Frugalité numérique : et si le digital était le meilleur allié de la planète ?

La transformation numérique des entreprises peut avoir des impacts très positifs sur la planète, et réduire fortement la consommation d'énergie et de matières premières rares.

L’arrivée du Covid-19 a bouleversé toutes les économies mondiales et obligé les entreprises à basculer dans des usages numériques distants en quelques jours.

Celles, peu nombreuses, qui avaient déjà avancé dans leur transformation numérique ont bien tenu le choc. La majorité, mal préparée, a découvert les joies des VPN sous-dimensionnés et très lents, des centres de calcul internes qui ne tiennent pas choc ou des collaborateurs qui ne disposaient pas de postes de travail mobiles.

Les nouveaux modes du travail de la fin de l’année 2020, et des suivantes, ne seront plus jamais comme ceux que l’on connaissait en 2019. Toutes les entreprises devront accélérer leur transformation numérique, poussées par la demande de leurs clients et de leurs collaborateurs.

Comment ce rôle accru des usages numériques professionnels peut influencer nos impacts sur la planète, en termes d’usages d’énergie et de matières premières ? C’est une interrogation majeure à laquelle je souhaite apporter ici des premiers éléments de réponse.

La démarche de Frugalité Numérique que je propose consiste à prendre en compte les impacts sur la planète de toutes les décisions liées au numérique. Les thèmes suivants sont abordés dans cet article :

  • Les sept composants sur lesquels on peut agir,
  • La dématérialisation de l’économie rendue possible par le numérique,
  • Un exemple concret : les smartphones.

Frugalité Numérique : les sept composants

Pour faciliter la prise de décisions pratiques, il est nécessaire d’identifier les principaux composants sur lesquels on peut agir. J’en ai identifié sept, que l’on retrouve sur le schéma suivant :

Les six premiers sont liés aux infrastructures numériques :

  • Les centres de calcul : privés, hébergés ou clouds publics,
  • Le stockage des données : centralisé, local, magnétique, optique, SSD...
  • Les réseaux : LAN, MAN et WAN, filaires et sans fil,
  • L’impression : laser, à encre, N&B, couleur...
  • Les objets d’accès : PC fixes et portables, smartphones, tablettes, chromebooks…
  • L’IoT, informatique des objets et l’IIoT, Informatique Industrielle des objets.

Ces six composants d’infrastructures sont ceux qui consomment de l’énergie et des matières premières. Ils n’ont de “valeur” que lorsqu’ils sont utilisés pour permettre à des logiciels, des applications de fonctionner. Ce septième composant, les logiciels applicatifs, va consommer des ressources d’infrastructures, donc de l’énergie et des matières premières, que les utilisateurs ne “voient” pas.

Une démarche de Frugalité Numérique va chercher, dans chacune de ces dimensions, quelles sont les meilleures options, celles qui protègent le mieux la planète.

J’ai beaucoup travaillé sur tous ces sujets ; ils sont complexes et les réponses sont parfois “contre-intuitives”. Elles vont très souvent à l’encontre des messages d’alarme diffusés sur de nombreux réseaux sociaux par des mouvements écologiques.

Je prendrai deux exemples :

  • Non, regardez une vidéo sur Netflix n’est pas nocif pour la planète et réduire artificiellement la qualité de l’image… n’a aucun impact sur la consommation d'énergie.
  • S’obstiner à garder un centre de calcul privé et ne pas basculer sur les clouds publics des géants industriels AWS, Google ou Microsoft est… un crime contre la planète.

(Vous trouverez les démonstrations et les données sur lesquelles je m’appuie dans des billets de mon blog.)

Où se trouvent les plus grandes possibilités d’impacts positifs sur la planète ? Contrairement à ce qui peut paraître évident, c’est dans les usages ! 

Chaque fois qu’un collaborateur envoie un email, construit un tableau de bord, consulte son ERP favori pour connaître l’état des stocks dans une usine, il va faire appel à des ressources d’infrastructures, de calcul, de stockage, de transport de données qui, elles, vont consommer beaucoup d’énergie.

Pour améliorer sa Frugalité Numérique, l’action la plus importante que peut entreprendre une entreprise est la formation des collaborateurs sur ces thèmes. Il ne s’agit surtout pas de leur interdire l’accès aux applications dont ils ont besoin. Il faut simplement leur faire comprendre que tout usage non indispensable est un mauvais coup porté à la planète.

