Organisation et méthodes Agiles : état de l’art 2014

Le rêve de l’élargissement de l’Agilité à l’ensemble des composantes des organisations n’a jamais été aussi près de son effritement technique. Les problèmes des organisations ne sont pas uniquement affaires de communication et de motivation en faisant totalement abstraction des contraintes techniques et des réalités matérielles.

1991 : la méthode RAD

Cette méthode concrétisait et formalisait la rupture des approches incrémentales et itératives avec le cycle en V.  La méthode RAD couvrait totalement le scope de Scrum, une partie de celui de XP ainsi que de plusieurs autres techniques qui font actuellement défaut aux frameworks agiles actuels.  Sa structure se caractérisait par quatre groupes de préoccupations correspondant à des nécessités toujours bien réelles :
  • Initialisation : La présence d’un animateur-facilitateur responsable d’une charte projet acceptée par tous les intervenants.
  • Cadrage : L’intervention régulière d’un utilisateur qui valide en permanence la pertinence des besoins exprimés.
  • Design : Une forme élémentaire d’expressions des exigences obtenue en travail de groupe dont découlera, si nécessaire, une modélisation simplifiée.
  • Construction : Un développement du produit piloté par un affichage mural et réalisé selon des règles d’ingénierie applicatives structurées (mais non extrêmes) incluant les concepts  de qualité du code et de validation permanente des fonctionnalités. 

1999 : le framework XP

L’eXtrem Programming formalise les 13 pratiques d’ingénierie du logiciel qui poussées à l’extrème permettent l’obtention d’un code particulièrement propre, efficient et maintenable. L’usage de XP lors de la phase de construction du RAD était alors conseillé lorsque qu’une qualité extrême du code était requise et que des ressources ayant ces compétences étaient disponibles. Comme RAD, XP est incrémental et itératif.

2001 : Scrum

La propagation de cette méthode fait suite à l’Agile Manifesto en 2000 qui qualifie d’Agile le tronc commun d’une dizaine de méthodes désormais pratiquement disparues (écrasées par l’omniprésence et le simplisme de Scrum).
Scrum reprend un sous ensemble des pratiques de la méthode RAD (le pilotage des incréments) qu’elle intègre dans un cérémonial convivial et très porteur.
Par contre, Scrum ne précise pas les formes d’expressions ou de modélisation des exigences complexes, fait abstraction des techniques de développement et surtout se limite à  un pilotage du projet par incrément sans permettre de gérer les aspects itératifs (modifications importantes détectées en cours de  Sprints, à l’exception depuis 2010 de détails mineurs).

Le Lean ou l’esprit du travailleur nippon ressuscité

Un constat est accablant : les méthodes Agiles n’ont pas évoluées fondamentalement depuis leurs origines alors même que de nombreux besoins des organisations ne sont pas satisfaits.  Ce trou méthodologique amène de nombreux agilistes à rechercher des solutions aux problèmes actuels et futurs dans les déceptions d’un passé qu’ils n’ont pour la plupart pas connu et pour d’autres volontairement oublié.

Trois formes de Lean se sont succédées depuis les 60 dernières années

Elles correspondaient à la transformation profonde de nos sociétés caractérisée par le passage des secteurs : secteur secondaire (industrie manufacturière) avec le Lean Manufacturing;  secteur tertiaire (banques, assurances, divers services) avec le Lean Office; puis secteur quaternaire (commerce électronique,  communications, finances et administration dématérialisées avec le Lean Développement.

Le Lean Industriel émergea avec la seconde Guerre mondiale et les Trente Glorieuses qui suivirent.
Il n’offrait de la flexibilité qu’aux entreprises sans permettre aucune créativité réelle aux employés. C’était un taylorisme amélioré par l’auto-contrôle des travailleurs et c’est au Japon qu’il connut quelques succès.. Dès les années 1980, le Lean Office tenta d’améliorer la productivité des bureaux par la mise en œuvre de variantes comme le MQTS, les Cercles de qualité et en prêchant une délégation de pouvoir qui n’était jamais réellement offerte aux employés, mais semblait assez effrayante pour être remis en cause par l’encadrement intermédiaire.
Avec l’échec de Scrum, incapable de déborder de la simple gestion de sprint, c’est vers le Lean Développement  que se tournent maintenant les consultants. Cette variante du Lean se caractérise par une nouvelle tentative de pseudo socialisation du travail basée sur une forme de démocratie d’entreprise. En résumé, de grandes idées mais pas de supports techniques réels dans un monde technologiquement de plus en plus complexe.
Devant une telle misère culturelle et une telle limite d’action, la seule solution semble être back to the future et Lean à fond. Et si cela n’apporte rien alors on propose le bond dans l’inconnu social avec des formes de démocraties d’entreprise rejetées presque systématiquement  par l’encadrement (ici comme d’ailleurs au Canada).

