Alexandre Dayon (Salesforce) "Le CRM est en train d'écraser le marché du progiciel de gestion intégrée"

Le président et chief strategy officer du géant de la gestion de la relation client en mode cloud décrypte le virage amorcé par son groupe vers la data et l'analytics.

JDN. Quels sont les principaux usages de votre plateforme d'IA Einstein presque trois ans après son lancement ?

Alexandre Dayon est président et chief strategy officer de Salesforce. © Salesforce

Alexandre Dayon. L'un des tous premiers usages d'Einstein réside dans les campagnes marketing, avec notamment la capacité d'anticiper le meilleur moment d'envoyer un e-mail à un client donné. L'objectif est de s'assurer que le message soit bien en haut de la pile quand l'utilisateur ouvre sa messagerie. Ce qui se traduit évidemment par une amélioration significative des taux de clics. Rappelons que Salesforce envoie plus de 3 milliards d'e-mails par jour pour le compte de ses clients.

Autre cas d'usage très prisé : le recours à Einstein pour personnaliser l'expérience digitale des contenus. Par exemple dans l'e-commerce. Il s'agira d'individualiser un catalogue de produits en calculant un score d'appétence par article pour chaque client. Et ce, en fonction de sa navigation sur le site, et l'analyse qui en découle en termes de centres d'intérêt, de styles, de couleurs de prédilection, d'historiques d'achat sur le site, voire en prenant en compte d'autres interactions avec l'entreprise, tels les achats en magasins, les échanges avec le service client, ou encore les produits qu'il utilise et comment il les utilise s'ils sont connectés. Einstein crée les modèles prédictifs out of the box, les optimise, les entraîne. Inutile de faire appel à un data scientist.

Après avoir intégré Einstein à vos principales applications (Commerce Cloud, Marketing Cloud, Sales Cloud et Service Cloud), vous avez amorcé un chantier visant à fournir une vision transversale des données client via Salesforce Customer 360. Cette stratégie commence à prendre corps avec la sortie de votre customer data platform...

Il s'agit du focus de l'année pour Salesforce. C'est la demande numéro 1 de nos clients aujourd'hui. L'objectif est notamment de connecter l'ensemble de nos produits, sachant que la plupart sont le résultat d'acquisitions. Il faut bien comprendre que les données de nos applications resteront probablement toujours par silos car les clouds que nous avons rachetés opèrent à des échelles de volumes et de trafic inédites sur le marché. Personne n'opère à l'échelle de Commerce Cloud et Marketing Cloud aujourd'hui, aucun éditeur de logiciels BtoB. Pour rappel, nous avons exécuté 21 milliards de dollars de ventes en 2017 sur Commerce cloud pour le compte de nos clients. Et comme je l'ai déjà dit, nous envoyons 3 milliards d'e-mail par jour sur Marketing Cloud. Nous n'allons donc pas réécrire ces produits.

"Désormais, nous tendons vers une personnalisation multicanale sans couture"

En revanche à travers Customer 360, nous mettons en œuvre un mapping entre nos briques. C'est une sorte de Pierre de Rosette qui permet à toutes nos applications de communiquer entre elles. Quant à la Salesforce Customer Data Platform, elle va dans le sens de cette vision. Elle permet d'ingérer en temps réel des données en provenance de nos applications et d'autres sources et canaux de la relation client. L'objectif est de faire en sorte que tous les points de relation client, support, site e-commerce, boutiques physiques, soient en permanence au courant de l'historique du client, jusqu'à ses toutes dernières interactions avec la marque. En parallèle, la customer data platform fournit des fonctions (basées sur Einstein, ndlr) de segmentation, de modélisation et de data visualisation des informations client couvrant l'ensemble des points de contact. Le tout en vue d'optimiser l'engagement client.

N'est-ce pas là une nouvelle étape dans la stratégie de Salesforce, et la prise en compte de l'omnicanalité du CRM ?

C'était déjà notre stratégie. Jusqu'ici, nous étions capables de personnaliser chacun des canaux du CRM : commerce, marketing, service client. Désormais, nous tendons effectivement vers une personnalisation multicanale sans couture, en couvrant y compris les points de vente en magasins. Beaucoup de nos clients sont d'ailleurs prêts à franchir le pas quand ce n'est pas déjà le cas. En France, notre client Bouygues Telecom travaille depuis des années sur le sujet.

