Plateformes de crowdfunding : dans les méandres de la règlementation financière

Lors de la création d'une plateforme de financement participatif (crowdfunding), il est impératif de s'informer sur la règlementation financière applicable afin de choisir le statut juridique le plus adapté.

En l'absence de dispositions spécifiques à ce nouveau mode de financement, la législation en vigueur s'avère particulièrement complexe. Cette chronique a pour objectif d'aider les plateformes en cours de création à y voir plus clair.

Le crowdfunding, aussi appelé financement participatif par les puristes de la langue française, connait aujourd'hui un développement considérable.

Le principe est d’une simplicité déconcertante

Qu’il soit artiste, entrepreneur ou même étudiant en thèse, un « quidam » à la recherche d’un financement présente son projet sur internet en faisant appel aux internautes. Ceux-ci versent une contribution généralement faible et la magie d’internet opère : grâce au grand nombre de personnes recevant l’information et adhérant à l’idée, le porteur de projet peut réunir la somme nécessaire au financement de son projet.

Bref, une simple application du proverbe « les gouttes d’eau font les grandes rivières », proverbe qui s’offre décidément une nouvelle jeunesse avec l’explosion du web (citons par exemple le concept du site Groupon). Tout le monde se souvient du chanteur Grégoire lancé grâce à ce système de financement. Aujourd’hui, les plateformes de crowdfunding fleurissent dans tous types de domaines et pour toutes sortes de produits ou services. Les plus connues sont My Major Company, Ulule, Anaxago, Indiegogo, Kiss Kiss Bank ou encore Wiseed. 

Au plan philosophique et sociologique, le crowdfunding serait à rapprocher du concept de démocratie participative : il se nourrit d’une même volonté de rendre au peuple, à la « foule » (crowd), le pouvoir qui lui a échappé avec la complexification de la société et qui pourtant lui revient légitimement. Du point de vue économique, le financement participatif permet une suppression des intermédiaires financiers tout en rapprochant le citoyen du monde de l’entreprise, moteur de l’économie réelle. Le système semble ainsi paré de toutes les vertus.

Une ombre plane sur ce monde rêvé

Car pour ce qui est du cadre juridique, le financement participatif est loin de bénéficier d’un terreau favorable. Comme toujours, le droit marque un temps de retard sur l’économie. Compte tenu de son développement très récent, le financement participatif ne fait pas l’objet d’une règlementation spécifique. Il se trouve donc soumis au droit commun du financement, dont le caractère inadapté est dénoncé par un certain nombre de plateformes qui se sont regroupées sous forme d’une association appelée FinPart et ont édité en 2012 un « Livre Blanc Finance Participative -Plaidoyer et propositions pour un nouveau cadre réglementaire » militant pour l’adoption d’un régime spécifique.

Le principal obstacle qui se dresse contre les plateformes de financement participatif est le monopole bancaire. Les opérations de banque, qui comprennent la réception de fonds du public, les opérations de crédit et les services bancaires de paiement (art. L. 311-1 du Code monétaire et financier), relèvent  en effet du monopole des établissements de crédit lorsqu’elles sont effectuées à titre habituel (art. L. 511-5 du Code monétaire et financier).
Or les activités des plateformes comprennent bien souvent un ou plusieurs services relevant potentiellement des « opérations de banque », qui sont strictement réglementées. Par exemple, si la plateforme recueille les fonds sur un compte ouvert à son propre nom auprès d’une banque, elle est considérée réaliser des encaissements pour le compte de tiers, et donc fournir des services de paiement tels que définis par l’article L. 314-1 du Code monétaire et financier. Elle doit alors soit disposer d’un agrément délivré par l’Autorité de Contrôle Prudentiel (ACP), soit conclure un partenariat avec un prestataire agréé.

Pour répondre aux nombreuses questions qui se posent face à ce mode de financement d’un genre nouveau, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a récemment édité un « Guide du financement participatif (crowdfunding) à destination des plateformes et des porteurs de projet » destiné à préciser les obligations des plateformes dans le cadre de la règlementation financière en vigueur.
Il existe en effet toute une palette de statuts soumis à des obligations plus ou moins contraignantes : prestataire de services de paiement, agent de services de paiement, intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP), prestataire de services d’investissement (PSI), agent lié, conseiller en investissements financiers (CIF). Difficile d’y voir clair pour les plateformes en cours de création. 

Tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, le financement participatif se présente sous trois formes :
- Le don : les internautes ne reçoivent aucune contrepartie à leur apport, ou reçoivent une « récompense » de faible valeur (une dédicace, un CD, une place de concert, …),
- La participation au capital : les internautes obtiennent des parts sociales ou actions en contrepartie de leur investissement, ce qui leur permet de percevoir des dividendes et de réaliser éventuellement une plus-value au moment de la cession des droits,
- Le prêt : la somme mise à disposition par l’internaute lui est remboursée à plus ou moins long terme.

Les obligations résultant de la règlementation financière varient non seulement en fonction du modèle choisi (don, prêt ou prise de participation), mais également selon que la plateforme encaisse ou non des fonds pour le compte des tiers.
La plateforme de financement participatif peut exercer librement son activité, sans disposer d’un agrément particulier, si elle fonctionne sur le modèle du don contre simple « récompense » ou prêt non rémunéré et n’encaisse pas de fonds sur un compte ouvert à son nom. 

Elle doit en principe obtenir un agrément de l’ACP lorsqu’elle encaisse des fonds pour le compte de tiers, puisqu'elle fournit alors des « services de paiement », et/ou lorsqu'elle fonctionne sur le modèle de la participation au capital, puisqu'elle fournit alors des « services d’investissement » tels que définis par le même Code. Dans le dernier cas, la plateforme doit disposer d’un capital minimum allant de 50.000 à 730.000 € selon le type de services d’investissement qu’elle propose.

La plateforme de crowdfunding peut néanmoins échapper à l’obligation d’agrément si elle relève de l’un des statuts suivants : agent d’un prestataire de service de paiement, intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP), agent lié, conseiller en investissement (CIF).
Un site fonctionnant sur la base du don ou du prêt non rémunéré, mais encaissant des fonds pour le compte de tiers, peut recourir au statut d’agent de prestataire de services de paiement en concluant un mandat avec un prestataire déjà agréé. Il ne sera donc pas soumis à l’obligation d’obtenir un agrément mais devra simplement être enregistrée auprès de l’ACP.

La plateforme qui fonctionne sur le modèle du prêt rémunéré relève quant à elle du statut d’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP), qui lui impose non seulement de bénéficier d’un mandat délivré par un établissement de crédit,  par un autre IOBSP, ou par le client (art. L. 519-2 du Code monétaire et financier), mais également de disposer d’une garantie financière pour les fonds confiés par les tiers. Ce statut présente néanmoins l’avantage d’être dispensé d’agrément puisque les IOBSP doivent simplement être immatriculés sur un registre spécial.
Enfin, pour éviter les lourdes démarches liées à l'obtention d'un agrément, la plateforme fonctionnant sur le modèle de la participation au capital peut opter pour le statut d'agent lié. Elle doit disposer d’un mandat exclusif conclu avec un prestataire de services d’investissement (PSI). Si elle se contente de fournir des conseils et éventuellement de recevoir et transmettre des ordres portant sur des parts ou actions d’organismes de placement collectif (OPC), elle peut relever du statut de conseiller en investissements financiers (CIF). Dans les deux cas, elle n'a pas à disposer d’un agrément et doit simplement être immatriculée sur un registre spécial.

Par la multitude de statuts existants et par le caractère extrêmement complexe des définitions des services réglementés, la législation actuelle s’avère inadaptée au développement du financement participatif. L’annonce de l’adoption prochaine d’une règlementation spécifique a déjà été lancée. Il est donc fort probable que, dans les prochains mois, un statut particulier soit créé sur mesure pour les plateformes de crowdfunding.
Espérons que le législateur permettra ainsi aux plateformes d’échapper aux méandres de la réglementation financière tout en préservant la sécurité des opérations pour les internautes investisseurs.