Les organisations peuvent-elles paver la voie au futur volet numérique de la stratégie nationale bas carbone ?

L'actualisation de la Stratégie Nationale Bas Carbone de la France dans sa troisième version devrait intégrer un volet numérique, pour lequel les réflexions sont en cours.

Comment les organisations peuvent-elles anticiper leur contribution à ce futur volet ?

Les organisations doivent renforcer les actions sur les terminaux utilisateurs

De nombreuses organisations ont enclenché des programmes de transformation numérique responsable depuis 2020, date à laquelle ce sujet est devenu beaucoup plus visible du grand public ainsi que des décideurs politiques. Ces programmes de transformation ont souvent (et à juste titre) priorisé à court-terme des actions d’allongement de la durée de vie des terminaux utilisateurs. Ainsi la durée de vie moyenne des ordinateurs et des smartphones a augmenté de 1 à 2 ans en entreprise depuis 2020. De tels efforts doivent continuer à se généraliser et se renforcer, car le levier d’allongement de la durée de vie reste un moyen indispensable de réduction de l’empreinte numérique à horizon 2030. Le plus dur commence néanmoins, car aller au-delà de 6 ans sur la durée de vie moyenne des ordinateurs professionnels soulève des enjeux de rétro-comptabilité entre le matériel et les systèmes d’exploitation, de réparabilité du matériel et de cybersécurité.

Un autre levier indispensable est de mener une réflexion sur les écrans. En effet, le mouvement de systématisation du double écran sur les bureaux (en plus de l’ordinateur portable) s’est généralisé chez beaucoup de grandes organisations. Ce phénomène n’est absolument pas marginal en termes d’impact environnemental, et contribue à faire des écrans l’un des principaux postes d’émissions GES du numérique (la proportion peut atteindre 20 à 30% de l’empreinte carbone numérique totale – source : mesures réalisées par Wavestone chez ses clients-). Il est donc indispensable de travailler de façon rapprochée et constructive avec les directions RH et les CSE pour identifier des leviers permettant de diminuer l’empreinte des écrans (nombre et/ou taille), en passant d’une stratégie de dotation par utilisateur à une réflexion par zone de travail (pour les espaces en flex-office par exemple).

Les collectivités, catalyseurs sur le territoire et auprès des usagers

Les collectivités ont des compétences leur permettant de jouer un rôle fondamental dans la sensibilisation sur des usages numériques compatibles avec les limites planétaires, via les interactions avec leurs usagers et via le périmètre éducatif. Cela est crucial car les usages numériques citoyens sont de vrais leviers pour faire infléchir la trajectoire environnementale numérique (à titre d’exemple, les deux plus gros postes d’émissions du numérique en France correspondent aux téléviseurs dans les foyers des français et aux smartphones d’après l’Ademe-ARCEP).

Elles peuvent également piloter une politique numérique responsable sur le territoire, pour adresser par exemple les enjeux d’industrialisation de la filière de reconditionnement numérique, ou encore de limitation des écrans numériques publicitaires dans l’espace public.

Faire preuve de discernement sur les cas d’usages touchant des millions d’utilisateurs

Le déploiement dans les organisations de méthodologies et outils pour évaluer l’impact environnemental des projets numériques est encore balbutiant (et s’explique par la complexité associée : beaucoup de spécificités liées à chaque organisation, combiné au fait que les services numériques sont souvent constitués d’un millefeuille de briques technologiques sous-jacentes par nature difficile à modéliser). Pour autant, cela n’empêche pas de garder en tête que tout nouveau cas d’usage touchant des millions d’utilisateurs a un effet de levier (positif ou négatif) très important sur l’impact environnemental : pour ces cas d’usages il convient de faire preuve de discernement en acceptant de les prioriser (et de renoncer à certains d’entre eux) et a minima de pousser au maximum le curseur de l’écoconception.

Prenons quelques cas concrets : un cas d’usage nécessitant le déploiement de nouveaux terminaux (ex. : casques VR) dégrade fortement l’empreinte environnementale du numérique (voir l’analyse ACV CEPIR qui estime que l’empreinte carbone d’un casque de réalité virtuelle OLED est d’environ 100kg). Autre cas d’actualité avec l’IA générative : les tendances sur les derniers mois semblent dessiner une explosion de la consommation d’électricité des datacenters de type hyperscaler dans le monde, avec un doublement voire triplement sous 5 ans. Il n’y a pas de constat binaire sur l’impact environnemental des usages de l’IA générative, mais il est certain qu’une des raisons de son impact environnemental bien plus élevé que les IA traditionnelles réside dans l’ouverture de cette technologie à des millions de citoyens et usagers en entreprise.

Engager les fournisseurs numériques à plus de transparence et à mener des réflexions sur leur business model

Les fournisseurs numériques ont donc une responsabilité important liée à la conception de leurs services numériques (qu’il s’agisse d’un matériel ou d’un logiciel), car ils façonnent grandement le paradigme d’usages numériques accessibles aux organisations et aux citoyens.

Heureusement, les organisations ne sont pas complètement démunies de levier d’action : grâce à une intégration désormais beaucoup plus systématique des critères RSE dans les appels d’offres (jusqu’à 25% de la note) et malgré le rapport de force déséquilibré par rapport aux mastodontes du numérique, une part croissante de fournisseurs numériques se structure en interne pour être mieux capable de répondre aux questions de transparence sur l’impact environnemental (et notamment carbone) des services fournis.

Pour autant, cela ne peut pas suffire : à l’image des acteurs de l’assurance et de l’assistance qui sont en train de revoir leurs offres afin d’adresser les enjeux d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, les acteurs du secteur numérique dans leur globalité devraient également enclencher des réflexions structurantes sur leurs offres et leur business model (voir l’étude de Digitalization4Sustainability) pour sécuriser leur adéquation avec l’Accord de Paris, et ainsi contribuer à la sécurisation des trajectoires nationales bas carbone (telle que la SNBC en France). De plus en plus d’exemples inspirants existent, tels que Fairphone pour les smartphones, Commown sur la gestion de parc informatique, Telecoop pour les télécoms, Backmarket et tous les acteurs historiques du reconditionnement, Logitech pour les ACV sur le petit matériel informatique, les logiciels de mesure d’empreinte numérique… Il est temps de passer à l’échelle !