2017, l'année des graphs d'entreprise

2017, l'année des graphs d'entreprise Après Microsoft et Facebook, c'est au tour de Slack et Box de dévoiler leur technologie. Mises au service de la productivité, ces briques pourraient néanmoins présenter des risques.

Microsoft, Slack, Box, GitHub... Un nombre croissant d'éditeurs de logiciels mettent en avant le concept de graph d'entreprise. L'objectif rejoint la logique des graphs grands publics, popularisés historiquement par Facebook (avec le Facebook Graph) et Google (avec son Knowledge Graph), mais avec une orientation collaborative. L'analyse des interactions digitales du salarié avec son écosystème (messages échangés, participation à des groupes de projet, thèmes des fichiers consultés...) aboutit à une cartographie de son profil, de ses relations professionnelles, de ses domaines d'expertise et d'intervention par ordre d'importance. Une cartographie sur laquelle les fournisseurs de solutions s'adossent ensuite pour personnaliser l'accès aux contenus, et aider à les prioriser en fonction de leur niveau de criticité pour l'utilisateur.

Une brique centrale de la plateforme de Microsoft

Avec le lancement de l'Office Graph en 2014, Microsoft est le premier à mettre en avant cette notion dans le milieu professionnel. Le groupe américain dévoile alors une première application basée sur son graph. Baptisée MyAnalytics (ex-Delve), elle génère une vision des contenus Office du collaborateur (issus d'Outlook, OneDrive, SharePoint, Yammer) hiérarchisée par niveaux de pertinence.

Le Facebook Graph décliné pour les entreprises dans Workplace

Depuis, le groupe n'a pas ménagé ses efforts. En 2016, l'Office Graph est intégré à Cortana, l'assistant vocal de Windows 10, transformant de facto ce dernier en chatbot professionnel dessiné pour livrer des réponses au regard du contexte métier. Incorporant un nombre croissant de données d'usage liées à Windows, l'Office Graph est rebaptisé mi-2017 Microsoft 365 Graph.

"Microsoft 365 Graph fait désormais partie des fondations sur lesquelles nous bâtissons nos applications. C'est le cas avec Cortana, mais aussi avec Bing for Business et Microsoft Teams, et maintenant avec LinkedIn dont les données ont été récemment intégrées au Microsoft Graph", confie Harry Shum, vice-président exécutif du groupe IA et recherche de Microsoft.

L'Office Graph dresse le profil de collaboration du salarié, ses relations de travail et ses domaines d'expertise. © Microsoft

Fin 2016, Facebook entrait dans la danse en lançant Workplace, la déclinaison de son réseau social pour les professionnels. Comme son grand frère grand public, le service s'adosse à un graph pour classer les posts par degrés de priorité (en fonction des groupes dans lesquels l'utilisateur est le plus actif, du nombre de followers…). A l'instar du graph de Microsoft et son ouverture sur des logiciels tiers, il est équipé d'une API permettant de l'exploiter depuis d'autres applications d'analytics.

Prioriser les flux dans Slack

Récemment, le mouvement s'est encore accéléré. En septembre, le spécialiste du team messaging Slack confiait au JDN avoir lui-aussi créé et intégré un graph. "Pour les personnes ayant à gérer un grand nombre d'interactions dans de multiples channels, l'idée est de souligner les messages susceptibles d'être les plus importants parmi des centaines de messages non-lus, en prenant en compte les sujets/channels de prédilection de l'utilisateur et/ou des expéditeurs avec lesquels ils collaborent le plus souvent", révélait Stewart Butterfield, CEO de Slack.

