Eléonore Blondeau (CSI France) "La première difficulté des start-up industrielles est de disposer de financements en fonds propres"

L'amorçage des projets est souvent une période compliquée pour les start-up, qui rencontrent cinq obstacles majeurs. Eléonore Blondeau, qui a cofondé le Collectif Startups Industrielles France pour les accompagner, détaille ces difficultés.

Eléonore Blondeau, cofondatrice et présidente du Collectif Startups Industrielles France. © Eléonore Blondeau

JDN. Vous êtes intervenue lors de l'événement Startup Tour, organisé par le centre technique dédié à l'IoT et à l'industrie du futur We Network le 7 juin dernier, sur les freins rencontrés par les start-up en période d'amorçage. Quel est l'écueil majeur ?

Eléonore Blondeau. La première grande difficulté des start-up est de disposer de financements en fonds propres pour réaliser leur pré-industrialisation. Les start-up génèrent à leurs débuts peu de chiffre d'affaires. Or, il leur faut des moyens pour mener à bien leur projet. Même si Bpifrance est en train de travailler sur le sujet, il y a encore peu d'offres financières à leur attention. Dans l'IoT, les acteurs rencontrent toutefois moins de difficultés que dans d'autres secteurs car ils mettent en avant le côté software de leur solution, facilement finançable, même si elle comprend du hardware. Le matériel ne représente généralement que 30% de la valeur du projet.

Au moment de la conception, y a-t-il des obstacles ?

L'objectif d'un objet connecté est de répondre à un besoin réel. Il ne faut pas qu'une start-up développe un produit sur une idée avec la volonté de montrer qu'elle maîtrise la technologie. L'exemple type est celui de la 5G : il n'est sans doute pas nécessaire de la déployer à l'échelle mondiale, mais seulement auprès des professionnels qui en auraient l'utilité. Il faut se méfier de la manie de vouloir tout connecter dans une démarche technocentrée. Une fois que le besoin est déterminé, la bonne pratique est de réfléchir à la meilleure façon d'y répondre. Cela passe par une démarche d'éco-conception des objets connectés, c'est-à-dire être attentifs aux choix des matériaux renouvelables, anticiper la réparation et la recyclabilité de chaque module de l'objet, etc. Avec la crise des composants se pose la question de la compatibilité des objets connectés par rapport aux objectifs de sobriété et d'impact environnemental. Il faut en permanence faire une étude économique et écologique pour savoir l'impact de son objet. Par exemple en maintenance, il vaut mieux connaître l'état de la machine pour envoyer les techniciens au bon moment plutôt que d'effectuer une surveillance régulière, qui génèrent une pollution inutile. Autre challenge : comprendre à quelles normes, certifications et homologations répond le projet car il y a un manque de visibilité manifeste sur les aspects réglementaires. Les difficultés ne s'arrêtent pas une fois le prototype réalisé.

C'est-à-dire ?

Aujourd'hui les entrepreneurs sont davantage accompagnés sur les aspects business et numériques de leurs projets que sur les aspects industriels, cela retarde l'accélération des projets ayant une base hardware. Les entrepreneurs ne maîtrisent par exemple pas toujours ce que sont les bancs de test. Il s'agit d'une machine qui répète mille fois un geste de production pour déterminer à quel moment un problème peut se poser, où, pourquoi, etc. L'industrie a la chance d'être un secteur où l'on peut toucher et voir les choses concrètement. Il faudrait plus de pédagogie pour expliquer son rôle, organiser des visites d'usine, créer des formations dans les écoles et les milieux entrepreneuriaux sur le vocabulaire, les étapes, les acteurs. Car beaucoup ne savent pas ce que font les centres de ressources techniques ou les pôles de compétitivité. De nombreuses start-up échouent car elles n'ont pas les ressources en interne et ne savent pas où les trouver. Elles se dirigent alors dans un fablab pour créer un produit qui fonctionne. Mais un produit qui fonctionne n'est pas un produit industrialisable. C'est un problème récurrent, il est nécessaire de faire monter en compétences tout l'écosystème start-up, dont les fab manager pour qu'il explique qu'un prototype n'est pas forcément industrialisable (lire notre article La réussite de l'industrialisation au cœur de la stratégie de We Network).

Vous mentionnez également l'hébergement des start-up…

Effectivement, il y a un besoin dans tous les territoires pour les start-up de bénéficier de lieux où elles puissent à la fois avoir leur propre espace pour des questions de confidentialité et de sécurité, mais aussi des équipements partagés pour réduire les coûts et une collaboration avec les membres du territoire. Il faut que les start-up bénéficient d'une expertise sur place. Ce besoin se retrouve dans toutes les filières, au-delà de l'IoT. Des initiatives pour l'amorçage de start-up sont en réflexion, chez S Factory, La Forge ou chez We Network. C'est une très bonne dynamique.

Eléonore Blondeau, entrepreneuse trentenaire basée à Lyon, est passionnée d'industrie circulaire. Après cinq années à la tête de la société CED'IN, qui développait la solution CleanCup, une machine qui distribuait, collectait et lavait, automatiquement, sur place, des verres réemployables, elle est désormais "slasheuse" entre un poste de new projects manager chez l'industriel Eternity Systems, et cofondatrice et présidente du Collectif Startups Industrielles (CSI) France. Ce dernier a pour mission d'accompagner la transformation de l'écosystème start-up en faveur de l'amorçage industriel, dans une démarche d'économie circulaire. Le CSI France développe notamment un Manifeste d'actions concrètes visant à réindustrialiser la France, à retrouver ici.