Quelle UX design pour l'industrie 4.0 ?

L'expérience utilisateur des applications industrielles a besoin de s'inspirer de l'expérience client des applications grand public.

En France, 77% de la population âgée de 15 ans ou plus est équipé d’un smartphone*. La nature des équipements informatiques dans le monde de l’entreprise est à l’opposé de la pratique du grand public. En effet, pour 100 000 appareils informatiques, les entreprises sont principalement équipées en ordinateurs portables et fixes (68 700) et assez peu en téléphones portables (3300)**. Suspecté d’être un « gadget » dans les ateliers de production, le smartphone y reste en majorité utilisé pour sa fonction de communication et à destination des professionnels nomades et managers. Pourtant, en matière d’expérience client, le monde professionnel a besoin de s’inspirer des applications grand public.

UX design : un fossé entre monde professionnel et personnel

L’expérience utilisateur des applications industrielles a besoin de s’inspirer de l’expérience client des applications grand public. Il s’agit notamment de s’appuyer sur des interactions claires et standardisées, une navigation intuitive, une possibilité de revenir en arrière facilement avec une gestion adéquate des modifications et des erreurs et enfin de connaître les usages à travers l’exploitation des traces d’usages ou analytiques. 

Les salariés interagissent donc avec deux mondes distincts. Plusieurs fois par jour, ils consultent des applications bancaires, des réseaux sociaux, des sites d’achat en ligne... Cette exposition quotidienne à des applications mobiles dont l’expérience utilisateur est au cœur de leur stratégie crée des patterns d’interaction qui facilitent l’utilisation des sites et des applications sans pré-requis de compétences. D’un autre côté, quand ils arrivent en entreprise, ils utilisent des logiciels sélectionnés sur des critères de performance, de robustesse et de sécurité avec des designs d’interface datant parfois de plusieurs décennies. Dans certains cas, la question de l’ergonomie de ces solutions logicielles peut-être un critère intégré dans le cahier des charges mais rarement avec un poids majeur dans les matrices de décision. 

Cette dichotomie entre les expériences est une faiblesse pour les applications industrielles. En effet, en s’appuyant sur les pratiques des applications web à destination du grand public, les utilisateurs reproduisent des comportements d’interaction qui améliorent le traitement de l’information et accélèrent l’apprentissage de ces applications. Ce qui encourage l’adoption de ces solutions, et, point non négligeable, contribue à donner une bonne image de celui qui les utilise et de l’entreprise qui les met à disposition. 

L’UX design pour l’industrie 4.0 

Pour les industries, l’enjeu est donc de tirer parti des compétences acquises à travers les usages du quotidien pour faire évoluer les applications professionnelles. Les salariés ont également un niveau d’exigence qui a augmenté en matière d’interfaces des logiciels professionnels, et ce même s’ils n’en attendent pas un niveau équivalent aux applications grand public. Et ce quelle que soit la population : agriculteurs, ingénieurs en R&D, mainteneurs industriels ou designers… Tous cherchent l’inspiration dans ce qu’ils utilisent. Par exemple, pour des fonctions de conversation avec des chatbots, les références à la manière dont les conversations sont affichées dans les réseaux sociaux sont la base de la conception des prototypes. De même, pour des catalogues de pièces, il est fréquent que la logique « objet » des sites d’achats en ligne avec fonction de recherche associée soit reprise pour créer des écrans hybrides de navigation dans les données et/ou d’utilisation d’un pointeur pour extraire rapidement une valeur précise.

Il y a une tolérance devant le fait de ne pas atteindre le même niveau que les applications grand public. Les salariés ont parfaitement conscience des limites et des contraintes des entreprises. Cependant, cette attitude est plus difficile pour les générations de professionnels qui sortent tout juste des études et qui ont une certaine culture digitale et dont parfois la déception est vive face à des logiciels conçus il y a plus de 20 ans. Est-il préférable d’avoir une interface en ligne de commande ou une interface graphique ? La question n’a plus lieu d’être pour le moment, car les interfaces moins graphiques sont redoutables de performance et de stabilité, mais il est difficile de retenir des profils avec des interfaces qui ne reflètent pas leur représentation de la digitalisation des industries. 

Le challenge du volume de données

En ce qui concerne plus spécifiquement l’industrie 4.0, le volume de données à analyser est le challenge majeur pour l'UX design. Il s’agit de l’analyse et de la prise de décision à partir d’abstractions du réel. Le monde réel est projeté dans le monde digital et traduit en données. Le changement de paradigme est important : comment est-ce que je peux « voir » ce monde réel à travers les données ? Et comment avoir confiance dans les données et donc in fine dans les décisions prises ? Les enjeux de conception de l’expérience utilisateur gravitent autour de la conception d’un système qui permette de manipuler ces données pour résoudre des problèmes encore plus complexes. Un certain niveau de complexité est toléré voire attendu pour ce type d’outil mais il est bien entendu important que la complexité soit du côté du problème à résoudre et en aucun cas du côté de l’outil en lui-même. 

L’inspiration à partir des éléments de l’expérience utilisateur grand public cités jusqu’alors ne doit pas faire oublier que le point principal est la connaissance approfondie de la population cible, grand public ou professionnel. Designer une bonne expérience pour les professionnels implique de connaître les activités à réaliser, les conditions d’exécution, les compétences métier pour s’assurer de la réussite des utilisateurs. La méthodologie de Design Thinking développée par Tim Brown est efficace et permet d’adresser les sujets industriels aussi bien que les applications grand public. A travers les différentes étapes (empathie, définition, idéation, prototypage et apprentissage), elle travaille à partir du point de vue utilisateur pour concevoir une meilleure solution, l’idéal étant d'intégrer des utilisateurs finaux dans les différents ateliers.

*Etude INSEE de 2021 : https://www.insee.fr/fr/statistiques/6036909#titre-bloc-4

**Rapport de l’ADEME Normandie de 2015