Melanie Perkins (Canva) "1,3 milliard de contenus ont été créés sur Canva"

En quelques jours, la start-up de création de contenus marketing a racheté deux banques d'images et levé 70 millions de dollars. Sa fondatrice détaille son ambition et sa feuille de route.

JDN. Comment est née l'idée de Canva ?

Melanie Perkins est la cofondatrice et CEO de Canva. © Canva

Melanie Perkins. En 2007 alors que j'enseignais le design à l'université, j'ai réalisé que beaucoup de mes étudiants rencontraient des difficultés pour maîtriser des logiciels comme Photoshop ou Indesign. A cette époque, j'étais convaincu que le design et la communication visuelle allaient jouer un rôle prépondérant dans notre société. Il fallait donc que la création de contenus puisse être accessible au plus grand nombre. Moi et mon compagnon avons donc imaginé une plateforme collaborative facile à utiliser permettant à chacun de créer en toute simplicité des flyers, CV, présentations et autres contenus marketing. Depuis sa création en 2013, près de 1,3 milliard de contenus ont été créés sur Canva. Nous employons 600 collaborateurs répartis entre nos bureaux de Sydney, Manille et Pékin.

Vous venez d'annoncer une levée de fonds de 70 millions de dollars auprès, notamment, de General Catalyst et Bond (Kleiner Perkins) pour une valorisation de 2,5 milliards de dollars. Quels sont vos objectifs ?

Canva est aujourd'hui utilisée par plus de 15 millions de personnes et 80% des entreprises du Fortune 500. L'un de nos principaux objectifs est d'arriver à toucher davantage de collaborateurs au sein de ces grandes entreprises. Nous avons par exemple lancé une nouvelle offre permettant à ces sociétés de créer des templates pouvant ensuite être modifiés par n'importe quel collaborateur sur n'importe quel appareil. Nous permettons ainsi aux entreprises de reprendre le contrôle de leur marque en gardant une cohérence graphique au sein des différents pôles de leur organisation.

Une grande partie des fonctionnalités est accessible gratuitement. Comment générez-vous des revenus ?

"Nous voulons toucher davantage de collaborateurs de grandes entreprises"

Notre version gratuite est effectivement très complète car nous voulions créer un outil que tout le monde pourrait utiliser. Notre version payante "Canva Pro" à 12,95$ par mois offre toutefois plus de fonctionnalités, comme par exemple un accès à davantage de photos, la possibilité de créer autant de dossiers que l'on souhaite et une fonctionnalité de redimensionnement automatique Près de 500 000 utilisateurs ont souscrit à cette offre pour augmenter leur productivité.

Nous permettons également à nos utilisateurs, uniquement dans 4 pays pour le moment, d'imprimer leurs contenus comme par exemple des cartes de visites, flyers publicitaires, etc. Depuis la création de ce nouveau service, près de 250 000 designs ont été imprimés via notre réseau de partenaires. Nos utilisateurs ont également la possibilité d'acheter des images sur notre marketplace. Enfin, nous venons de lancer une offre à l'abonnement appelée "Photos Unlimited" qui donne accès de manière illimitée à une grande quantité d'images. Toutes ces sources de revenus permettent à Canva d'être rentable.

Canva a annoncé mi-mai l'acquisition des banques d'images gratuites Pexels et Pixabay. Quelles futures synergies envisagez-vous ?

Pour créer un joli design, il vous faut des bons ingrédients et donc de belles images. Pexels et Pixabay comptent parmi les plus grandes bandes d'images au monde. Avec ce rachat, nous allons pouvoir proposer près d'un million de nouvelles images gratuites aux utilisateurs de Canva. Outre les images, cette acquisition nous permet de mettre la main sur des équipes talentueuses et nous donne un accès privilégié aux communautés de contributeurs et d'utilisateurs de ces plateformes. Canva compte également ses propres contributeurs. Bien souvent, il s'agit de passionnés de photographies qui sont heureux de voir leurs photos utilisées dans le monde entier.

Quelle est votre vision pour le futur de la plateforme, devenir le prochain Adobe ou Microsoft ?

