La réforme des stages : un coup porté à l’économie numérique ?

10 %, c’est le plafond qui devrait être promulgué par décret pour limiter le pourcentage des stagiaires en entreprise. Une mesure qui va avoir des impacts désastreux, notamment dans le monde du numérique. Zoom sur une bonne idée mal transformée.

La semaine dernière, le Sénat a entériné la loi de réforme des stages. Une intention louable au départ (lutter contre les abus) mais mal transformée. Après avoir attaqué la formation en alternance, dont les chiffres récents montrent bien les conclusions qu’en ont tirées les entreprises, voici le tour du stage. Rien d’étonnant à cela finalement puisque seuls 10 % des députés ont déjà eu une expérience en entreprise. Comment peut-on arbitrer sans connaitre? 10 %, c’est d’ailleurs le plafond choisi pour limiter le pourcentage des stagiaires en entreprise. Une mesure qui va être lourde de conséquences.

Inutile de revenir sur l’intérêt des stages en entreprise

Tout le monde – pour une fois – est d’accord. Indispensable tremplin pour l’emploi, les stages effectués par un jeune diplômé comptent – au moins dans l’univers du numérique – autant que son diplôme. Pourquoi ? Car l’échelle de temps n’a rien à voir avec ce qu’on pouvait connaitre dans le passé. On ne recrute plus des généralistes qu’on prend tranquillement le temps de faire mûrir pendant un ou deux ans. Le monde a changé. Il faut des généralistes peut-être, mais qui ont déjà acquis des spécialités et qui sont opérationnels immédiatement, dans un contexte d’entreprise. Les stages offrent souvent ce cadre opérationnel que l’université ou l’école tentent de recréer mais sans totalement y arriver.
Bref, le stage est, avec l’apprentissage, le passeport indispensable pour l’emploi.
Le fait de faire monter la mayonnaise médiatique autour des abus sur les stages est déjà un sujet sensible. On joue à nouveau avec la thématique récurrente du méchant patron qui met en esclavage ses stagiaires. Pour une faible minorité qui dérive, c’est tout le système qui est pointé du doigt dans l’imaginaire collectif.
Dans bien des univers, et tout particulièrement dans le monde du numérique, le stage est indispensable au jeune diplômé, mais il l’est tout autant pour l’entreprise. C’est le meilleur moyen de faire un bout de chemin ensemble, dans un cadre souple, pour voir s’il est possible ensuite de continuer, tant du point de vue humain, métier, que financier.
Je n’ai qu’une expérience limitée, mais je voudrais néanmoins la partager. Deux entreprises créées, qui ont chacune généré plus de 100 emplois en France. Aucune de ces deux entreprises n’aurait vu le jour et ne se serait développée avec le cadre que la loi est en train de mettre en place. Lorsque j’ai démarré à la fin de mes études, mon quota de stagiaires n’était pas de 10%. Il devait être de 90 % !
Voilà la réalité de bien des start-ups. Quand on démarre sans argent, sans moyens, mais avec de la motivation, on trouve des gens prêts à monter à bord, dans une relation de confiance.
Et c’est avec eux qu’on construit l’histoire. Que ce soit dans ma précédente entreprise ou chez Brainsonic, les premiers stagiaires que j’ai pris sont devenus associés, directeurs des opérations, patrons de business units ou de centres de compétences. Ils se sont dépassés, ont connu des aventures et une expérience humaine, sociale, métier qu’ils n’imaginaient pas avant de venir. Ils ont bâti la culture de l’entreprise. Encore aujourd’hui, on s’efforce que nos stagiaires, qu’ils restent ou qu’ils partent, aient acquis une
 expérience très positive. C’est ainsi qu’on construit la marque d’une entreprise, pas en exploitant les gens. Notre cas n’a rien d’unique, la plupart des entreprises qui évoluent dans cet écosystème peuvent témoigner de la même manière.
Rigidifier le système des stagiaires avec des quotas aura de graves conséquences. A commencer par favoriser les étudiants qui ont la chance d’avoir « des relations », car l’offre sera insuffisante. Cette loi empêchera des entreprises de se créer, et de se développer. Ce n’est pas en limitant les stages qu’on augmentera le nombre de CDIs. C’est tout l’inverse.
Qu’il y ait des contrôles, des mesures de prévention contre les abus, soit. Mais cette rigidité bien « scolaire » va décourager les entrepreneurs, qui n’ont vraiment pas besoin de ça. Une nouvelle fois le pays s’empêtre dans des réglementations qui vont dans le sens opposé à ce qui les a motivées.