Stéphane Taillée (Leroy Merlin) "Leroy Merlin a diminué son niveau de stock de 10% grâce à la data"

Data, cobotisation, décarbonation…Stéphane Taillée, le directeur des opérations logistiques de Leroy Merlin France, revient sur les grands chantiers du leader du bricolage.

JDN. Comment Leroy Merlin mise sur la data pour mieux anticiper les commandes tout en optimisant ses stocks ?

Directeur des opérations logistiques Leroy Merlin © Leroy Merlin

Stéphane Taillée. Nous ne voulons pas automatiser ou mécaniser à outrance. Il faut que notre modernisation soit pragmatique, humaine et basée sur la data. L'idée est d'analyser ce que nos clients achètent à l'instant T. Pour cela, nous utilisons un processus de S&OP (Sales and Operation Planning) pour définir quelles sont les ventes potentielles de demain. Notre nouvel outil, basé sur l'IA, s'appuie sur des données de prévisions de ventes, météo, d'inventaire en instantané, d'influence d'un jour férié...

Parfois le législateur nous interdit de rouler pendant des jours fériés, et dans le même temps nos clients veulent profiter du rayon de soleil pour s'engager sur des projets de rénovation, tout ça s'anticipe. Une fois cette data intégrée, nous rééquilibrons notre réseau selon nos prévisions et le réassort de nos magasins est complètement automatisé afin d'éviter d'avoir du rayonnage vide. Le recueil de cette data nous permet de livrer, soit les clients directement, soit les magasins, de la façon la plus fiable possible tout en limitant notre niveau de stock. Sur les deux dernières années, le niveau de stocks de Leroy Merlin a diminué de 10% grâce à la data.

Quelle est votre organisation logistique pour une livraison optimisée aux clients et aux magasins ?

Nous avons trois entrepôts nationaux qui font de l'omnicanal. S'ajoutent dix entrepôts régionaux qui livrent les magasins. Et leur approvisionnement se base sur la data : on positionne ce qu'on vend le plus proche de nos clients. Sur ces entrepôts nous roulons moins et sommes le plus vertueux en termes d'empreinte carbone. En outre, trois entrepôts font purement du e-commerce (plus de 10% des ventes, ndlr). Notre maillage territorial est large, complété par nos 140 magasins qui peuvent opérer la livraison du dernier kilomètre.

Mais aujourd'hui le marché est très mouvant. Les clients ne vont plus seulement changer un robinet de la baignoire, mais plutôt refaire toute la salle de bain. Et sur des projets de rénovation, il faut qu'on soit capable d'accompagner le client de façon cohérente : je ne peux pas livrer une jour le carrelage pour faire le sol, le lendemain les meubles, et le surlendemain les prises... L'objectif est d'être le plus pertinent dans l'équilibre entre l'impact environnemental, le besoin du client et la performance économique. Cela implique de revoir notre organisation pour éviter la livraison d'un projet en quatre commandes séparées. Alors que nous positionnons certains produits au plus proche du client, demain, nous les consoliderons sur un entrepôt pour faire du middle mile et du last mile depuis les magasins (50% des commandes sont du click & collect, ndlr). Regrouper la commande, c'est aussi des coûts et un impact CO2 diminués.

En 2022 vous parliez de la collaboration homme-robot, ou "cobotisation", où en est votre réflexion aujourd'hui ?

Nous avons fait des essais et certains projets ont été mis en place. Par cobotisation, j'entends une commodité directe aux collaborateurs pour exécuter ses opérations. Notre entrepôt de Réau a particulièrement évolué depuis deux ans. Auparavant, nous avions un modèle traditionnel avec de la mise en stock, du prélèvement et du traitement de commande où les collaborateurs se déplaçaient dans l'inventaire. Aujourd'hui, notre inventaire vient aux collaborateurs via l'automatisme à hauteur, en évitant du port de charge. La digitalisation complète de notre catalogue nous permet de savoir quels types de produits (dimensionné jusqu'à une demi-palette) on va pouvoir manutentionner sur une mécanisation. Cette aide à la manutention nous permet d'être plus précis sur notre fiabilité d'inventaire pour livrer nos clients. Elle n'est pas déployée sur tous nos sites aujourd'hui parce qu'ils n'ont pas été dimensionnés pour.

"70% de nos livraisons sont réalisées avec des énergies bas carbone"

D'autres tests de cobotisation ont été moins fructueux comme le déploiement d'un exosquelette que nous avons fini par retirer à cause de la capacité trop faible des batteries. Nous avons aussi des produits, comme le carrelage, qui nécessitent une aide spécifique. Sur ces typologies de produits, nous finissons de développer, avec des gros faiseurs dans le domaine, une solution basée sur la data pour analyser les fréquences de rotation, les déplacements dans l'entrepôt… et améliorer les conditions de travail de nos collaborateurs.

Comment intégrez-vous la RSE dans ces chantiers logistiques ?

Nous avons été récompensés par le programme EVE en 2024 pour la "meilleure performance environnementale". Ce trophée récompense nos efforts et une baisse de 45% de nos émissions de gaz à effet de serre depuis notre engagement dans le programme en 2016. Aujourd'hui, ce sont plus de 70% de nos livraisons qui sont réalisées avec des énergies bas carbone (carburants alternatifs au gazole ou électrique). L'objectif est d'atteindre 100% des livraisons bas carbone d'ici la fin de l'année.

Toujours dans cette logique d'empreintes CO2, nous avons généralisé récemment notre Home Index, l'indicateur de l'impact social et environnemental de nos produits. Parce que je peux être vertueux sur le last mile, mais si c'est pour avoir un produit très polluant d'un point de vue fabrication, ça n'a pas de sens. C'est aussi l'occasion de mettre en avant la location ou nos produits reconditionnés disponibles localement dans des magasins. Nous sommes encore en exploration pour étudier l'appétence de nos clients avant de généraliser l'offre. J'étudie comment je devrais adapter mon réseau logistique demain en fonction de ces initiatives. Il faut regarder si nous sommes vertueux d'un point de vue RSE, entre mettre à disposition le produit, le livrer directement chez le client, dans un locker, dans un magasin…Aujourd'hui, nous n'avons pas encore pris de décision sur la généralisation de notre offre seconde main.

Stéphane Taillée est responsable des opérations logistiques Leroy Merlin France depuis 2022. Auparavant, il est resté 9 ans chez Amazon, son dernier poste étant directeur du site du géant américain à Brétigny sur Orge.