Numérique et dématérialisation

Les usages du numérique permettent une très forte dématérialisation de l’économie. C’est l’apport essentiel du numérique à la protection de la planète. Un livre remarquable a été publié récemment sur ce thème : “More From Less”, écrit par Andrew McAfee, économiste et chercheur au MIT à Boston. C’est une lecture indispensable pour toute personne qui souhaite comprendre les impacts potentiels positifs du numérique et de l’innovation. 

De très nombreux graphiques et analyses montrent que la corrélation entre la croissance mondiale (PNB) et la consommation de ressources terrestres (charbon, pétrole, métaux…) était totale pendant les premières étapes de la révolution industrielle, à partir des années 1850 et jusqu’au début des années 1970.

Les années 1970 ? Elles marquent l’arrivée des premiers ordinateurs et le début de croissance de l’informatique et du numérique. Depuis les années 1970 la corrélation entre le PNB des pays et la consommation de ressources non renouvelables a cessé ! Le numérique permet, et c’est le titre du livre de… Faire plus avec moins !

J’ai choisi, pour illustrer ce phénomène majeur, l’exemple du smartphone.

Dématérialisation : l’exemple du smartphone

Pour beaucoup d’écologistes, souvent de bonne foi, le smartphone, c’est le mal absolu ! 

Il demande des matériaux rares pour le fabriquer, extraits dans des conditions déplorables par des enfants, on en change trop souvent, il nous pousse à la consommation immodérée de vidéos YouTube ou Netflix…

Contrairement à ces discours négatifs, le smartphone, apparu en 2007 et aujourd’hui utilisé par près de cinq milliards de personnes peut devenir… un grand allié de la planète !

Les deux dimensions de cette dématérialisation rendue possible par un smartphone sont sur les outils physiques et sur les contenus.

Smartphone et dématérialisation physique

Sur ce schéma, j’ai représenté quelques uns des objets anciens qu’un smartphone de 200 g remplace. Cette liste n’est pas exhaustive :

  • Un téléphone classique,
  • Un appareil de photo,
  • Un caméscope pour enregistrer des vidéos,
  • Un lecteur de CD pour la musique,
  • Une calculatrice,
  • Un lecteur de DVD pour visualiser des vidéos,
  • Un GPS,
  • Une radio,
  • Un réveil,
  • Une montre : beaucoup de “digitaux natifs” ne portent plus de montres,

Essayez de calculer le poids cumulé de tous ces objets ; vous arriverez rapidement à plusieurs dizaines de kilogrammes.

Smartphone et dématérialisation des contenus

Sur ce deuxième graphique, j’ai représenté quelques uns des contenus historiques, physiques, qui ont disparu ou sont devenus marginaux :

  • Encyclopédies : qui achète encore une Encyclopedia Universalis qui pesait près de 100 kg,
  • Dictionnaires,
  • Guides touristiques, remplacés par des applications telles que TripAdvisor,
  • Cartes routières,
  • Agendas papiers,
  • Agendas téléphoniques,
  • Albums de photos,
  • Collections de disques, de CD ou de DVD,

Dans ce cas aussi on parle de plusieurs dizaines de kilogrammes, de milliers de documents papiers qui ne seront plus imprimés, de supports plastiques pour DVD que l’on regarde une fois et qui prennent ensuite la poussière.

En résumé

Le numérique peut devenir un grand allié de la planète, oui, mais ce n’est pas automatique.

Dirigeants, DSI et collaborateurs ont des rôles clefs pour garantir que la transformation numérique des entreprises se fasse en privilégiant la dimension Frugalité Numérique.

Je prendrai un dernier exemple, pour rester sur le cas des smartphones :

  • L’énergie consommée pour fabriquer un smartphone est 3 fois supérieure à celle liée à son usage pendant 3 ans. Prolonger la vie utile d’un smartphone d’un an est un acte citoyen qui réduit son impact énergétique. 
  • Basculer dans une démarche BYOD (bring your own device) qui permet d’utiliser le même smartphone pour ses usages personnels et professionnels divise par deux le nombre de smartphones fabriqués, donc d’autant l’énergie nécessaire à leur fabrication.

Mes expériences récentes avec quelques entreprises innovantes qui prennent en compte cette dimension Frugalité Numérique me rendent très optimiste : tous les collaborateurs sont motivés par cette démarche et y adhèrent rapidement.