Open source : un modèle fondamentalement bon ?
L'open source est souvent présenté comme un acte généreux de mise à disposition collective du savoir et des technologies. Mais au-delà de l'idéologie, c'est aussi un moteur économique considérable.
Une économie invisible mais colossale
Aujourd’hui, près de 90% des serveurs du monde fonctionnent sur des solutions open source, principalement Linux, créé en 1991 par Linus Torvalds. À titre de comparaison, une licence Windows Server Standard coûte environ 972 dollars. Avec plus de 100 millions de serveurs en activité, l’économie réalisée chaque année grâce à l’open source atteint plusieurs dizaines de milliards de dollars pour l’industrie numérique mondiale.
GitHub, plateforme centrale de collaboration open source, comptait en 2022 près de 94 millions de développeurs et enregistrait plus de 413 millions de contributions annuelles. Ces chiffres illustrent la vitalité discrète mais indispensable d’une communauté qui, chaque jour, améliore des bibliothèques critiques pour la sécurité ou la performance des systèmes numériques mondiaux, souvent dans l’ombre et sans reconnaissance directe du grand public.
Des entreprises bâties sur l’open source
L’open source n’est pas réservé aux initiatives bénévoles. Certaines entreprises en ont fait le socle même de leur modèle économique. Twilio, entreprise américaine cotée au NASDAQ, a bâti son infrastructure sur Asterisk, une technologie open source de téléphonie IP. Sans ce socle ouvert et collaboratif, le modèle économique même de Twilio, aujourd’hui évalué à plusieurs milliards de dollars, aurait été radicalement différent, voire impossible à imaginer.
Mais cette logique dépasse le monde purement numérique. Historiquement, partager librement une innovation technique peut avoir un impact social et économique majeur. Prenons l’exemple moins connu de Volvo avec l’invention du siège auto pour enfant dos à la route. Volvo aurait pu breveter et verrouiller strictement cette invention révolutionnaire, mais a choisi de partager gratuitement les résultats de ses recherches, sauvant potentiellement des milliers de vies. Ce choix a non seulement renforcé la sécurité automobile mais a aussi engendré un marché plus vaste et ouvert, profitant à l’ensemble des constructeurs et consommateurs.
Une générosité devenue stratégique
Aujourd'hui, l’esprit initial de générosité radicale et spontanée du « give back », très présent au début du web, semble avoir progressivement évolué, particulièrement après l’éclatement de la bulle internet. Désormais, ce même esprit existe toujours, mais sous une forme différente, plus structurée, plus réfléchie, souvent pilotée par des entreprises aux ambitions complexes. Pourquoi Meta choisit-elle de rendre publiques certaines de ses recherches les plus avancées en intelligence artificielle ? Quelles motivations poussent OpenAI à mettre en open source Whisper, son performant algorithme de transcription ?
Ces démarches modernes d’open source soulignent une réalité nouvelle, où l’ouverture ne signifie pas nécessairement gratuité absolue. Certaines licences peuvent introduire des subtilités économiques et stratégiques importantes, modelant différemment la dynamique traditionnelle de l’innovation ouverte. L’open source d’aujourd’hui, porté par de grands acteurs économiques, dessine un paysage inédit dont les motivations réelles méritent d’être explorées avec attention.
L’open source reste l’un des modèles les plus puissants et inspirants de ces dernières décennies : ses retombées sont immenses, sa posture généreuse, son impact indéniable. Mais entre les mains de certains acteurs, ce modèle peut aussi servir des logiques bien moins vertueuses. Lorsqu’il devient un levier d’influence opaque ou un outil de domination masqué, ce qui était né pour libérer peut aussi enfermer. C’est là toute l’ambiguïté de l’open source aujourd’hui : aussi beau dans son intention qu’il peut être inquiétant dans ses détournements.