Carole Grandjean (gouvernement) & Yann Bonnet (Campus Cyber) "Il nous faut augmenter l'attractivité de la cybersécurité auprès des jeunes"

Le 27 septembre se tenait une formation à la cybersécurité destinée aux professeurs de BTS informatique et numérique au Campus Cyber de Paris. Entretien avec son directeur général délégué Yann Bonnet et la ministre déléguée chargée de l'Enseignement et de la Formation professionnelle Carole Grandjean.

JDN.  Nous manquons de bras dans le secteur de la cybersécurité mais de combien exactement ? D'où vient ce manque ?

Yann Bonnet. En France, 15 000 postes sont à pouvoir, et 17 000 au Royaume-Uni pour faire une comparaison. La

problématique du recrutement est le sujet numéro un du campus. Sans cyberpompiers les entreprises ne peuvent pas se défendre, à l'instar des acteurs publics. Et pour recruter un grand nombre de ces cyberpompiers, il nous faut augmenter l'attractivité de la cybersécurité auprès des jeunes. Nous devons changer l'image de la cybersécurité, trop souvent considérée comme peu diversifiée du point de vue des offres de travail. Alors qu'en réalité la cybersécurité propose 50 métiers différents. Bien que très divers, ils permettent tous de protéger la société de la menace des hackers.

Ce plan d'attractivité doit faire sauter deux verrous. Le premier est celui qui donne à la cybersécurité l'image d'un milieu masculin, il n'y a que 11 % de femmes dans la cybersécurité. Nous devons changer ça, on se prive de la moitié de la population et de nombreux talents. Le deuxième verrou est celui du cliché qui veut que, pour travailler dans la cybersécurité, il faut absolument être ingénieur. Alors qu'en réalité, 56 % des emplois du secteur sont tenus par des bac+3. On doit aussi permettre aux personnes souhaitant se reconvertir dans la cybersécurité de le faire. Je pense surtout aux acteurs de la DSI qui souhaiteraient intégrer la cybersécurité, on devrait les aider car ces derniers possèdent une expérience qui serait fort utile.

Sur 15 000 jeunes qui sont formés en informatique, seulement 1% vont dans la cybersécurité.  Nos futurs jeunes travailleurs cyber sont-ils attirés par de beaux salaires outre-Atlantique ou est-ce le fait d'une faible attractivité de la cybersécurité ?

Yann Bonnet. Pour moi, ce sont les deux. Comme dans le secteur de l'IA, des géants américains du numérique attirent les jeunes étudiants français grâce à d'importants salaires. Mais le vrai problème, c'est l'attractivité. Les jeunes doivent être mieux informés sur les opportunités qu'offre la cybersécurité, et particulièrement les jeunes femmes. Actuellement en raison d'un manque de communication, certains cursus de formation ferment faute d'étudiants. Alors qu'au même moment certains pays arrivent à massifier les formations liées à la cybersécurité. C'est le cas des USA et d'Israël. Mais nous n'avons pas à rougir, notre pays possède de très bonnes écoles et est rempli de talents.

Carole Grandjean. Je crois que le grand défi du Cyber Campus, c'est de faire connaitre le savoir-faire français en terme de cybersécurité. Et montrer qu'en France, il existe des consortiums composés d'acteurs privés, d'associations et d'acteurs étatiques. Ensemble, ils ont le désir de faire évoluer notre pays dans leurs secteurs d'activité et de le protéger face aux cyberattaques. Un des enjeux qui sont les miens est de préparer notre nation aux enjeux de demain à travers la formation, en orientant plus de jeunes vers des métiers d'avenir et notamment ceux de la cybersécurité, avec un parcours scolaire et un apprentissage adaptés. Le défi pour attirer nos futurs travailleurs de la cybersécurité est de leur faire découvrir ses métiers. Par ailleurs on sait que beaucoup de jeunes s'orientent par rapport à leur environnement familial, donc on doit promouvoir les métiers de la cybersécurité tout le long de la boformation scolaire et en apprentissage. Se pose aussi le problème de la territorialisation des métiers du numérique qui doivent être présents partout en France et pas que dans certaines régions. 

L'Etat en fait-il assez ?

Yann Bonnet. Le président de la République a compris les enjeux liés à la cybersécurité, c'est pour cela qu'il a investi un milliard d'euros. Il agit concrètement, aujourd'hui le ministère de l'Education et le Cyber Campus vont former 200 professeurs de BTS aux enjeux de la cybersécurité. Dans 15 jours ce sera des professeurs de lycées professionnels.  Le ministère de l'Education est moteur sur tout ce qui touche à la formation. Nous allons devoir former ensemble 15 000 personnes, c'est énorme. Il va falloir s'appuyer sur des centres de formation.

Et comment lutter contre le désintérêt des femmes pour la cybersécurité ?

Yann Bonnet. C'est vraiment lié à l'imaginaire. Par exemple au Maghreb, le milieu de la cybersécurité n'est pas aussi masculin. On doit passer par la fiction pour changer cet imaginaire et on va montrer que la cybersécurité, c'est un métier du care. Les lignes commencent à bouger, à l'ANSSI nous avons 28 % de femmes. Cette problématique de déséquilibre des sexes est présente dans tout le milieu du numérique. Nous attaquons ce problème à la source, via les enseignants dès le collège. On doit briser cet imaginaire masculin autour de la cybersécurité. Ainsi, nous aurons un milieu de la cyber plus diversifié et qui possédera un plus grand esprit d'initiative.

Carole Grandjean. C'est un enjeu important dans le secteur de la cybersécurité et plus globalement dans celui du numérique. Il ne faut pas oublier que la moitié de la nation est composée de femmes ! Il ne serait pas judicieux de se priver de la moitié de la nation et du potentiel présent chez ces femmes. Il faut que nous parvenions à faire des filières du numérique et de la cybersécurité des vrais choix de carrière pour nos concitoyens et concitoyennes.