C'est notre objectif. Pour transmettre cette grande ambition qui nous anime, nous avons l'habitude de dire que nous avons seulement parcouru 1% du chemin. Plus globalement, nous voulons permettre à chacun de créer tous types de contenus visuels même si vous n'avez aucune compétence en design. Lorsque j'ai eu l'idée de Canva, j'ai observé le succès de Facebook et j'ai réalisé que tout le monde arrivait à utiliser la plateforme sans avoir besoin d'instructions. J'ai compris que si une personne devait apprendre à maîtriser votre plateforme, c'est que le problème ne venait pas d'elle mais de la plateforme elle-même.

En créant Canva, nous voulions nous assurer de créer un produit qui ne nécessiterait aucune période d'apprentissage. Nous essayons donc de retirer tout ce qui pourrait empêcher nos utilisateurs d'accomplir ce qu'ils sont venus faire. 

Quelle est votre méthode pour conserver cette simplicité d'utilisation ?

Cela passe d'abord par le feedback de nos utilisateurs. A titre personnel, je lis au moins deux fois par jour tous les tweets mentionnant Canva pour voir ce que les gens en disent. Nous avons la chance d'avoir une communauté très généreuse en matière de feedbacks. Nous récoltons et analysons chaque commentaire grâce à une plateforme dédiée que nous avons spécialement créée. Cet outil nous permet notamment d'analyser les suggestions d'amélioration qui reviennent le plus fréquemment. Nous les faisons ensuite remonter aux équipes concernées qui, une fois le problème réglé, préviennent les utilisateurs pour les informer des mises à jour.

Canva est régulièrement plébiscité pour son environnement de travail et sa culture d'entreprise. Pour quelles raisons d'après vous ?

"Nous mettons à disposition de tous nos collaborateurs des coachs qui les aident à développer leurs soft skills"

Chaque petite chose que vous faites en tant qu'entreprise contribue à définir votre culture. Nous avons toujours voulu créer une entreprise dans laquelle nous aurions aimé travailler en tant qu'employé. Et c'est avec cette idée directrice que nous prenons toutes nos décisions. Cela va de nos choix en matière de restauration à notre organisation du travail qui offre des horaires flexibles en passant par une limitation des procédures bureaucratiques.

Chez Canva, chacun connait ses objectifs. Nous essayons de donner à nos équipes le plus d'informations possibles afin qu'elles comprennent mieux le contexte et prennent de meilleures décisions. Nous avons au total 16 équipes qui ont des objectifs bien précis tout au long de l'année. Et à chaque objectif atteint, nous organisons des célébrations amusantes.

Comment s'illustre cette culture d'entreprise au quotidien ?

De différentes manières. Nous tenons par exemple à ce que nos collaborateurs déjeunent ensemble. Nous avons donc installé de longues tables dans notre cantine afin que nos collaborateurs puissent se rencontrer, discuter et éventuellement devenir amis. Lorsque j'étais plus jeune, j'avais l'habitude de manger avec ma famille dans le salon et je voulais installer cette même philosophie au sein de l'entreprise. Tous nos produits proviennent d'une ferme que nous finançons car nous voulons agir en tant qu'entreprise responsable.

Nous mettons également gratuitement à disposition de tous nos collaborateurs des coachs qui les aident à développer leurs soft skills. Certains peuvent par exemple améliorer la manière dont ils communiquent à l'oral. Ces compétences sont aujourd'hui primordiales et nous voulons aider nos collaborateurs à progresser sur tous les plans.

Melanie Perkins est la cofondatrice et CEO de Canva, une plateforme australienne dédiée au design permettant de simplifier la création de contenus visuels. Après plusieurs refus, elle réussit à lever des fonds auprès d'investisseurs tels que Lars Rasmussen (cofondateur de Google Maps), Ken Goldman (CFO de Yahoo) ainsi que les fonds Felicis Ventures et Blackbird Ventures. Avant cela, Melanie avait créé Fusion Books, un outil qui permet aux écoles et universités de réaliser simplement leur album de promotion. Cinq ans après sa création, l'entreprise australienne s'est développée en Nouvelle Zélande et en France.