendant la crise. "En magasin, nous n'attirons pas forcément la même clientèle qu'en e-commerce. Par conséquent, si nous n'avons pas de boutique dans chaque ville où il y a un bassin de consommateurs, nous manquons des clients que nous ne pouvons pas servir par rapport à leur mode d'achat, explique Geoffrey Bruyère, cofondateur de BonneGueule. La boutique permet aussi d'augmenter le taux de croissance e-commerce sur la ville." Ainsi, le chiffre d'affaires en ligne de la Gironde augmente trois fois plus vite que la moyenne des départements sans boutique BonneGueule.

Pour déterminer l'implantation de ses magasins, la marque observe à la loupe le top 10 des villes où les clients commandent sur le site Internet. Après une visite sur place pour analyser le flux, des échanges avec les commerçants locaux combinés aux data et prévisionnels de ventes, l'affaire peut être conclue. Mais pas à n'importe quel prix. "En ce moment, nous réalisons des bonnes affaires en faisant des offres à la baisse, raconte Geoffrey Bruyère. Certaines villes sont très impactées par la crise sanitaire comme Toulouse et Strasbourg, et d'autres le sont moins, comme Aix-en-Provence, Bordeaux, Rennes ou Nantes. Beaucoup de Parisiens et vacanciers s'y rendent et ces villes bénéficient en plus d'une forte clientèle locale." D'après le co-fondateur de BonneGueule, même en ces temps de crise, la marge de négociation des baux commerciaux varie d'une ville à une autre en fonction du marché immobilier pour les particuliers. A Rennes, le boom immobilier entraîne ainsi une faible vacance commerciale et une négociation des baux plus ardue.

Le bon timing ? 

Avec des droits au bail attractifs en cette période, toutes les DNVB pourraient envisager de se lancer dans le retail. Mais est-ce vraiment une décision à la portée de toutes les marques digitales ? Tout dépend de la maturité de la marque car il faut être en mesure d'absorber la perte de rentabilité des boutiques à leurs débuts. "La décision d'ouvrir des boutiques en ce moment n'est pertinente que si vous avez la capacité de financement qui vous permet d'investir votre argent sans retour sur investissement pendant plusieurs mois. Il ne faut pas être limité en cash, sinon le retail n'est pas une bonne idée pour l'instant", insiste Samuel Guez. "Je pense que les marques qui ont une stratégie de croissance en boutique ont un momentum à saisir car les prix sont actuellement bas et finiront peut-être par augmenter ensuite, avance Geoffrey Bruyère. Ce n'est pas non plus évident de savoir comment évoluera la demande et le flux en magasin prochainement." En clair, l'ouverture d'une boutique en pleine crise sanitaire comporte des risques mais doit être considérée comme un pari sur l'avenir. 

Entre le coût financier et organisationnel lié à l'ouverture d'une boutique (prévoir entre 3 et 12 mois), Julien Sylvain, cofondateur de Tediber, recommande de miser sur un concept fort à l'image de La boîte de nuit, les lieux de vente de la marque de literie. Tediber a ouvert sa troisième boutique à Lille début mars 2021 (signée avant la crise) et projette des ouvertures cette année. Pour le co-fondateur de l'agence Héroïne Retail Expérience, "les marques ne doivent plus penser ROI mais ROX, pour retour sur expérience. Si la boutique met en place un parcours client innovant, Covid ou pas, les consommateurs se déplaceront." Les marques digitales qui attirent déjà leurs clients 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sur leur site marchand, doivent d'autant plus jouer la carte de l'innovation en magasin. "Contrairement aux acteurs traditionnels, elles sont plus audacieuses et sont en mesure de proposer un rapport différent avec le retail", estime Rémi Le Druillenec. A bon entendeur.