Économiser n'est pas investir : la puissance publique face à ses contradictions
Plutôt que d'imposer l'austérité sociale, l'État devrait mieux orienter ses achats publics pour relancer l'économie, soutenir l'emploi, relocaliser, générer des recettes et renforcer sa souveraineté.
Face à l’urgence budgétaire, l’exécutif envisage de tailler dans les dépenses sociales. Pourtant, un gisement d’économies et de relance existe : les achats publics. En les orientant stratégiquement, l’État peut soutenir l’emploi, renforcer sa souveraineté économique et générer des retombées fiscales. Une approche à repenser d’urgence.
La tentation de l’austérité sociale
La France doit trouver 40 milliards d’euros d’économies pour redresser ses comptes publics. C’est le chiffre officiel avancé par Bercy pour 2026. Mais que recouvre ce chiffre ? Pas une ligne budgétaire à couper au scalpel. Plutôt une équation douloureuse : rogner les retraites, comprimer la Sécurité sociale, toucher aux aides, toucher aux niches fiscales. Autrement dit, plonger les mains dans ce qui fait société.
Pourtant, il existe un autre levier, plus discret, moins explosif mais tout aussi puissant : les achats de l’État. Ils représentent près d’un quart de la dépense publique, soit 50 milliards d’euros par an[1]. Viser un dixième de cet effort permettrait d’économiser 5 milliards d’euros. C’est beaucoup, mais c’est aussi 50 fois 100 millions. C’est atteignable, si l’on identifie 50 poches de relocalisation ou d’optimisation de 100 millions chacune dans la machine publique. Ce n’est pas un objectif lointain, c’est une action concrète.
Le cas DINUM : un choix à repenser économiquement
Prenons un cas concret : le numérique (qui pèse 4 milliards/an) et la DINUM, la direction interministérielle du numérique. Elle a lancé un appel d’offre à 120 millions d’euros pour concevoir une suite logicielle interne destinée aux 2 millions d’agents de l’État. L’objectif est d’échapper à la dépendance aux GAFAM, notamment Microsoft. L’intention est louable. Mais dans les faits, l’État devient opérateur lui-même, en développant des outils au lieu de s’appuyer sur une filière d’éditeurs français déjà existante.
Ce choix freine la dynamique économique. En internalisant le développement, l’État ne génère ni retombées fiscales ni impact industriel. Aucune TVA, aucun IS, aucun emploi dans la filière logicielle nationale. Pire : dans de nombreux ministères, Microsoft reste massivement utilisé, parfois sous licence publique, parfois via des clouds non souverains. Résultat : on cumule les coûts sans réussir à basculer vers un modèle vertueux. C’est une double peine. Une sortie sèche de 120 millions, sans retour ni levier, doublée du maintien des dépenses privées vers l’étranger.
Relocaliser les dépenses pour relancer l’économie
À l’inverse, confier ce chantier à une filière logicielle française aurait permis une circulation vertueuse : développement local, prestations associées, hébergement, support, emplois, impôts. Une part des 120 millions serait revenue dans les caisses publiques via la fiscalité. Une autre aurait renforcé la base industrielle numérique du pays, ouvrant la voie à des reventes à d’autres administrations, collectivités ou à l’export. Ce n’est pas de l’idéologie mais de la macroéconomie appliquée. Les chaînes de valeur sont des leviers d’autonomie économique.
Une étude menée par le CIGREF et le cabinet Asterès le rappelle : chaque point de marché repris aux GAFAM crée un effet levier. L’Europe perd 264 milliards d’euros par an dans sa dépendance numérique, dont une part significative s’envole vers les États-Unis. La France importe chaque année 25 milliards d’euros de services numériques. Réorienter 5% de ces flux vers des acteurs européens générerait 12 milliards de valeur ajoutée et près de 180 000 emplois. Des chiffres à la hauteur de l’enjeu.
Dépenser mieux, pas moins
Le cas de la DINUM illustre le choix fondamental à faire : continuer de considérer les achats publics comme une dépense… ou les traiter comme un investissement productif au service de l’économie, de l’emploi et de la souveraineté.
La rigueur budgétaire ne doit pas étouffer l’économie. Couper dans les dépenses ne crée pas de richesse. Investir intelligemment peut en créer beaucoup.
Alors non, le choix n’est pas binaire entre austérité et laxisme. Il est entre passivité et stratégie, fuite des capitaux et circulation locale. Entre importation et production. Changer la logique des dépenses publiques n’est pas une utopie. C’est une stratégie. Diminuer, c’est mourir. Investir, c’est soutenir.