Michael Pryor (Trello) "22 millions de personnes ont créé un compte sur Trello"

Acquise par Atlassian 425 millions de dollars en début d'année, cette application de gestion de projet est une des plus utilisées dans le monde. Mais quels sont les secrets de son succès ? Réponses avec son CEO.

Pouvez-vous nous présenter Trello et son concept ?

Michael Pryor est CEO et cofondateur de Trello. © Trello

Trello est un outil collaboratif vous permettant d'organiser visuellement un projet, que ce soit votre mariage ou le planning marketing de votre entreprise. A ce jour, près de 22 millions de personnes ont déjà créé un compte sur Trello. La plateforme a été développée par Fog Creek Software, une entreprise éditrice de logiciels dont je suis le cofondateur, avant d'être lancée à l'occasion de la conférence TechCrunch Disrupt en 2011. En début d'année, Trello s'est fait racheter par la société australienne Atlassian (pour 425 millions de dollars, ndlr). Nous comptons une centaine de collaborateurs dont 60% travaillent à distance.

Pour créer Trello, il semble que vous vous soyez inspiré de la méthode Kanban, très répandue dans le milieu des start-up...

C'est exact. Connue pour avoir été initialement adoptée par Toyota, cette méthode est très populaire chez les programmeurs. Lorsque nous avons lancé Trello, il existait déjà des milliers de logiciels basés sur cette méthodologie. Mais la plupart s'adressaient essentiellement aux développeurs alors que nous voulions créer une plateforme que tout le monde puisse utiliser.

Comment fonctionne la plateforme ?

Trello vous permet de visualiser toutes les étapes de votre projet, que ce soit celles que vous avez déjà réalisées et celles qu'il vous reste à accomplir pour le mener à bien. Pour démarrer, il suffit d'abord de créer un tableau et d'y ajouter autant de "cartes" que vous voulez. Celles-ci peuvent contenir des listes de tâches, pièces jointes, notes, étiquettes, etc. En bref, tout ce qui peut vous aider à vous organiser ! Enfin, Trello étant un outil collaboratif, il est possible d'inviter autant de personnes que vous le souhaitez à rejoindre votre tableau.

Quels en sont ses principaux usages ?

Nous laissons nos membres libres d'utiliser Trello comme bon leur semble. Certains l'utilisent pour planifier un voyage entre amis, d'autres pour organiser l'achat d'une maison. Twitter l'a par exemple utilisé pour publier la feuille de route des futures améliorations de sa plateforme d'API. Après les attentats de Bruxelles, certains ont utilisé Trello pour répertorier les victimes et les survivants.

Quel est votre business model ?

Aux côtés d'une offre gratuite limitée, nous proposons une version premium et une offre dédiée aux grandes entreprises. Il faut savoir que 90% de nos membres utilisent Trello au travail mais que 50% d'entre eux affirment l'utiliser également pour leur usage personnel. Cela signifie donc que 40% de nos utilisateurs utilisent notre produit à la fois au travail et dans leur quotidien, soit un taux d'engagement élevé !

"Notre croissance a été entièrement organique"

Cette situation est vraiment idéale pour convertir des utilisateurs gratuits en payants car, bien souvent, monétiser un produit que les gens utilisent uniquement pour leur usage personnel est difficile. Ou il faut alors toucher un grand nombre d'utilisateurs, comme l'a fait WhatsApp. Mais atteindre un tel ordre de grandeur est plus compliqué pour une application de productivité. Parmi nos clients français, je peux par exemple vous citer Blablacar.

Sur quoi repose votre stratégie d'acquisition d'utilisateurs ?

Jusqu'à encore il y a peu, nous n'avions pas dépensé le moindre centime en publicité. Notre croissance a été entièrement organique. Celle-ci s'est faite presque exclusivement grâce au bouche-à-oreille. Depuis notre acquisition par Atlassian, nous avons commencé à investir dans des campagnes de publicité, sur Facebook et à la radio notamment.

Comment s'est déroulée l'acquisition de Trello par Atlassian ?

Nous étions à la recherche de fonds pour accélérer notre croissance. Nous savions que nous avions un bon produit et ne voulions pas laisser le temps à de potentiels concurrents de nous rattraper. Nous générions des revenus et avions le contrôle total de notre flux de trésorerie. De nombreux fonds d'investissement voulaient investir. En bref, la situation de l'entreprise était bonne et c'est en général le meilleur moment pour aller à la table des négociations avec un potentiel acquéreur. J'ai reçu un email de Mike Cannon-Brookes, le PDG d'Atlassian, me disant qu'il voulait me rencontrer.

Qu'est-ce qui vous a décidé à accepter cette offre ?

Mike et moi nous connaissions depuis quelques années puisque plusieurs de nos solutions étaient en concurrence. Nous avons aussi créé nos entreprises à la même période. Il a fait le déplacement à New York depuis l'Australie pour que l'on déjeune ensemble. Pendant ce repas, nous avons essentiellement parlé de ce qui était important à nos yeux : la vision pour le produit, les valeurs de nos entreprises, l'importance de nos employés, etc. Nous partagions tellement de choses en commun, qu'au final nous avons parlé de tout sauf d'une acquisition ! Lorsque je suis rentré au bureau je me suis même demandé s'ils essayaient vraiment de nous racheter (rires). La phase de négociation n'est venue qu'après.

Plus de la moitié de vos employés travaillent à distance. Pourquoi avoir choisi ce mode de travail ?

Cette décision ne s'est pas prise en un jour. Comme beaucoup d'entreprises nous avons été confrontés au départ de l'un de nos collaborateurs qui a été contraint de déménager. Désirant le conserver, nous nous sommes donc adaptés.

"Notre objectif d'atteindre 100 millions d'utilisateurs reste réalisable d'ici 3 à 4 ans" 

Avec le temps, d'autres employés ont également dû s'éloigner de nos bureaux, pour une raison ou pour une autre. Avoir des travailleurs à distance n'est pas évident, à la fois pour le salarié lui-même mais aussi pour l'entreprise. Mais vous adoptez ce mode de travail lorsque vous souhaitez garder ou recruter des gens extrêmement talentueux qui ne vivent pas forcément à côté de votre entreprise.

Est-il difficile de maintenir une culture d'entreprise forte avec autant de collaborateurs qui ne viennent jamais au bureau ?

Nous avons pris plusieurs initiatives pour cela. Par exemple, chaque semaine nous mettons en relation différentes personnes de l'entreprise complètement au hasard afin qu'elles puissent échanger sur le sujet de leur choix pendant 30 minutes. Ces entretiens en vidéoconférence intègrent jusqu'à 4 collaborateurs. A travers ce système, nous voulons que tous nos employés puissent échanger et qu'ainsi un marketeur puisse par exemple parler avec un vendeur.

Quels sont vos objectifs pour la suite ?

Nous allons continuer d'intégrer notre plateforme au sein d'autres applications, à l'image de notre intégration avec Teams (solution créée par Microsoft pour concurrencer Slack, ndlr). Nous voulons également accélérer notre croissance à l'international, notamment au Japon. Nous savons que notre produit est bon, la priorité pour nous désormais est de le faire connaître à davantage de personnes. Je crois que notre objectif initial d'atteindre 100 millions d'utilisateurs est réalisable, même s'il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour y arriver. Mais avec une bonne gouvernance, je pense que nous pourrons l'atteindre d'ici 3 à 4 ans.

Michael Pryor est CEO et cofondateur de Trello, un projet initié par Fog Creek Software, une start-up spécialisée dans le développement de logiciels tels que Stack Exchange et Copilot.