Moins de buzz, plus de ROI : la révolution IA du retail se prépare dans la prédiction des ventes

Moins de buzz, plus de ROI : la révolution IA du retail se prépare dans la prédiction des ventes Au cœur de la stratégie des commerçants, les algorithmes de prévision de ventes se réinventent avec l'avancée du deep learning et de l'IA générative. Des investissements à forte rentabilité pour les marchands.

Prédire le nombre de ventes sur les six prochains mois, la prochaine catégorie populaire ou la demande que rencontrera la nouvelle gamme de produits... Les enjeux sont si stratégiques que beaucoup de retailers voudraient s'offrir les dons de Madame Irma. Et les avancées de l'IA pourraient presque réaliser leur vœux.

D'ores et déjà, le temps des modèles purement statistiques pour prédire les futures ventes est révolu. "Les méthodes statistiques, qui ont plusieurs dizaines d'années d'ancienneté, sont limitées en termes de sources de données", confirme Guilhem Delorme, directeur de la cellule Iris du cabinet Argon & Co. Les prédictions en séries temporelles, qui imaginent les ventes sur un seul magasin aussi bien que sur un continent, montent en performances grâce au deep learning et à l'IA générative. 

Multiplier les données

Si les modèles sont de plus en plus précis, c'est parce qu'ils multiplient les sources de données. "Nous sommes passés d'une prévision basée sur les données historiques des ventes et quelques facteurs internes à un tout nouveau cadre tirant parti de nombreux facteurs internes et externes", explique Milton Martinez Luaces, VP data chez Decathlon. Un chemin également emprunté par Amazon avec la solution de prédictions d'AWS, SageMaker Canvas : "La plateforme permet des calculs beaucoup plus complexes avec des réseaux neuronaux , détaille Julien Lépine, directeur des architectes solutions d'AWS France. Ainsi, les algorithmes ne se basent plus seulement sur les ventes passées, ils apprennent également de l'impact de certaines promotions, l'inflation, l'activité des concurrents, des événements locaux… L'intégration des réseaux neuronaux artificiels est très récente, seuls certains retailers ont déjà adapté leurs modèles. Les solutions open source populaires ou clés en main telles que Forecast d'AWS ou Prophet de Meta n'intègrent pas encore ces technologies de pointe.

Ils restent tout de même satisfaisants pour certains usages : "Pour la prédiction du trafic sur Rakuten, l'écart n'est que de 2% avec le trafic réel", confie le CTPO de la marketplace, cliente du modèle de Meta. Concernant les sources de données, Guilhem Delorme, par ailleurs membre de la chaire Supply Chain du Futur de l'Ecole des Ponts ParisTech, va plus loin : "C'est encore en R&D, mais l'IA générative pourrait augmenter les sources de données, confie-t-il. Elle débloque le traitement de la donnée non structurée". Concrètement ? Les algorithmes d'IA générative sont utilisés pour pré-traiter de la data tel un article de presse ou des vidéos TikTok, puis la structure pour l'intégrer aux modèles de prévision. Selon le consultant, le cas est testé chez plusieurs retailers.

Expliquer les résultats

"Aujourd'hui, les marchands doivent fournir au moins 200 données organisées pour nourrir les algorithmes. Et c'est un vrai frein", assure Rupert Schiessl, CEO de la jeune pousse d'IA prédictive Verteego. L'application de l'IA générative aux modèles de prévision promet de diminuer la data nécessaire. En effet, l'IA générative genère des données virtuelles pour entraîner les algorithmes d'IA traditionnels. Des données qui peuvent compléter des jeux de données existants ou en créer de toute pièce. Jusqu'ici, il restait très complexe d'établir des prédictions pour une nouvelle gamme de produits, un nouveau magasin ou une nouvelle géographie du fait du manque d'historique. "L'IA générative permet d'aller chercher de la donnée non structurée pour tirer des similarités entre les produits et les situations afin de pallier le manque d'informations", détaille le directeur Guilhem Delorme. Un cas d'usage que Decathlon explore de son côté : "L'IA générative est étudiée chez nous pour générer des données synthétiques afin d'améliorer la robustesse des modèles", résume Milton Martinez Luaces