Une fonction de "tri scientifique des chaînes", basée notamment sur un graph, a fait son apparition dans Slack. Elle peut être activée en allant dans les paramètres des teams. © JDN / Capture

Début octobre, Box présentait lui-aussi son graph lors de son événement 2017 (Boxworks). La proposition de valeur de l'expert du partage de fichiers en mode cloud se situe dans le sillage de celle de Microsoft. Un premier outil, reposant sur cette brique, est livré pour l'occasion. Baptisé Box Feed, il prend la forme d'un fil d'activités triant les fichiers de l'utilisateur en fonction de plusieurs critères (documents les plus "actifs", les plus "recommandés", et les plus "populaires"). D'autres briques doivent suivre. Sur un segment plus pointu, GitHub dévoilait quelques jours plus tard un graph taillé pour son service cloud de gestion de dépôts de code, permettant de visualiser les dépendances entre codes open source intégrés les uns aux autres.

"Ces technologies sont, pour l'heure, très peu ou pas utilisées"

Qu'en est-il du taux de pénétration des graphs d'entreprise sur le terrain ? "Ces technologies sont, pour l'heure, très peu ou pas utilisées. Elles permettent surtout aux éditeurs de donner des perspectives en termes d'applications futures", reconnaît Arnaud Rayrole, directeur général du cabinet de conseil français Lecko. Autre question posée par l'expert : celle "du ticket de sortie". "Les graphs d'entreprise sont proposés en mode cloud, et pas toujours librement accessibles à l'entreprise cliente via leurs API. Leurs formats sont par ailleurs propriétaires, ce qui rend les données de l'entreprise difficiles à récupérer et à intégrer dans d'autres applications", constate Arnaud Rayrole. Sensible au problème, Microsoft précise collaborer à l'initiative Schema.org qui vise à définir un standard facilitant l'interopérabilité des graphs. "Si un consensus se détache sur le marché pour définir un protocole pivot, nous le soutiendrons", déclare Larry Shum.

Perte de la maîtrise du patrimoine informationnel

Dans la même veine, se pose aussi la question de la souveraineté des données des graphs d'entreprise. Une question intimement liée à leur région d'hébergement et aux règlements sur les données personnelles s'y appliquant. Microsoft (avec Office 365), Facebook (avec Workplace) et Box proposent tous la possibilité de localiser les données en Europe. Ce n'est pas le cas de Slack, du moins pas encore (l'ouverture d'un data center sur le Vieux continent est dans les cartons de l'éditeur). Quant aux droits de propriété des data, il est généralement assez clairement établi par les acteurs. "Les clients possèdent les données de leurs Microsoft Graph. Elles sont stockées dans leur propre partition Office 365. Ces données bénéficient du même niveau de protection et de sécurité que les autres informations client transitant via les autres services Office 365", précise-t-on chez Microsoft.

"Les éditeurs possèdent  désormais un outil leur permettant d'en connaître plus sur une entreprise que l'entreprise elle-même"

Même logique pour Workplace. "Vos données et celles de vos salariés sont la propriété de votre organisation, et vous en avez le contrôle. Vous et vos administrateurs peuvent les modifier, les effacer ou les exporter à tout moment", précise Facebook. Bénéficier de cette garantie implique cependant de souscrire à la version payante de la plateforme (Premium). Dans le cas de l'offre gratuite (Standard), ce sont les conditions juridiques du service grand public de Facebook qui s'appliquent : le réseau social contrôle les données, et ce sont les salariés eux-mêmes qui disposent de la propriété intellectuelle des contenus qu'ils postent.

"Ces problématiques, tant de souveraineté que de maîtrise technique des données, sont fondamentales et doivent être étudiées de près. Avec les graphs d'entreprise et leur enrichissement via le machine learning, les éditeurs possèdent désormais des outils qui peuvent leur permettre d'en connaître plus sur une entreprise que l'entreprise elle-même", prévient Arnaud Rayrole. Un conseil qui semble d'autant plus d'actualité à l'heure où certains graphs d'entreprise commencent à intégrer une dimension BtoB (c'est notamment le cas chez Microsoft, avec l'intégration de LinkedIn au Microsoft Graph). "Dans ce contexte, il est plus que jamais important que les acteurs prennent leurs responsabilités, en étant parfaitement clairs sur la propriété des données, et qu'ils ouvrent leur API aux clients sans restriction", insiste Arnaud Rayrole.