Data centers : comment le Québec bâtit sa réputation industrielle

Le Canada s'est imposé depuis une dizaine d'années sur la scène internationale comme un hub digital performant avec ses 150 data centers, dont une trentaine dans la région de Montréal. Une position à maintenir pour un secteur industriel et technologique devenu capital pour l'économie régionale. Et donc nationale.

Retour vers le futur. Nous sommes en 2013, l’entreprise française OVH – aujourd’hui OVHCloud – sort tambours et trompettes : à Beauharnois, sur l’autre rive du lac Saint-Louis face à Montréal, elle lance "le plus grand data center du monde"[1] avec 360 000 serveurs hébergés physiquement. Une prouesse à l’époque. La cible d’OVH : les entreprises d’Amérique du Nord bien entendu, mais aussi leurs consœurs européennes souhaitant mettre un pied sur le Nouveau continent. Techniquement, l’offre est alors à la pointe de ce qui se fait en la matière, et balaye les anciens data centers du Québec, souvent vétustes. La nouvelle fait alors le tour de la planète Tech  : le Québec se place avantageusement sur la carte du monde.

Des data centers nouvelle génération

Depuis, le Canada tout en entier n’a eu de cesse de vouloir renforcer son image de place forte des données numériques. Trois ans après la success story d’OVH, Hydro-Québec – société d’Etat en charge de la production, du transport et de la distribution de l’électricité au Québec – attribue au consortium Pomerleau / Veolia Energy Canada / Ehvert Mission Critical[2] un contrat destiné à bâtir son nouveau data center à Drummondville, à 120 km au nord-est de Montréal. Budget annoncé : 100 millions de dollars canadiens (CAD). Grâce à cette alliance, Hydro-Québec fait table rase du passé et ferme l’un de ses data centers trop étriqué : "Les équipements de refroidissement ne suffisaient plus et nous devions procéder à de nouveaux investissements", se souvient Patrick Truong, directeur principal solutions TIC d’Hydro-Québec. "Nous considérions qu’il était plus prudent de construire le deuxième centre dans une zone météorologique et sismique différente."

Pour ce data center dernière génération, de nouveaux défis sont relevés par Veolia Energy Canada. Parmi les solutions mises en œuvre, l’utilisation d’une roue de Kyoto destinée à récupérer la chaleur dégagée par les serveurs fonctionnant non-stop afin de chauffer les bâtiments. Dans le sens inverse, la solution technique promue par Veolia Energy Canada permet de redistribuer les basses températures extérieures vers les équipements de stockage digital, afin de les refroidir. Le cercle est vertueux, et donne depuis toute satisfaction. "En matière de stockage de données, le refroidissement, c’est le nerf de la guerre", poursuit Patrick Truong. "Cette roue nous permet d’obtenir un bâtiment hautement performant en matière d’économie d’énergie. Ce dernier est aménagé afin de subvenir à nos besoins pour les dix prochaines années. Par la suite, nous pourrons ajouter des phases. Nous prévoyons être ici très longtemps." Un choix tactique pour ce data center évolutif[3] dont la puissance passera de 1,6 à 4,5 mégawatts d’ici 2036 et dont Veolia assure la maintenance 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Cette avancée technique en termes d’installations électriques a d’ailleurs été certifiée[4] Tier III par l’Uptime Institute. "Grâce à nos partenaires locaux, nous avons pu délivrer à l’époque ce qui se faisait de mieux en termes de fiabilité et d’efficacité énergétique. Aujourd’hui encore, ce projet reste un modèle du genre", résume Patrick Couzinet, président de Veolia Energy Canada.

Sur ce projet, comme sur le nouveau centre hospitalier de Montréal (CHUM), Veolia Energy Canada a travaillé main dans la main avec Pomerleau, le leader du BTP québécois. Une collaboration technique[5] et une vraie aventure humaine pour les deux entreprises. "Nous sommes fiers de participer à un consortium avec des partenaires réputés pour ce nouveau centre de gestion de données respectant les plus hauts standards de sécurité et de fiabilité", déclarait Philippe Blain, directeur adjoint de la région Est du Canada pour les marchés publics et commerciaux de Veolia Amérique du Nord, quelques mois avant la mise en service officielle du site de Drummondville. Son partenaire chez Pomerleau, le vice-président développement des infrastructures publiques Pierre-Luc Dumas, soulignait lui aussi la complémentarité des savoir-faire : "Ce nouveau centre de données d’Hydro-Québec est à la pointe de la technologie. Ce projet correspond à nos engagements à long terme incluant des mécanismes contractuels de type 'conception-construction-financement-exploitation', dans lesquels nous avons développé une expertise forte."

Coup d’accélérateur en 2020

Retour vers un passé plus proche : l’année 2020 aura été des plus fastes pour les data centers au Canada, les chiffres le prouvent. Le dernier coup d’éclat a été signé par Equinix en octobre dernier, avec l’annonce du rachat de treize data centers de BCE Inc. au Canada[6], pour la bagatelle de 1,041 million CAD. Equinix veut ainsi répondre à la demande d’infrastructures digitales qui ne fait que s’accroître sur le marché canadien. A la fois de la part de sociétés locales comme de grandes entreprises étrangères. Ce rachat d’envergure complète alors la quinzaine d’autres data centers d’Equinix à travers le pays, de Montréal à Vancouver en passant par Toronto, Calgary, Kamloops ou encore Winnipeg. "Le Canada est la troisième plus grande économie des Amériques et la dixième plus grande du monde", remarque Jason Bremner, vice-président d’IDC. "Le pays abrite également un éventail florissant de sociétés multinationales qui recherchent une façon claire et rapide d’accélérer leur transformation numérique. L’acquisition d’Equinix profitera à la fois à des entreprises canadiennes et à des multinationales opérant au Canada, grâce à de nouvelles options pour la construction et la gestion de leurs infrastructures numériques." Une acquisition qui permet, selon Equinix, de placer Montréal comme le deuxième data center[7] du Canada.

Globalement, ce coup d’accélérateur se traduit surtout par un taux de croissance attendu des data centers de 3% pour la période 2020-2025[8], si l’on en croit le rapport intitulé Canada Data Center Market : Investment Analysis and Growth Opportunities 2020-2025. "Les dépenses dans le secteur de l’Internet devraient atteindre environ 25,3 milliards de dollars CAD sur cette période, avec un pic de 10 milliards en 2025", assure le rapport. "Au Canada, ce seront principalement les services bancaires et financiers et les assurances (BFSI) et les services technologiques (ITeS) qui devraient dominer les investissements." Grâce à ce boom continu, 95% des entreprises canadiennes devraient pouvoir bénéficier, d’ici 2026, d’une bande passante de 50Mbp/s.

Aujourd’hui, le pays compte quelque 150 data centers avec un trio de tête bien marqué : 50 centres dans la région de Toronto, 30 du côté de Montréal et 20 à l’autre bout du pays, à Vancouver. Au Québec comme dans les autres régions, la course à l’or numérique bat son plein. Et avec elle, une certaine idée de liberté et de souveraineté économique.

[1] Source

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[4] Source

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[6] Source

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[8] Source