Comment franchir le dernier kilomètre de la donnée ?

Pour choisir leur prochain président, les Français donnent une importance particulière à certaines thématiques : santé, sécurité, écologie. Comment évaluer la situation dans ces différents domaines ?

On peut, bien sûr, s’en tenir aux vœux pieux des programmes, mais idéalement, il faudrait pouvoir connaître l’évolution du nombre de lits d’hôpital, l’augmentation des crimes et délits contre la personne, ou encore connaître les émissions de CO2 par habitant en France pour faire un choix éclairé. Mais qui d’entre nous sait où trouver rapidement et efficacement les chiffres dont il est question ? La transparence et l’accessibilité des données est un enjeu de taille dans le cadre de ces élections et celui, plus large, de la vie publique.

Dans une tribune publiée par Le Monde en mai dernier, nous plaidions pour que les données publiques soient mises entre les mains de tous. La révolution numérique, vieille de plusieurs décennies déjà, a permis aux experts de mieux comprendre, modéliser, analyser et prédire le monde. Mais qu’en est-il de ceux qui n’ont pas de formation en data sciences ? Dans le monde professionnel aussi bien que sur les grandes questions d’actualité, il reste difficile de faire parvenir les données de manière claire et précise aux individus. Si cette question se pose pour la société dans son ensemble, elle est encore plus aiguë au sein des entreprises.

La bonne information, à la bonne personne, au bon moment

La dernière étape est souvent la plus dure : les entreprises de télécommunication ont redécouvert ce que les coureurs de marathon savent depuis toujours. Comment relier leurs infrastructures générales aux domiciles de chacun de leurs clients ? Ce défi, d’apparence simple, s’avère être le plus difficile et aussi le plus coûteux : plus question d’économies d’échelle, le coût unitaire de chaque client final grimpe sans recours. Ils appellent ce problème celui du « last mile », ou dernier kilomètre. Ce dernier kilomètre, c’est le même obstacle contre lequel butent les géants de la logistique, Amazon en tête. Ils ont beau mettre en place des entrepôts réglés comme du papier à musique, il reste tout aussi difficile de faire des économies d’échelle sur le dernier segment de livraison.

Si le dernier kilomètre est le plus coûteux pour les géants de l’e-commerce, c’est parce qu’il faut s’adapter aux besoins de chacun : livrer le bon colis, à la bonne adresse au bon moment. Et à l’heure où la satisfaction est reine, il faut aussi le faire bien, en offrant au client une expérience optimale. En théorie, rien à voir avec le monde de l’analyse de données : les informations peuvent être distribuées partout en un simple clic. En théorie seulement. Il se trouve que le monde de la data fait face au même problème : livrer la bonne information, à la bonne personne, au bon moment.

La bataille de l’adoption

Au sein des entreprises, la bataille de la donnée s’est d’abord livrée du côté des équipes IT ou des data scientists. Pour tirer profit de cette nouvelle mine d’or, il a fallu mettre en place des outils d’analyse sophistiqués capables de stocker, d'agréger, de modéliser et d’analyser la donnée. On espérait ainsi mieux comprendre l’évolution du marché pour agir en conséquence et prendre de meilleures décisions. Très vite, les experts arrivent à mener des calculs complexes. Seulement voilà : trop souvent, leurs conclusions restent lettre morte auprès des équipes opérationnelles ou les profils business qui n’ont pas d’appétence particulière pour l’analytics. On comprend donc qu’on s’est trompé de bataille : le plus difficile ne serait pas de faire des opérations complexes d’un point de vue technique, mais de s’assurer que chacun puisse les utiliser pour prendre de meilleures décisions lorsqu’il le faut. Le dernier kilomètre, donc.

Dans le monde de l’analytics, ce problème a un autre nom, celui de l’adoption. Le taux d’adoption d’une technologie ou d’un outil, c’est le nombre de personnes qui l’utilisent effectivement une fois qu’ils sont mis en place. Et ce taux affole les experts de l’analytics : trop souvent, il flirte avec les 30%. Le problème, c’est que si personne au sein d’une entreprise ne s’appuie sur les conclusions auxquelles aboutissent les experts de la data, alors leurs opérations complexes ne servent à rien, leurs technologies sont des investissements sans rendement.

Et si le dernier kilomètre était aussi le premier ?

Pourquoi est-il si difficile de livrer la donnée aux utilisateurs finaux de manière simple, fiable et régulière ? Parce que l’analyse de données n’a pas été pensée pour eux. Les outils puissants existants ont permis aux experts de faire des pas de géants dans des domaines aussi variés que la médecine ou l’aéronautique, où la technologie de pointe n’a pas besoin d’être comprise par tous. Mais cela pose problème pour les secteurs ou les informations portent uniquement leurs fruits lorsqu’elles sont comprises et utilisées par le plus grand nombre. C’est le cas au sein des entreprises, mais aussi dans la société au sens large : chacun doit pouvoir accéder à certaines informations de manière transparente pour prendre de meilleures décisions. 

Tant que le dernier kilomètre continuera d'être considéré comme « le dernier », il continuera d’être le plus coûteux, le plus difficile et le plus inefficace. Au lieu de mettre en place des systèmes complexes et de se demander après coup comment en faire bénéficier le plus grand nombre, il faudrait partir des attentes du plus grand nombre : de quelles informations ont-ils besoin ? Comment et quand peuvent-ils les consulter ? Sur quels appareils ? Sous quelle forme : tableaux de chiffres ou visualisations didactiques ? Ces questions devraient être les premières que l’on se pose lorsque l’on essaie de mettre en place une stratégie digitale. Les réponses devraient dicter certaines des décisions les plus cruciales. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, le dernier kilomètre n’a rien d’une pensée d’après-coup.