Ils ont sauvé leur start-up grâce à une "décision radicale"

Ils ont sauvé leur start-up grâce à une "décision radicale" Deux entrepreneurs racontent comment ils sont passés d'une procédure de redressement judiciaire à la rentabilité grâce à un changement de business model stratégique.

Les entreprises françaises vacillent. En septembre, 7 000 d'entre elles ont connu une défaillance, soit le plus haut total observé depuis 2009 selon Altares. Et lorsqu'une entreprise se trouve au bord du ravin, elle échappe rarement à la chute. D'après le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, 75 % des entreprises françaises engagées dans une procédure collective ont terminé en liquidation en 2024. Mais, parfois, certaines parviennent à inverser le cours des choses. Ces rares réussites partagent souvent un point commun : un pivot stratégique qui permet de redresser la situation. C'est précisément ce qu'ont vécu Younes El Hajjami et Louis-Gabriel de Causans, qui racontent comment ils ont sorti Bluedigo et CapCar d'une procédure de redressement judiciaire pour en faire des start-up rentables.

Si les parcours de nos deux interlocuteurs présentent de nombreuses similitudes, leurs points de départ diffèrent. Younes El Hajjami a repris Bluedigo, vendeur en ligne de mobilier professionnel reconditionné, tandis que Louis-Gabriel de Causans est le fondateur de CapCar, une plateforme dédiée à l'achat et à la vente de voitures d'occasion. Mais tous deux ont connu les heures les plus sombres de leur entreprise. A chaque fois, la cause de cette période trouble était la même, et peu surprenante : un business model avec une structure de coûts trop lourde.

"L'idée des fondateurs était bonne, c'était juste un problème de business model", indique Younes El Hajjami. "Au début d'un projet entrepreneurial, on met souvent les moyens avant les résultats. Très vite, on peut se retrouver avec des dépenses très élevées alors que l'entreprise ne génère pas encore beaucoup de revenus et n'est pas encore dimensionnée pour une telle structure de coûts". Résultat, Bluedigo, fondée en 2019, est placée en redressement judiciaire en mai 2024.

"J'étais assez libre dans mes décisions car les actionnaires pensaient que la boîte était condamnée quoi qu'il arrive"

Côté CapCar, le constat est similaire : "On est monté à 70 employés rapidement car notre modèle nécessitait beaucoup d'humains. Nos coûts d'acquisition pour trouver des vendeurs et des acheteurs de voiture étaient trop élevés", raconte Louis-Gabriel de Causans. "On était déficitaire. Le covid est arrivé. Ensuite, le marché automobile a été frappé par la guerre en Ukraine. On avait besoin d'une levée de fonds pour survivre, mais elle s'est faite attendre". Là aussi, le redressement judiciaire est inévitable et intervient en juillet 2022, soit sept ans après les débuts de la start-up. "Le premier rendez-vous au tribunal, le président nous annonce qu'on va être liquidé. Finalement, on obtient un délai d'un mois pour mettre en place les premières mesures".

Celles-ci ne se font pas attendre. Dos au mur, CapCar doit absolument réduire ses coûts et opte pour un pivot : "Avant, toute la prospection commerciale, l'inspection du véhicule et l'encadrement de la vente étaient réalisés par des salariés en interne. On a changé notre modèle pour s'appuyer sur des agents indépendants à qui on verse une partie de notre commission lorsqu'une voiture est vendue", explique Louis-Gabriel de Causans. "C'était comme si je construisais une nouvelle boîte en partant de zéro. Comme il y avait une procédure de redressement, j'étais assez libre dans mes décisions car les actionnaires pensaient que la boîte était condamnée quoi qu'il arrive". CapCar passe alors de 45 à 15 collaborateurs. Le virage est brutal mais salutaire : "Dans ces moments-là, il ne faut pas avoir d'état d'âme sinon on peut tout perdre".

L'externalisation comme point commun

Egalement dans une logique de réduction des coûts, Younes El Hajjami a transformé le business model de Bluedigo. Alors que l'entreprise stockait auparavant son mobilier pour le revendre directement aux professionnels, elle s'appuie désormais sur un réseau de fournisseurs et se concentre sur la logistique et la livraison. Une bascule en mode marketplace qui lui a permis de réduire ses coûts fixes. "La partie stock a été supprimée, ce qui a entrainé la disparition des loyers des entrepôts et du personnel dédié. L'équipe a été divisée par deux entre début et fin 2024".

Grâce à ces changements stratégiques, les deux start-up sont parvenues à se relever. "On a démontré au tribunal que notre cash burn avait nettement diminué, et une nouvelle levée de fonds nous a enfin permis de nous projeter sur le long terme (5 millions d'euros en 2023, ndlr)", se souvient Louis-Gabriel de Causans. "Depuis que CapCar est sortie de redressement, je reçois tous les mois des appels d'entrepreneurs embourbés dans une telle procédure. Je leur conseille de ne pas hésiter à prendre des décisions radicales à la fois dans leur ampleur que dans leur rapidité d'exécution. L'échelle de temps change complètement quand plane une menace de liquidation".

"On a changé de locaux en pleine procédure de redressement pour insuffler un nouveau départ et une nouvelle énergie"

De son côté, Younes El Hajjami recommande de ne pas négliger les activités RH comme les séminaires ou les formations. "Quand la situation se dégrade, c'est un réflexe logique de supprimer ce genre de dépenses. Pourtant, il est très important de maintenir une équipe soudée qui croit au projet. Il faut embarquer tout le monde avec soi ! On a même changé de locaux en pleine procédure de redressement pour insuffler un nouveau départ et une nouvelle énergie".

Bluedigo et CapCar sont désormais rentables et les périodes de turbulence semblent déjà lointaines. "On a dégagé nos premiers bénéfices seulement trois mois après la reprise. On a réussi à maintenir les mêmes revenus en réduisant considérablement nos coûts", assure Younes El Hajjami. "On est rentable depuis début 2024. C'est clairement le phénix qui renait de ses cendres !", conclut de son côté Louis-Gabriel de Causans.