La souveraineté technologique doit devenir une priorité diplomatique !

Pris dans une tornade diplomatique entre Européens et Américains, le premier Conseil du Commerce et des Technologies (CCT) portait une ambition nouvelle, qui a pourtant été tuée dans l'œuf. Il est temps que l'enjeu de la souveraineté technologique devienne une branche de la diplomatie privilégiée.

Que pouvait-on objectivement attendre du premier Conseil du Commerce et des Technologies (CCT) qui s’est conclu fin septembre à Pittsburg entre les hauts fonctionnaires de l'UE et des États-Unis ? Des réjouissances, un peu, avec de grands thèmes abordés bilatéralement pour la première fois officiellement : confidentialités de données, réglementation de l’I.A ou encore lutte contre la désinformation en ligne. De même, voir les commissaires européens au commerce extérieur et à la concurrence s’asseoir aux côtés de leurs homologues américains pouvait pousser à l’optimisme, surtout au vu du but affiché de renforcer l’influence Occidentale sur les sujets de souveraineté technologique. Mais également de l’appréhension, beaucoup : la peur d’un énième sommet de discussions sans résultat concret, qui plus est dans un contexte diplomatique difficile entre la France et les États-Unis.

Encore un échec…

Et force est de constater que les plus pessimistes avaient raison. Bien sûr, ce CTT avait avant tout pour but de planter les bases de futurs travaux, plus que de tout révolutionner du jour au lendemain. Un tel effort transatlantique est louable et nécessaire. Mais malgré cela, ce sommet a bien accouché d’une souris, sans doute pour deux principales raisons.

D’abord, le contexte diplomatique. Évidemment, au lendemain d’une crise diplomatique d’une rare violence entre les deux côtés de l’Atlantique sur des sujets de défense, l’ambition du CCT a été drastiquement revu à la baisse. Les deux camps ont ainsi appréhendé le sommet à travers le prisme de cette crise, biaisant toutes les discussions, les transformant en guerre de position. La tentative (ratée) de la France d’annuler le sommet via Bruxelles en est l’illustration : le CCT a été le dommage collatéral de la crise entre la France et les États-Unis, réduisant l’opportunité donnée de développer une souveraineté technologique Occidentale.

Ensuite, l’efficacité du sommet en soi, qui a laissé à sa clôture plus de questions que d’éléments de réponse. Initiant un nouveau format de discussions bilatérales, le sommet s’est davantage transformé en plateforme détournée pour que chacun des acteurs puisse pousser leurs propres intérêts qu’un moyen de développer une gouvernance commune. Les États-Unis y voyaient un moyen de faire pression sur la Chine tandis que l’UE était plus frileuse sur le sujet au vu de ses liens économiques avec les Chinois, renforçant les désaccords entre les deux parties. De plus, les responsables américains et européens n’étaient en réalité pas en mesure de prendre des engagements coercitifs à l’échelle nationale, réduisant drastiquement l’efficacité de possibles accords bilatéraux.

Nous devons nous saisir à l’échelle internationale de l’enjeu de la souveraineté technologique !

Une transition doit donc s’effectuer au niveau international. La souveraineté technologique n’est pas un enjeu d’apparat et ne peut pas se faire reléguer au second plan pour être utilisé comme outil diplomatique afin de faire valoir son mécontentement. Cet enjeu doit transcender les enjeux d’intérêts nationaux et ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de la diplomatie. Les questions de cyberattaques ou de confidentialité des données nécessitent des réponses communes efficaces, rapides, et propres de toute pollution politicienne.

De tous les secteurs relatifs à la souveraineté technologique, la cybersécurité illustre parfaitement les manques actuels au niveau international. L'UE et les États-Unis doivent engager un dialogue pour reconnaître mutuellement les certifications de cybersécurité sur la base des normes internationales, afin d’atténuer au maximum les risques cyber. De même, un dialogue permanent avec l'OTAN pourrait faciliter l'alignement des fonds destinés aux projets communs de recherche et d'innovation en matière de cybersécurité.

Une souveraineté européenne en priorité ?

Il est crucial d’utiliser ces opportunités rares pour en faire des forums de discussions permanents et d’en sortir des propositions concrètes et indispensables. Le CCT doit fournir un cadre commun qui favorise l'innovation, et non la surrèglementation, la fragmentation ou la duplication. Si un tel cadre commun n'est pas immédiatement réalisable, Européens et Américains doivent au moins pouvoir dégager un ensemble de principes communs pour pouvoir aller de l’avant.

Un deuxième CCT est déjà prévu pour début 2022. Nous ne pouvons qu’espérer cette fois que le sommet ne sera pas le théâtre de disputes diplomatiques annexes à la souveraineté technologique, et que le sujet mûrisse des deux côtés de l’Atlantique. Cependant, déjà, les responsables américains s'inquiètent des projets européens de réglementation des technologies, qui selon eux visent injustement les GAFA. Une souveraineté technologie européenne se développe donc et est la bienvenue. Reste à savoir si elle peut être compatible dans une relation transatlantique déjà fracturée.