Ils ont racheté leur start-up après l'avoir vendue, ils racontent
Chez Fruitz, l'application de dating rachetée par Bumble en 2022, le réveil est brutal : à l'été 2024, les fondateurs quittent l'entreprise. Quelques mois plus tard, il apprennent que la maison-mère envisage d'arrêter l'activité. "On a alors levé la main pour dire : plutôt que de fermer, laissez-nous la reprendre", raconte Julian Kabab, cofondateur de Fruitz. Après quelques semaines de discussions, l'accord est signé fin juillet 2025.
Même enchaînement chez Le Pot Commun. Intégré à Bimpli, elle-même absorbée plus tard par Swile, le service de cagnotte en ligne n'étant plus dans le cœur de métier de la licorne. "Quand j'ai appris qu'ils voulaient fermer la plateforme, je me suis dit : ce n'est pas possible de laisser disparaître une telle marque", se souvient Ghislain Foucque, cofondateur du Pot Commun, qui s'est rapidement rapproché de Swile pour proposer un rachat.
Quant à Withings, fournisseur d'objets de santé connectés, le cas est emblématique. Deux ans après avoir déboursé 170 millions d'euros pour acheter la jeune pousse, Nokia s'essouffle. L'intégration patine, les pertes s'accumulent et le groupe cherche une porte de sortie. "Ils voulaient aller vite, éviter une crise de réputation avec la maintenance de millions d'objets connectés", raconte Eric Carreel, qui reprend alors les clés de l'entreprise qu'il avait cofondée.
L'attachement comme déclencheur
Ces retours ne s'expliquent pas seulement par une opportunité financière. Derrière la décision, il y a un moteur commun : l'attachement. Pour Julian Kabab, la reprise de Fruitz n'a rien d'un calcul. "Racheter sa boîte, c'est rouvrir un chapitre qui était fermé. Il faut être sûr de vouloir refaire les sacrifices que ça implique", confie-t-il.
Chez Withings, c'est la conviction d'un chantier encore inachevé qui l'emporte. "Je croyais qu'on était au début d'une transformation de la santé et j'avais envie de m'investir encore", se rappelle Eric Carreel. Même logique pour Le Pot Commun, où l'attachement à la marque et aux utilisateurs a pesé. "C'était impensable de laisser tout ça disparaître", résume Ghislain Foucque.
Tous rappellent aussi que ces rachats se font rarement sur des pépites florissantes : ils interviennent quand l'activité est fragilisée ou n'est plus jugée stratégique par le groupe qui l'avait rachetée. "On a récupéré Le Pot Commun cent fois moins cher que ce qu'on l'avait vendu", confie son fondateur. Un prix "d'aubaine" qui reflète la situation, mais qui ne gomme pas les défis à relever : relancer la croissance, remobiliser les équipes ou encore reconstruire une culture.
Ce que l'on gagne (et ce que l'on perd)
Les trois entrepreneurs saluent ce que leur a apporté l'expérience corporate. Julian Kabab évoque "des équipes brillantes, des ressources immenses et une intégration incroyablement bien menée" chez Bumble. Eric Carreel reconnaît que Nokia a "apporté une vraie rigueur sur le système qualité" à Withings. Mais, ces parcours apportent aussi un éclairage supplémentaire sur les différences culturelles qui existent entre les start-up et les grands groupes et qui peuvent parfois rendre une intégration compliquée
Le revers est clair : la perte de vitesse et d'agilité. "On a perdu beaucoup de flexibilité dans l'exécution", regrette Julian Kabab. "Une start-up peut vite se dissoudre dans l'organisation de l'acquéreur", illustre Eric Carreel, comparant l'entreprise qu'il avait bâtie à une "cathédrale de sel, au bord de la mer".
Redevenus indépendants, tous soulignent à quel point cette liberté retrouvée est précieuse : la possibilité de décider vite, d'oser et de remettre le produit au centre. Le pari est risqué, tant sur le plan financier, qu'organisationnel ou humain, mais pleinement assumé.
Une trajectoire marginale, mais riche d'enseignements
Ces histoires restent marginales. "C'est rare, je n'ai pas beaucoup d'exemples", admet Julian Kabab. "Ca restera exceptionnel", estime aussi Ghislain Foucque. Selon eux, les grands groupes intègrent de mieux en mieux les start-up, et les fondateurs devraient se retrouver de moins en moins souvent en position de racheter leur société.
Pour autant, ces parcours délivrent quelques enseignements précieux à tout entrepreneur tenté par une telle aventure. Ne pas racheter pour l'argent, d'abord. "On le fait parce que c'est encore ce qui nous passionne, pas parce que c'est une bonne opération financière", insiste Eric Carreel.
Il faut aussi rappeler que ce type d'opération exige d'agir vite quand l'opportunité se présente, car dans les trois cas, d'autres acteurs se sont intéressés au dossier. Mais la relation nouée au fil du temps avec les équipes et l'empreinte laissée par les créateurs ont souvent fait la différence. "On connaissait la boîte et les équipes, ça a rendu le rachat simple", souligne Ghislain Foucque.
Autre point crucial : être lucide sur les sacrifices que suppose un retour aux commandes. "Il faut être aligné avec soi-même avant de le faire. Redevenir fondateur, c'est accepter de replonger dans les contraintes, l'intensité et les renoncements du quotidien entrepreneurial", conclut Julian Kabab.