Mais ce chantier d'intégration entre vos applications ne date pas d'hier…

Effectivement. La customer data platform ne pourrait pas exister sans un gros travail d'intégration préalable mis en œuvre depuis des années. Par exemple, les mails envoyés par Marketing Cloud sont systématiquement copiés dans Service Cloud pour que les agents du service client soient au courant qu'une campagne est en cours et soient capables d'anticiper les appels téléphoniques qui en découlent dans les minutes et heures qui suivent. Entre Commerce Cloud, Sales Cloud et Service Cloud, la gestion de la commande est désormais commune. Elle est stockée dans le data model de Salesforce. Ce qui permet à chaque canal d'être au courant d'un achat en cours sur un autre et de pouvoir en assurer le suivi auprès du client. La customer data platform est une nouvelle étape de cette stratégie d'unification.

(Prochaine étape du projet Customer 360 : le lancement en novembre d'un identifiant unique dédié à chaque client qui donnera à la customer data platform le moyen d'obtenir une vision unique de chaque client ,quelle que soit la brique Salesforce où ses données sont stockées : vente, support, e-commerce, marketing ndlr)

Avec le rachat de Mulesoft et maintenant de Tableau Software, Salesforce est en train de devenir un fournisseur qui dépasse les frontières du CRM. Est-ce là un nouveau virage que prend votre stratégie de croissance externe ?

Le CRM est en train de dépasser le cadre du CRM au sens strict. Il s'agit désormais du plus gros segment du marché informatique. Il a dépassé celui de l'ERP en termes de dépenses il y a trois ans. Initialement, le CRM consiste à optimiser des processus de relation client. Mais avec la transformation numérique et la création de nouvelles expériences client, le CRM écrase certains business process propres au progiciel de gestion intégrée. Avec le digital, vous demandez à vos clients de réaliser une partie du travail qui était initialement gérée par l'ERP. On a évoqué la commande, qui avec l'e-commerce s'est dématérialisée, et n'a donc plus de raison d'être dans l'ERP. C'est également le cas de la gestion des stocks avec lequel votre client est connecté directement par API. Est-ce qu'on va devenir à terme un vendeur d'ERP ? Non. C'est l'ERP qui s'intègre au CRM. Du coup, certaines parties de l'ERP vont disparaître.

"Nous avons rendu notre offre portable sur n'importe quel cloud public"

De plus en plus de fonctionnalités informatiques vont converger autour de l'expérience client car elle représente la principale valeur de l'entreprise. C'est le cas de l'intégration applicative et de l'analytics qui pivotent tous deux vers le CRM et se mettent au service de l'optimisation du parcours et de l'expérience client.

Sachant que le marché des applications de gestions de la relation client continue de croître...

Oui, il progresse de 15% par an. Nous ne sommes donc pas limités en croissance. Notre stratégie d'acquisitions est donc tout sauf une stratégie de diversification. Pour revenir sur le cas de Mulesoft, il s'agit d'abord d'un moyen d'intégrer vos systèmes existants à la gestion de votre expérience client. Mais Mulesoft est également une plateforme d'innovation qui permet d'exposer des services digitaux sous forme d'API en direction de clients internes ou externes. Cette démarche d'innovation est probablement la plus stratégique aujourd'hui pour bon nombre d'entreprises. Tous les grands CEO l'ont compris.

Avec votre offre de blockchain as a service, vous dépassez là-encore les frontières historiques du CRM...

Cette offre vise à garantir aux clients finaux la source des produits, avec à la clé toute la chaîne de traçabilité, et qu'il s'agit bien d'originaux. C'est le cas d'usage que nous avons identifié, et qui représente un véritable vecteur de valeur pour l'expérience client.

Vous avez signé des accords avec Amazon et Google pour porter votre offre sur leur cloud respectif. Pourriez-vous signer des partenariats similaires avec d'autres clouds ?

Nous continuerons à développer notre propre infrastructure car il est important pour nos clients d'être assurés que nous maîtrisons l'intégration verticale de nos applications de bout en bout. Suite à l'accord signé avec Amazon, les applications Salesforce ont été déployées sur Amazon Web Services en Australie et au Canada. Côté Google, l'intérêt est d'héberger nos applications sur le même cloud que Google Analytics avec lequel nous sommes intégrés, ce qui évite des mouvements de données très lourds, notamment dans le BtoC.

Certains clients nous ont par ailleurs demandé de faire tourner notre offre sur d'autres infrastructures. Nous portons donc la plateforme Salesforce sur ces infrastructures. Nous avons fait tout un travail pour rendre notre environnement portable sur n'importe quel cloud public.

Alexandre Dayon est devenu président produits de Salesforce en 2014. Il était précédemment vice-président applications et plateforme du groupe américain. Ce Français a rejoint le comité de direction en 2008 lors du rachat par Salesforce d'InStranet, société spécialisée dans la gestion de bases de connaissances pour les call centers dont il était fondateur. En novembre 2017, il prend la direction de la stratégie de Salesforce.