Conclusion sur état de l’art Agile 2014

Le rêve de l’élargissement de l’Agilité à l’ensemble des composantes des organisations n’a jamais été aussi près de son effritement technique. Il n’est pas possible de se limiter à penser que les problèmes des organisations  sont uniquement affaires de communication et de motivation en faisant totalement abstraction des contraintes techniques et des réalités matérielles.
Il est tout aussi paradoxal de constater que des impératifs aussi vitaux ne trouvent pas de relais formels et se s’engluent dans des réflexions de psychanalyse de groupe et de révolution sociale.
Il faut immédiatement  développer  à l’échelle de la profession des outils concrets couvrant les réels domaines de préoccupation des cadres et des dirigeants. Je pense plus particulièrement à un modèle documenté d’architecture d’Enterprise agile, à des techniques agiles, mais non révolutionnaires, couvrant les divers aspects de la dynamique participative. Il faut aussi des techniques Agiles de veille technologique, de conception, de marketing et d’accompagnement des évolutions qu’elles soient continues ou de rupture. Évidemment, il est question de techniques formalisées dans leurs objectifs et documentées dans leur mise en œuvre.
Les vœux pieux du genre « si tous le monde se parle cela ira mieux » (ce qui n’est pas forcément faux par ailleurs), sont insuffisants et conduisent le plus souvent aux déceptions d’un passé connu : Lean, Cercle de qualité, MTQS, etc.  Il faut malheureusement constater que  c’est uniquement la facilité de cette dernière approche qui semble pour l’instant prévaloir.  C’est un peu comme si des incantations pouvaient résoudre des problèmes insolubles et les trois colonnes de Scrum assurer le succès des projets complexes. Il est navrant de constater que seul l’eXtrem Programming, a formalisé une approche de qualité logiciel en 1999 et que depuis, plus rien de sérieusement formalisé n’a émergé officiellement du mouvement agile.
Je plaide donc pour une extension technique du concept Agile étendu qui irait bien au delà de la simple conduite de projets. Ce besoin émerge directement de clients qui souhaitent l’agilité globale de leurs entreprises, sans arriver à saisir à partir de nos écrits actuels en quoi cela peut bien consister dans le concret. Rien ne me navre plus que de leur dire : « Officiellement nous avons du Scrum qui permet de contrôler les projets sur la base d’un lotissement par incréments et du XP si nous souhaitons de l’itération, donc de la qualité applicative; mais rien d’autre officiellement accepté. ».

Pourtant je ne rejette pas ces deux méthodes, bien au contraire, car au delà de la simple conduite de projet, même si  elles s’avèrent insuffisantes, elles n’en demeurent pas moins utiles. Par contre. il faut maintenant dépasser le contexte des projets et s’attaquer à régler les grands problèmes de la pérennité de nos entreprises. Il me semble possible de s’appuyer sur les valeurs Agiles actuelles pour les compléter et les spécialiser si nécessaire. Y compris en y intégrant des réflexions de types  psychologiques, car la production industrielle par exemple n’a pas de rapport totalement similaire à la gestion d’une petite équipe de projet informatique.
Ce que je rejette par contre, avec l’expérience de ces tentatives de coller des approches étrangères (asiatiques généralement) sur nos cultures professionnelles occidentales Européennes ou Nord Américaines, c’est le bla bla et le pipeau généralisé.

Redécouvrant le Lean (qui je le rappelle date de la dernière guerre), de nombreux consultants se qualifiant d’agiles présentent ces nouveautés englobées de réflexion sur les nouvelles formes de démocratie d’entreprise, ce qui conduit  à faire ressembler de plus en plus les manifestations Agiles à des  congrès de psychanalystes en mal de clients.
Je peux comprendre que les professionnels souhaitent se trouver une porte de sortie de l’impasse où nous a plongé  l’abandon des penseurs paralysés par l’omniprésence de Scrum, mais cette évolution ne se fera pas avec des théories d’arrière garde ressuscitées des abandons du passé.
Je publierai bientôt une suite à cette chroniquel. Qui sera plus technique et permettra de comprendre les architectures organisationnelles agiles du futur.

Ma dernière et grande question est simple : où sont, au présent, les chercheurs qui doivent  concrétiser le futur  technique des méthodes ? Je conseille fortement à tous ceux qui souhaitent dépasser le blocage actuel de jeter un œil sur PUMA Essentiel et PUMA Entreprise, c’est gratuit et si cela peut insuffler quelques idées je n’aurais pas perdu totalement mon temps à communiquer sur ce futur qui se présente si inquiétant mais si passionnant.