De l'importance d'éco-concevoir les apps

Les apps sont tout autant un gâchis écologique qu'un pari économique, ce qui n'est pourtant pas inéluctable. Il en revient de la responsabilité des concepteurs et à la vigilance de ceux qui investissent.

L'écoconception des apps peut paraître de prime abord anecdotique. Les apps ont pourtant une empreinte environnementale significative. Peu encore s'en préoccupe et c'est ainsi que ceux qui conçoivent les apps accusent un retard inimaginable en matière de sobriété. En prenant en considération la polysémie du préfixe " éco ", nous soutiendrons que les apps peuvent être plus efficientes au sens écologique et économique.

Les apps laissent des traces 

Dans ce monde, l’ensemble des applications mobiles consomment en électricité autant qu’un pays comme l’Irlande en un an. The Shift Project, think tank prônant une économie libérée de la contrainte carbone, estime la consommation totale des apps à 20,3 térawattsheure (hors réseaux et serveurs des data centers). Concurremment, si en 2019 il y avait 2,7 milliards d’individus qui possédaient un smartphone, nous serons 5 milliards à en utiliser en 2025. 

Rien actuellement n’est fait pour tendre à la sobriété en matière d’apps. A ce jour, 685 milliards d’heures sont dédiées spécifiquement aux réseaux sociaux. Les apps sont surconsommées si bien que le débit de données augmente de 25% à 30% par an. D’un point de vue énergétique, la phase d’utilisation des équipements du numérique représente 55% de l’empreinte numérique soit plus que la phase de production des équipements. Cette utilisation augmente de 9% par an.

A travers des apps, le numérique représente déjà 4 % des gaz à effets de serre. Le think tank estime qu’en 2025 le numérique représentera jusqu’à 8,5% des gaz à effets de serre. Selon Statista il y a eu 205 milliards de téléchargements d’applications en 2018. Pour cause, 30% des apps ne seraient plus utilisées au bout d’une semaine seulement. Après douze semaines ces mêmes apps orphelines seraient supprimées. En coulisse le développement d’apps n’est pas si rentable que le développement de produits manufacturés. Déjà en 2014, Gartner rapportait que moins de 0.01 % seulement des Apps était considérées comme des succès financiers par leurs développeurs. 

Les apps sont ainsi tout autant un gâchis écologique qu’un pari économique, ce qui n’est pourtant pas inéluctable. Il en revient de la responsabilité des concepteurs et à la vigilance de ceux qui investissent en eux, temps ou budget. 

Des concepteurs à responsabiliser 

Il suffit de passer d’une squad à une autre, d’un digital lab à un autre, pour se rendre compte que l’ensemble des concepteurs n’a qu’un seul objectif, satisfaire le client au mieux et au plus vite. Product owners, designers et développeurs redoublent d’ingéniosité pour séduire toujours plus les utilisateurs, augmenter les téléchargements d’app, limiter l’attrition, déclencher l’effet «waouh !, par la promesse d’une expérience simplissime et sublime. Ce faisant, les interfaces et contenus se complexifient, le nombre de vidéos explose, ainsi que les possibilités d’interactions entre des services d’entreprises distinctes via les API. 

Pour autant, cette course à l’expérience idéale accroît l’impact du numérique. Les apps sont toujours plus énergivores alors que la planète crie à la frugalité. Les batteries s’épuisent toujours plus vite, la climatisation des serveurs tourne toujours plus, les glaciers fondent et cela ne préoccupent toujours pas la majorité des concepteurs numériques. Cependant, il est fort à parier que ces pratiques peu vertueuses changeront bien vite, soit par de nouvelles réglementations, soit par une prise de conscience citoyenne. Pensons ici déjà aux nombreuses questions que soulève TikTok.

Pour amorcer le virage vers des apps plus sobres deux leviers sont puissants. Le premier est évidemment de responsabiliser chaque concepteur. Le second est de leur montrer qu’un petit nombre de pairs sait déjà faire mieux pour la planète avec moins. De facto il est possible de diminuer l’impact écologique des apps. Pour le démontrer, partageons des principes de conception vertueux ayant comme objectifs la réduction de la consommation de la batterie, la réduction des appels réseaux, l’affordance. Pour réduire la consommation de batterie il est possible de faire effectuer des tâches pendant que le téléphone est en charge, cela ne comptera ainsi pas pour la décharge batterie. Il s’agit là par exemple de différer la synchronisation de contacts ou de photos avec les différents services web. Une autre possibilité réside en la concaténation de chaînes de caractères. Un autre facteur de réduction de l’empreinte de l’app est directement lié à la diminution du poids des ressources de l’application (dont images et fichiers XML). Pareillement un téléchargement volumineux sera privilégié par rapport à plusieurs téléchargements plus petits. Un gros téléchargement permet au composant réseau de passer en mode basse consommation lorsque que plusieurs téléchargements de moindre poids se maintiennent en pleine puissance, ce qui représente une plus forte consommation de batterie. Enfin, ce à quoi ressemble l’interface peut induire un court ou long temps d’utilisation. En effet plus l’interface est intuitivement compréhensible et plus l’expérience s’en retrouve rapide. Ici il s’agira de travailler l’affordance. Profitons-en pour rappeler là encore qu’un pixel noir étant un pixel éteint, l’utilisation de fond sombre tend à faire réaliser des économies d’énergie. 

Tout ne se joue néanmoins pas au niveau des concepteurs. Pour que les apps soient écologiquement moins impactantes il peut aussi être question d’en faire moins mais d’en faire des plus rentables. Tel que nous allons le voir cela dépend aussi des décisionnaires, de ceux qui valident l’investissement. 

Une vision des investisseurs et du middle management à rafraîchir 

Et si réduction de l’empreinte des apps allait de pair avec une meilleure performance économique ? Il est toujours bon de rappeler que 83% des inventions ne se transforment pas en innovation (étude Nielsen). Les apps n’échappent pas à la règle. Plusieurs mythes perdurent dans le jeune univers de l’innovation digitale : "l’innovation se trouve à la croisée de l’intuition et de l’audace" ou encore qu’il faut "absolument échouer pour réussir" ! Ainsi, nombreux sont les décideurs qui prennent en exemple Google ou Amazon. Ils oublient deux réalités. Tout d’abord qu’il est rare de pouvoir consacrer 22,6 milliards de dollars à sa R&D (Amazon en 2018). Ensuite que la logique d’échecs prônée par Google est un gouffre à dollars, temps et efforts lorsque l’on sait qu’entre 2006 et 2019 la firme a retiré du marché 166 produits insatisfaisants. Pour les curieux, le site The Google Cemetery présente leurs stèles funéraires. Un impératif environnemental et économique est donc d’en finir avec les mythes, et de changer la culture de conception digitale. Il est temps pour les décisionnaires de réviser leurs connaissances en matière de gestion de l’innovation et faire passer leurs équipes d’une logique de l’appétence à une logique de l’adoption.