Bruno Delahaye (Cathay Innovation) "Cathay Innovation discute avec plusieurs start-up de solutions de personnalisation et de recommandation"

La phase d'identification des start-up qui bénéficieront du milliard de dollars rassemblés par Cathay Innovation est en cours. Les explications de Bruno Delahaye, partner chez Cathay Innovation.

JDN. Cathay Innovation a annoncé au premier semestre la clôture finale d'un fonds d'un milliard de dollars dédié aux applications sectorielles de l'IA. Quelle place accordez-vous aux technologies appliquées au marketing et à la publicité ?

Bruno Delahaye, partner chez Cathay Innovation. © Cathay Innovation

Bruno Delahaye. Elles font partie d'une des quatre verticales sur lesquelles nous nous positionnons, à savoir la santé, énergie & mobilité, la finance et la consommation (le fonds finance entre autres Imagino, en France, et Ghost, aux Etats-Unis, ndlr). Nous sommes en ce moment même en train d'identifier et de discuter avec plusieurs start-up.

Dans cette verticale dédiée à la consommation quels sous-secteurs vous intéressent ?

Nous nous intéressons aux start-up d'entrepreneurs particulièrement visionnaires qui sont en capacité de transformer leur secteur. Nous considérons que notre rôle chez Cathay Innovation est d'aider à la transformation des écosystèmes. Beaucoup de nos investisseurs sont de grosses entreprises. En France, près de la moitié des entreprises du CAC 40 investissent chez nous. Ces groupes attendent des retours à leurs investissements, certes, mais également que ces jeunes pousses les aident à se transformer eux-mêmes.

Dans la verticale consommation, deux sujets émergent fortement aujourd'hui : les applications d'IA permettant de transformer les retailers dans leurs problématiques internes (supply, procurement…) et les solutions de personnalisation et de recommandation pour renforcer la relation client, le trafic et le retail media. Nous discutons avec plusieurs start-up en ce moment. Beaucoup de choses intéressantes se profilent dans le domaine de la recommandation.

Pour le volet relation client et trafic, en quoi ces solutions promettent-elles d'être disruptives pour leur secteur ?

Aujourd'hui, la recommandation est encore très limitée, essentiellement basée sur les historiques d'achat. Demain, elle évoluera pour tenir compte de toutes les autres facettes qu'il est possible de connaître au sujet de chaque consommateur en fonction des données que ce dernier aura accepté de partager. De plus, les recommandations ne seront plus limitées au choix du produit mais aussi à la description, à l'image, au format de la réponse, le tout en temps réel.

Mais les sites des retailers ne risquent-ils pas de perdre des pans entiers de leurs audiences, qui réaliseront leurs achats directement chez les chatbots d'IA ?

Contrairement à certains analystes, je ne pense pas que 100% du commerce en ligne passera par des acteurs tels que ChatGPT ou Perplexity. Les interfaces conversationnelles marquent des points sur des achats réfléchis, à plus forte valeur, qui demandent du conseil. Pour ces typologies d'achat, les chatbots seront en capacité de proposer l'achat sans redirection selon un modèle de partage de revenus avec les retailers respectifs (c'est le sens de la récente annonce de partenariat entre OpenAI et Shopify, ndlr).

"Je ne pense pas que 100% du commerce en ligne passera par des acteurs tels que ChatGPT ou Perplexit"

Les consommateurs ne feront en revanche pas appel à ces acteurs pour leurs courses quotidiennes. Ce ne sera pas le cas non plus pour l'achat de produits de seconde main ou des produits spécifiques dont les inventaires sont très limités et mouvants. Les e-commerçants positionnés sur ces créneaux auront sans doute intérêt à ce que les chatbots les recommandent, mais ces derniers n'auront pas la capacité de gérer ces inventaires. Ces retailers ont par conséquent une carte à jouer, à condition de mieux maîtriser les recommandations qu'ils produisent. Leur succès dépendra d'une bien plus forte capacité à entrer en conversation avec leurs clients, à leur recommander le bon produit. Le retail n'est pas encore en avance sur l'IA, sa transformation est partielle, contrairement au secteur de la santé.

Quelles autres transformations anticipez-vous sur ce secteur ?

L'expérience en magasin prendra de l'importance. Les retailers disposant d'un réseau de distribution physique ont eux aussi une différenciation forte à explorer car ils sont en capacité de construire un continuum dans la relation client entre le monde physique et le digital. Et cela passe par le traitement intégrée et sophistiqué de la data et par l'activation DOOH.

Sur ces sujets êtes-vous en discussion avec des start-up en France ?

Nous avons identifié plusieurs start-up en France avec qui nous discutons. Mais les échanges les plus avancés sur ces sujets de recommandation ont lieu aux Etats-Unis pour le moment. Nous avons également identifié là-bas une adtech avec une forte proposition de valeur.

Certaines adtech sont fortement exposées à la perte de vitesse de l'open web et à un retail media fortement accaparé par Amazon. Pensez-vous que nous allons assister à une intensification de la consolidation dans ce secteur ?

Le poids d'Amazon est à relativiser et le potentiel de croissance du retail media est immense, nous ne sommes qu'à ses prémices. Les retailers disposant de réseaux physiques ont encore beaucoup à développer en matière de média in-store.

En effet, les acteurs de l'adtech sont fortement encouragés à se poser de sérieuses questions. Le marché sur lequel ils sont placés est en fort bouleversement, les modèles devront être réinventés. Nous vivons une véritable disruption avec l'IA, c'est très inhabituel. J'aime illustrer ce qui se passe en ce moment par l'image du marchand de bougies qui voit dans l'arrivée de l'électricité un moyen de devenir encore plus productif, en oubliant hélas de considérer que cette disruption technologique signe la fin de son marché. Nous vivons la même chose avec l'IA. Or, je rencontre souvent des entrepreneurs qui se concentrent sur la manière dont l'IA peut améliorer ce qu'ils font sans peser les risques qu'elle représente pour leur activité. Ces derniers sont sans doute en danger.

Nous vivons une période très intéressante et atypique. A condition de beaucoup travailler sur la vision, c'est dans ces moments de fort bouleversement que les plus belles sociétés émergent.