Le Digital Services Act (DSA) sauvera-t-elle l'Europe de la désinformation ?

Lors de la négociation du DSA, les législateurs ont trouvé un équilibre entre désinformation et liberté d'expression. Mais la dernière proposition de la Commission européenne met à mal cet accord.

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Dire que la désinformation en ligne constitue une menace majeure pour l'UE revient aujourd’hui à dire que Bruxelles a un climat pluvieux 90% de l'année, cela relève de l’évidence. Ce phénomène a déjà contribué à bon nombre des crises récentes de l'UE (montée des extrêmes, l'islamophobie, les mouvements antivax, Brexit...), si bien que les rivaux de l’Union utilisent désormais cette pratique comme un moyen peu coûteux et peu risqué de fomenter avec beaucoup de courtoisie la dissidence au sein même de l'UE, sans y mettre les pieds. L'invasion de l'Ukraine par la Russie et les fausses informations en découlant en est d’ailleurs la dernière illustration en date.

Le DSA, la juste réponse

Ce déluge de désinformation survient alors que l'UE parachève sa tant attendue la loi sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), entendue comme une boîte à outils de choix pour réglementer les plateformes en ligne. Le DSA obligerait ainsi les grandes plateformes type GAFAM à faire preuve de plus de transparence et de responsabilités dans leur lutte contre la désinformation en les contraignant à une plus grande transparence quant à la modération de leurs contenus, notamment via la publication de rapports annuels déroulant leurs pratiques de modération.

Cependant, le DSA n’allait pas assez loin dans sa conception, notamment du point de vue de la Commission européenne et de son commissaire au marché intérieur Thierry Breton, initiateur de la régulation. Jusqu’à récemment, les négociateurs européens s’étaient entendus pour que les plateformes bénéficient de la liberté de choisir comment celles-ci devaient gérer la désinformation : les plateformes pouvaient ainsi décider de supprimer la propagande pro-russe, mais pouvaient aussi l'assortir d'avertissements, fournir des informations vérifiées sur les faits, la désamplifier ou encore cesser de la recommander.

Un pari risqué de la Commission européenne

Toutefois, dans un changement de dernière minute, la Commission européenne s'est attaquée à la "nature anticipative ou volontaire" des obligations de lutte contre la désinformation, selon elle insuffisante en cas de "crise". La Commission affirme qu'elle doit être en mesure d'orienter la manière dont les plateformes répondent aux situations de "crises" telles que l'invasion de l'Ukraine par la Russie, et veut avoir le pouvoir de déterminer elle-même si "crise" il y a. Rien que ça. Cette proposition, si elle s’entend le contexte actuel de guerre, compromets cependant le fragile équilibre politique entre députés européens et États membres dans le processus législatif.

Si elle disposait de ces pouvoirs, la Commission pourrait donc obliger les grandes plateformes à supprimer les fausses informations pro-russes, dans la lignée du boycott justifié des chaînes TV Russia Today et Sputnik. Toutefois, pour exiger la suppression systématique de ces informations, il faudrait inévitablement s'appuyer sur des outils artificiels automatiques, notoirement imprécis et assez sommaires, et qui ne tiendraient pas compte du contexte et pourraient ainsi avoir un impact fallacieux sur des contenus importants et authentiques, comme les parodies. En illustration, Twitter avait d’ailleurs supprimé par erreur des comptes qui rendaient un service précieux en signalant les activités militaires russes en Ukraine.

Faire de l'UE le leader mondial de la régulation numérique

Ainsi, malgré des années d'efforts, l'UE reste vulnérable aux campagnes de désinformation et de mésinformation, qui menacent de polariser les sociétés et de réduire la confiance dans les institutions démocratiques. Compte tenu des intérêts sensibles en jeu, les législateurs européens ont bien fait de s'accorder sur de nouvelles responsabilités pour les plateformes en ligne. Les autres pays occidentaux sont loin d'être parvenus à un quelconque consensus, ce qui fait de l’UE un véritable leader mondial dans le domaine, donnant l’occasion aux Européens de donner le ton de l'ensemble des réglementations à l’international, et de regarder les GAFAM droit dans les yeux. C’est désormais à la Commission de ne pas saper cette ambition en réclamant les pleins pouvoirs, et en prenant ainsi le risque d’être contre-productif.