"Nous utilisons l'IA générative pour expliquer à l'utilisateur, les étapes réalisées par le modèle"

Aussi performants soient ces nouveaux modèles, comment leur faire confiance si l'on n'en comprend pas le raisonnement ? Là est le dernier challenge des modèles de prévision. Ils sont si opaques qu'il est complexe d'en expliquer le résultat, ce qui diminue le taux de confiance de l'utilisateur. "Aujourd'hui, l'accent est mis sur le développement de modèles de prévision interprétables, d'IA explicable (XAI), qui peuvent fournir des informations sur les facteurs à l'origine des prévisions", dévoile le VP data de Decathlon. L'explicabilité des modèles est également un enjeu pour AWS : "Nous utilisons l'IA générative pour expliquer à l'utilisateur, les étapes réalisées par le modèle et les actions recommandées suite au résultat, détaille Julien Lépine. Cela donne la possibilité de décrire un enchaînement d'étapes beaucoup plus complexe que ce que fournit une prédiction d'un algorithme traditionnel".

Des investissements importants

Des modèles plus complexes impliquent d'importants investissements. Le premier est humain. Si la plupart des retailers utilisent des modèles sur étagère chez AWS, Azure ou Meta, "il faut connecter les données en entrée, les données en sortie et établir une interface pour consulter les résultats", énumère le directeur d'Iris. En résumé, beaucoup de travail reste à faire par une équipe interne pour construire une vraie solution. De plus, pour nourrir ces solutions, la donnée doit être qualitative. "L'activation de la donnée permet de tirer le meilleur bénéfice de l'IA, qu'elle soit prédictive ou générative, rappelle Florent Chaussade, VP retail et consumer goods chez Salesforce. Si la donnée est propre, mais qu'elle n'est ni centralisée, ni activée, elle est propre mais inutile". Et sur ce point Nicolas Gaudemet, directeur IA chez Onepoint, reste dubitatif sur la capacité des marchands : "Il y a du boulot de data scientists pour avoir des données propres chez les clients, parce que souvent, ce n'est pas beau à voir". Actuellement, Decathlon emploie plus de trente data scientists, ingénieurs de machine learning et analystes data pour ses modèles de prédiction de la demande.

Les retailers deviennent dépendants de la puissance des puces, et de leur prix.

 

Le deuxième investissement est la puissance de calcul. "L'IA générative vient avec un coût, rappelle Juline Lépine d'AWS. Un algorithme d'IA générative a une consommation et une latence beaucoup plus importante qu'un modèle hyper optimisé de prédiction spécifique". Les retailers deviennent alors de plus en plus dépendants de la puissance des puces, et de leur prix.

Une barrière à l'entrée qui devrait bientôt être moins bloquante à en croire le directeur des architectes solutions d'AWS France. "Les modèles performants d'IA générative coûtent de moins en moins cher, analyse-t-il. Claude 3 d'Anthropic est sorti en avril avec les modèles Opus (le plus cher), Sonnet (moyenne gamme), et Haiku (le plus petit). La version 3.5 a été annoncée tout début juillet et donne des performances meilleures qu'Opus avec un modèle de taille Sonnet". La démocratisation des modèles grâce aux  plateformes, comme Hugging Face, participe aussi à réduire le coût d'accès.

Pour des données stratégiques

Si les coûts engendrés sont importants, l'impact sur le business model promet de l'être aussi. "Les retours sur investissement sont conséquents parce que ces modèles pilotent directement toute la supply chain, affirme Guilhem Delorme. Avec une réduction du niveau d'obsolescence des stocks et un impact direct sur le chiffre d'affaires". Une analyse partagée par le VP data de Decathlon : "La qualité des prévisions a un impact fondamental sur notre planification financière, elle contribue à une budgétisation des coûts efficace et garantit une meilleure gestion des flux de trésorerie". Ces innovations intégrées à la dizaine de modèles de prévision qu'exploite Decathlon participent également à réduire les coûts opérationnels, à soutenir une tarification compétitive et à réaliser des économies d'échelle selon Milton Martinez Luaces. A fond l'IA.