Les SSII françaises à la conquête du marché américain

Les SSII françaises à la conquête du marché américain Depuis quelques années, les plus grosses ESN françaises s'établissent aux États-Unis. L'attractivité économique et technologique de ce pays n'explique pas, à elle seule, cette ruée...

Le marché américain est de loin le plus important et le plus innovant dans les domaines des technologies et des services. C'est un fait. Durant ces 40 dernières années, la Silicon Valley a largement contribué à transformer le monde via des technologies qui ont marqué l'évolution de l'industrie du numérique. Les États-Unis sont également l'une des pépinières les plus importantes et un incubateur qui a produit les start-up les plus marquantes de ces dernières décennies. Ce n'est pas étonnant qu'ils soient devenus l'un des axes de développement privilégiés des principales ESN françaises. C'est le constat que fait Lanny Cohen, Group Chief Technology Officer et North America Country Board Chairman chez Capgemini. "Durant ces 10 dernières années, nous avons observé un accroissement régulier du nombre d'entreprises étrangères qui viennent s'installer dans la Silicon Valley. Les sociétés françaises sont parmi les plus présentes et probablement les plus nombreuses", pointe-t-il.

Suite au rachat d'iGate en 2015, Capgemini réalise 30% de son chiffre d'affaires en Amérique du Nord (soit plus de 3,5 milliards d'euros), contre 20% en France et 26% dans le reste de l'Europe. Son principal concurrent français, Atos, enregistre, lui, un CA de 2,5 milliards d'euros dans cette zone après le rachat des activités informatiques de Xerox et la récente acquisition d'Anthelio Healthcare.

Un marché dynamique et des décideurs volontaristes

Lanny Cohen est Group Chief Technology Officer et North America Country Board Chairman chez Capgemini © Capgemini

Au regard des chiffres, cette attractivité économique est bien compréhensible. En termes de croissance annuelle, le marché américain des services IT reste stable malgré les crises et les variations cycliques. Le ralentissement qui a suivi la crise financière de 2008 ne l'a que peu affecté par rapport au marché européen. D'après une étude réalisée par IDC fin 2015, il devait réaliser une croissance de 4% en 2016, contre une progression de 2% pour le marché mondial. Le marché européen est, lui, derrière avec 1% de croissance. Cette constance est tirée par les entreprises américaines, qui continuent d'investir dans les nouvelles technologies.

"Aux États-Unis, la plus forte croissance à court terme est attendue dans la santé, les entreprises de services aux professionnels, les banques et les organismes de services financiers. Autant de domaines sur lesquels les ESN peuvent se positionner", précise Jessica Goepfert, Program Director, Customer Insights and Analysis chez IDC. Une croissance constante, des innovations technologiques de pointe et des décideurs volontaristes font du marché américain un écosystème attractif financièrement, mais ce ne sont pas ses seuls attraits. Les entreprises françaises qui s'installent sur le territoire américain, du moins celles qui ont les moyens de racheter des entreprises locales, le font pour des raisons qui dépassent le simple bénéfice économique.

Capter les innovations en avance de phase

Le marché américain a de tout temps donné le "la" en termes d'adoption des nouvelles technologies. Bien que le fossé se soit réduit au fil des ans avec les pays européens, celui-ci reste tout de même le modèle à suivre. "D'un point de vue technologique, les décideurs américains sont prêts à faire des choix en avance de phase. C'est ici que le cloud hybride est le plus développé, combinant cloud public et infrastructures privées, dites legacy. C'est également ici que le mouvement d'automation est le plus  dynamique, avec la mise en œuvre de systèmes informatiques par des robots de plus en plus intelligents", explique Michel-Alain Proch, directeur général adjoint et directeur général des opérations du groupe Atos en Amérique du Nord. Cette capacité à capter très tôt les innovations technologiques est l'une des raisons de l'installation d'Atos aux États-Unis.

Michel-Alain Proch est directeur général adjoint et directeur général des opérations du groupe Atos en Amérique du Nord © Atos

Mais l'ESN présidée par Thierry Breton, bénéficie d'un autre effet de sa présence en Amérique du Nord : la capacité à tisser des partenariats avec des acteurs numériques d'envergure mondiale. Des acteurs qui lui apportent, outre des technologies et produits, une crédibilité et une visibilité planétaires. "Nous avons là-bas de grands partenaires technologiques, comme EMC, VMware qui font partie de la fédération Dell. Il y a aussi Intel, avec lequel nous développons nos solutions de sécurité", souligne Michel-Alain Proch. Parallèlement, "nous avons aussi créé un écosystème de partenaires technologiques beaucoup plus petits, constitué de start-up qui nous apportent des briques technologiques." Grâce à cette présence et ses réseaux, la filiale américaine d'Atos sert de défricheuse, non seulement pour capter les innovations technologiques, mais aussi pour les diffuser dans le reste du groupe. "Des technologies ou briques technologiques sont validées ici aux  États-Unis et ensuite déployées auprès de l'ensemble de nos clients dans le monde", ajoute Michel-Alain Proch. 

Du réseautage dans un écosystème innovant

Pour Lanny Cohen, les avantages pécuniaires d'une insertion dans le tissu économique états-unien se doublent de bénéfices moins visibles et pourtant essentiels. "Nous avons constaté que l'intérêt des ESN françaises allait de plus en plus vers les start-up. Non seulement pour les nouvelles technologies qu'elles peuvent apporter, mais aussi pour les nouveaux modes de travail et la manière dont ces start-up mettent l'innovation au centre de tout ce qu'elles font. C'est comme ça que les centres de recherche et d'innovation et les accords de co-entreprises ont vu le jour. Il fallait une présence afin de pouvoir faire du réseautage dans la communauté des start-up", analyse Lanny Cohen.

La capacité à constituer un réseau de contacts dans l'écosystème et de créer plus d'interaction avec les compagnies américaines a engendré des bénéfices incontestables pour Capgemini, notamment en termes de sensibilisation des clients à l'innovation et aux effets disruptifs des nouvelles technologies et services. "On peut constater des effets dans plusieurs secteurs : les services financiers, l'industrie manufacturière, les transports, l'aéronautique, pour ne citer que ceux-là. Cette sensibilisation est plus élevée qu'elle ne l'a jamais été auparavant", poursuit Lanny Cohen. En clair, l'équation d'une présence sur le marché américain n'est pas seulement financière mais vise aussi à bénéficier d'une culture d'entreprenariat, avec des méthodologies innovantes. "De nos jours, les préoccupations se sont élargies : ce ne sont pas tant les nouvelles technologies que les nouvelles méthodes qui sont recherchées", conclut Lanny Cohen. 

Capgemini et Atos ne sont pas les seules ESN françaises à faire des Etats-Unis une zone de développement stratégique. Au sein des SSII françaises de deuxième catégorie, Altran enregistre un CA de 230 millions outre-Atlantique, ce qui fait des États-Unis le second marché du groupe.