Doppl de Google : quand l'essayage virtuel devient enfin une réalité tangible pour le retail
Google lance Doppl, une app expérimentale pour essayer des vêtements via une simple photo. Le but est d'offrir un aperçu virtuel et animé avant l'achat.
Le commerce de la mode en ligne, malgré sa croissance insolente, reste hanté par un fantôme, un paradoxe qui freine sa pleine rentabilité : comment vendre une expérience intrinsèquement physique, celle du vêtement que l'on touche, que l'on sent et que l'on essaie, à travers la froideur d'un écran digital ? Cette question fondamentale est la source de son plus grand défi, une véritable hémorragie financière et logistique : le retour massif des produits. Cette semaine , Google a levé le voile sur une expérience issue de ses laboratoires d'innovation qui, loin d'être un simple gadget, pourrait bien être la réponse la plus pertinente à ce jour. Son nom : Doppl.
Il s'agit d'une nouvelle application mobile dont l'ambition est de combler le fossé abyssal entre le désir suscité par une photo et la réalité, parfois décevante, du vêtement une fois déballé. Précisons-le d'emblée, car cela conditionne toute l'analyse : Doppl est pour l'instant une application expérimentale, un "proof of concept" dont la disponibilité est limitée au seul marché américain. Cependant, elle agit comme un puissant signal, une fenêtre ouverte sur ce que sera demain l'expérience d'achat en ligne. Il convient donc de l'analyser non pas comme un produit fini, mais comme la manifestation d'une tendance de fond que nul acteur du retail ne peut plus ignorer.
Doppl, une avancée technologique au service de la simplicité
Loin des technologies d'essayage virtuel complexes du passé, Doppl mise sur une simplicité et une accessibilité déconcertantes. Le processus, tel que décrit, est d'une fluidité remarquable et se divise en deux étapes claires pour l'utilisateur.
La création de l'avatar personnel : Tout commence par l'utilisateur lui-même. Pour créer son modèle virtuel, il lui suffit de charger dans l'application une seule photo de lui, prise de plein pied. L'application se charge alors de créer un avatar numérique personnalisé qui servira de base pour tous les essayages futurs. Cette étape initiale est la clé pour que l'essayage soit le plus réaliste et personnel possible.
L'essayage à partir d'une simple image : Une fois son avatar créé, l'utilisateur peut essayer une infinité de vêtements. Pour ce faire, il fournit à l'application une simple photo de l'article qui l'intéresse. La force du système est que n'importe quelle image fonctionne : une photo de produit impeccable prise sur le site d'une marque, ou même une simple capture d'écran d'une tenue vue sur un réseau social ou dans la rue. C'est l'intelligence artificielle de Google qui prend alors le relais. Elle analyse l'image du vêtement pour en comprendre la forme, la texture et la physique. Elle calcule ensuite comment ce vêtement se comporterait sur l'avatar de l'utilisateur et génère une courte vidéo. L'utilisateur peut ainsi voir le vêtement bouger et s'animer sur lui, lui donnant un aperçu dynamique et réaliste, bien loin des superpositions d'images figées d'autrefois.
La véritable disruption de Doppl est de démocratiser l'essayage virtuel. En n'exigeant pas des marques qu'elles fournissent des scans 3D de leurs produits et en fonctionnant avec le contenu qui existe déjà partout sur le web, Google lève la plus haute barrière à l'entrée et rend sa technologie potentiellement universelle.
Un levier de croissance stratégique pour le retail
Si cette technologie venait à être déployée à grande échelle et intégrée aux parcours d'achat, elle ne serait pas un simple gadget, mais un levier de croissance capable de répondre aux problématiques les plus critiques du secteur.
Attaquer frontalement le fléau des retours Les chiffres sont sans appel. Le taux de retour dans la mode en ligne oscille entre 20% et 40% selon les marchés, et la raison invoquée dans plus de deux tiers des cas est un problème de taille ou de coupe. Chaque retour est un coût direct (transport, vérification, reconditionnement, service client) estimé à plus de 13 euros en moyenne en France, mais aussi un coût indirect. Un vêtement retourné est un vêtement qui n'est plus en stock pour un autre client, qui risque d'être abîmé, et dont l'empreinte carbone s'alourdit à chaque trajet. En offrant un aperçu dynamique et réaliste, Doppl s'attaque à la racine psychologique du problème : l'incertitude. Un client rassuré sur le fait qu'une coupe correspond à sa morphologie est un client qui achète avec plus de certitude, réduisant ainsi le recours au "bracketing" (commander plusieurs tailles). L'impact sur la rentabilité nette serait direct et massif.
Réinventer une expérience client immersive et sociale L'acte d'achat en ligne est trop souvent une succession de clics froids et solitaires. Doppl a le potentiel de le transformer en une expérience ludique, créative et éminemment sociale. Le client n'est plus passif face à des photos ; il devient l'acteur de son propre style, un styliste qui expérimente. Surtout, l'application s'intègre parfaitement aux usages des nouvelles générations : le partage. La possibilité d'envoyer une vidéo d'essayage à ses amis pour obtenir un avis en temps réel recrée numériquement l'expérience de la virée shopping. Pour une marque, chaque partage est une recommandation authentique, une forme de marketing viral bien plus puissante qu'une publicité classique. On passe du e-commerce au "social commerce", où l'acte d'achat est validé par la communauté.
Augmenter la conversion et la valeur du panier moyen Un client confiant et engagé est un client qui achète plus. En éliminant le principal frein à l'achat – la peur de se tromper – Doppl peut mécaniquement augmenter le taux de conversion. L'hésitation qui paralyse le client au moment de valider son panier s'estompe. Mais l'effet ne s'arrête pas là. L'application, en présentant des "looks" complets issus de photos, agit comme un styliste virtuel. Un client venu pour un simple chemisier pourrait, en voyant le rendu global de la tenue sur son avatar, être tenté d'acheter également le pantalon et les accessoires associés. Cela ouvre des opportunités de ventes croisées ("cross-selling") et de montée en gamme ("upselling") bien plus efficaces que les traditionnels bandeaux "vous aimerez aussi".
Ouvrir la voie à une personnalisation prédictive (et ses défis) Enfin, le potentiel en matière de données est vertigineux. Aujourd'hui, un retailer sait ce que vous avez acheté. Demain, avec une telle technologie, il pourrait savoir ce que vous avez envisagé d'acheter, les styles qui vous attirent, les coupes que vous avez essayées et rejetées. C'est le passage d'une donnée transactionnelle à une donnée aspirationnelle. L'analyse de ces informations permettrait d'offrir une personnalisation prédictive : recommander non pas ce que d'autres ont acheté, mais ce qui correspondra intimement à votre style et votre morphologie. Cependant, ce potentiel soulève un défi majeur : celui de la confiance et de la confidentialité des données (RGPD). Les marques qui voudront exploiter ce filon devront faire preuve d'une transparence absolue sur l'utilisation des données, garantir leur anonymisation et leur sécurité, sous peine de briser le lien de confiance indispensable avec leur clientèle.
En conclusion, bien que Doppl soit une expérience naissante et géographiquement limitée, elle doit être perçue comme un avertissement sans frais pour toute l'industrie du retail. Elle matérialise la convergence inéluctable entre l'intelligence artificielle et le commerce. La question pour les retailers n'est plus de savoir si ce type de technologie va s'imposer, mais quand et comment s'y préparer. Ceux qui commenceront dès aujourd'hui à réfléchir à leur stratégie de numérisation, à la qualité de leurs assets visuels et à leur politique de données, prendront une avance décisive sur la concurrence.