Levées de fonds communautaires : trois ans après l'engouement, quel retour d'expérience ?

Levées de fonds communautaires : trois ans après l'engouement, quel retour d'expérience ? En 2022, plusieurs start-up françaises ont levé des fonds auprès de leurs clients. Quatre d'entre elles livrent au JDN leur bilan sur ce mode de financement atypique qui semble désormais un peu passé de mode.

Ce 1er septembre, on a appris que la prochaine valorisation de Revolut allait atteindre 75 milliards de dollars après une vente secondaire d'actions. Une nouvelle qui ravira sans doute un groupe bien précis : les clients de la néobanque qui ont participé à sa levée de fonds de juillet 2016 et qui ont conservé leurs titres. A l'époque, solliciter sa communauté pour lever des fonds restait exceptionnel, surtout en France où il faudra attendre 2022 pour voir Qonto, Finary, GreenGo ou Bricks.co populariser ce modèle. Trois ans après ce qu'on peut appeler l'âge d'or des levées de fonds communautaires, quel bilan retiennent les entreprises qui ont eu recours à ce mode de financement original ?

Quand on les interroge, les start-up concernées affichent fièrement leur bonne santé financière. Bricks.co, spécialiste du crowdfunding immobilier, assure être rentable après avoir levé 8 millions d'euros auprès de 8 500 actionnaires en septembre 2022. GreenGo, plateforme d'hébergements écoresponsables, a réuni 600 000 euros en juin 2022 auprès de 420 particuliers et prévoit de doubler son chiffre d'affaires d'ici 2025. Finary, qui a mobilisé 2,1 millions d'euros auprès de 1 000 clients en mars 2022, affirme avoir quadruplé sa croissance en 2024. Enfin, la néobanque verte Green-Got déclare que son chiffre d'affaires a été multiplié par six depuis sa levée de fonds communautaire de février 2023 (1,3 million d'euros auprès de 900 investisseurs).

A première vue, le bilan est plutôt flatteur. Mais il convient tout de même de prendre du recul. De manière générale, les start-up, peu connues pour leur transparence, savent mettre en avant les chiffres qui les arrangent. Surtout, il semble difficile d'établir un lien direct entre leurs belles performances et ces fameuses levées de fonds réalisées auprès des clients.

"Lever des fonds auprès de ses clients donne lieu à des campagnes qui peuvent s'étendre sur plusieurs mois… Alors que si je veux lever deux millions d'euros auprès d'un VC, je dois juste passer un coup de fil"

Pour déterminer à quel point ce mode de financement a été un succès, il est peut-être plus judicieux de demander aux entreprises si elles prévoient d'y recourir à nouveau. "Lever des fonds auprès de ses clients mobilise de nombreux acteurs, suppose de longues négociations et donne lieu à des campagnes qui peuvent s'étendre sur plusieurs mois… Alors que si je veux lever deux millions d'euros auprès d'un VC, je dois juste passer un coup de fil", indique Mounir Laggoune, CEO de Finary. Du côté de Bricks.co, une autre levée de fonds communautaire n'est également pas à l'ordre du jour : "Nous n'avons pas besoin de fonds, et encore moins besoin de diluer davantage notre capital auprès de nombreux actionnaires", confie Yoann Ros, directeur marketing.

La donne est en revanche différente pour les deux autres start-up interrogées. Un an après sa première levée de fonds communautaire, Green-Got a réitéré l'expérience en levant 5 millions d'euros auprès de 3 000 clients en novembre 2024. Et si GreenGo a conclu un tour de table avec des investisseurs traditionnels en 2024, la plateforme de voyage prévoit à nouveau de solliciter sa communauté pour lever entre 300 000 et 600 000 euros avant la fin de l'année.

Des actionnaires et des ambassadeurs

A l'image de ce dernier projet, les montants levés sont donc moins élevés via ce type de financement. Les clients ont forcément une force de frappe plus faible que les investisseurs classiques et, de toute manière, un règlement européen sur le financement participatif entré en vigueur fin 2023 fixe à cinq millions d'euros le plafond de collecte autorisé par projet. Mais selon nos interlocuteurs, la levée de fonds communautaire ne poursuit pas uniquement un but financier.

"En France, c'était un peu vu comme une option de secours pour les boîtes qui n'arrivaient pas convaincre des fonds d'investissement. Mais je pense que les enjeux sont différents. Lever des fonds auprès de nos clients, c'est aussi les fidéliser. Nos intérêts deviennent alignés. Il y a un levier marketing évident quand on est dans le BtoC", souligne Mounir Laggoune. "Les clients actionnaires utilisent plus activement nos services et parrainent davantage. Ce sont clairement nos meilleurs ambassadeurs", complète Andrea Ganovelli, cofondateur de Green-Got. Une manière d'agrandir sa communauté et de la fidéliser sur la durée, car, très souvent, les clients s'engagent sur le long terme. "Ils ont été prévenus et ont signé un pacte : ils doivent attendre au moins sept ans avant de revendre leurs parts", ajoute Guillaume Jouffre, cofondateur de GreenGo.

Groupe WhatsApp, live YouTube et newsletters

Cette période d'engagement mutuel exige de soigner le lien avec ces investisseurs particuliers. Et pour cela, chacun possède sa technique. Pour Bricks.co, la communication passe par un groupe WhatsApp et quelques newsletters. Idem pour Green-Got qui ajoute un live annuel sur YouTube animé par Andrea Ganovelli. CEO de GreenGo, Guillaume Jouffre "organise une petite présentation tous les six mois avec les actualités de l'entreprise, à laquelle assiste près d'un tiers des clients actionnaires". Enfin, Finary possède aussi sa propre méthode : "Chaque année, j'écris une lettre qui rend compte de notre bilan et de nos perspectives, un peu comme Jeff Bezos", s'amuse Mounir Laggoune. "Mais une entreprise non cotée n'a pas vocation à communiquer tous les trimestres. Il ne sert à rien d'établir un bilan trop détaillé car notre business connait des transformations en continu". La communication n'est donc évidemment pas la même qu'avec "les VC qui exigent des analyses très poussées du marché".

Autre différence entre ces deux types d'investisseurs : la dimension affective de la relation. "Les clients investissent davantage à l'émotion tout simplement car ils aiment le produit", poursuit Mounir Laggoune. Une analyse partagée par Andrea Ganovelli : "Pour nos clients, nous sommes souvent la seule entreprise dans laquelle ils ont investi. Leur attachement est bien plus fort que celui des VC pour qui nous ne sommes qu'une société parmi les autres de leur portefeuille". "Ils investissent davantage pour le projet et ses valeurs que pour la performance financière", ajoute Guillaume Jouffre. Mais si l'une de ces entreprises atteint un jour une valorisation semblable à celle de Revolut, nul doute que ses clients actionnaires sauraient aussi apprécier la plus-value.