La fin du Web3 français ? Bilan d'un écosystème en quête de rebond

La fin du Web3 français ? Bilan d'un écosystème en quête de rebond Trois ans après le buzz, le Web3 français cherche un second souffle. Derrière les déceptions, un écosystème tente de se réinventer entre finance décentralisée, tokenisation et coopération européenne.

Une baisse de 93% des levées de fonds dans le Web3 gaming selon la plateforme d'analyse DappRadar, plus de 300 jeux devenus inactifs au deuxième trimestre 2025, et un marché des NFT en chute libre…Trois ans après son apogée, le Web3 français donne l'impression d'avoir vécu. Entre déceptions, transformations et nouvelles pistes de croissance, l'écosystème entame une phase de recomposition.

Un emballement nourri par la spéculation

Avec sa levée record de 680 millions de dollars en 2021, Sorare incarne le sommet de la vague Web3 en France. La start-up, qui promettait une nouvelle façon de collectionner et jouer avec des cartes de football numériques, est devenue l'un des symboles de la hype Web3. Mais depuis, la dynamique s'est retournée. "Ils ont dû prendre des risques pour sécuriser des deals avec de très grandes ligues sportives", reconnaît Ivan de Lastours, investisseur chez Bpifrance et fin connaisseur du secteur. "Au-delà de la vague Web3, le financement des ligues sportives les a mis en difficulté. C'est un effet ciseaux classique : moindres revenus et coûts fixes lourds", ajoute-t-il.

Dogami, The Sandbox… d'autres projets ont connu un destin similaire. Malgré près de 14 millions d'euros levés, Dogami, le jeu qui permet d'élever des chiens NFT, semble aujourd'hui se trouver dans une situation précaire. The Sandbox, longtemps présenté comme un futur géant du métavers et soutenu par des artistes comme Snoop Dogg, a connu un pic de notoriété en 2021 avec la vente de terrains virtuels et des partenariats médiatisés. Mais depuis, la plateforme semble peiner à fidéliser ses utilisateurs et à convertir ses promesses en usages concrets

Pour Olivier Martret, partner chez Serena, les difficultés tiennent à un décalage fondamental. "L'engouement initial était souvent nourri par des crypto-millionnaires, plus que par de vrais utilisateurs. La bascule vers le grand public n'a pas fonctionné", analyse-t-il. Le Web3 gaming, perçu comme une évidence stratégique, s'est révélé plus complexe à exécuter. "Créer un bon jeu reste un vrai métier. La blockchain ne suffit pas", résume Olivier Martret. Selon lui, certaines start-up ont abordé le secteur avec une logique trop technique, oubliant les impératifs d'expérience utilisateur.

La technologie n'est pas morte, elle cherche ses cas d'usage

Mais si la bulle a éclaté, l'écosystème ne s'est pas effondré. Des leaders comme Ledger, Kaiko, Morpho ou Flowdesk poursuivent leur développement à l'international, avec des modèles ancrés dans la finance décentralisée ou les infrastructures critiques. "Ce n'est pas parce que certaines start-up ont déçu que la technologie est morte. Le Web3 est encore en phase de construction", défend Olivier Martret. Serena mise désormais sur des projets plus ancrés dans la réalité opérationnelle, loin de la spéculation initiale, comme Bitstack, qui facilite l'achat de bitcoin via l'arrondi des paiements.

Selon l'étude "Les chiffres du marché du Web3 à connaître" publiée par Bpifrance Le Hub en 2025, 30% des start-up interrogées génèrent déjà plus d'un million d'euros de chiffre d'affaires annuel, 82% développent leur activité à l'international, et 75% collaborent avec de grandes entreprises ou institutions. En parallèle, 46% bénéficient d'un soutien de fondations blockchain. Bpifrance, qui a soutenu plus de 200 projets dans le secteur, continue d'investir via son fonds dédié aux tokens. L'établissement public est d'ailleurs l'un des rares fonds souverains au monde à avoir mis en place une stratégie d'investissement directe en actifs numériques.

Un avenir qui passe par la finance et la coopération européenne

L'avenir du Web3 pourrait bien se jouer sur un autre terrain : celui de la finance traditionnelle. "Ce qui marche aujourd'hui, ce sont les stablecoins et la tokenisation", déclare Ivan de Lastours. Le vote du Genius Act aux Etats-Unis en juillet 2025, qui encadre les stablecoins régulés, marque une étape décisive. Il impose des réserves à 100% et une supervision fédérale. "Aux Etats-Unis, c'est un sujet stratégique au niveau des boards. Mais il manque encore des signaux clairs du côté des banques européennes", regrette Ivan de Lastours.

Bpifrance plaide aujourd'hui pour une meilleure coordination européenne. La banque publique travaille à des synergies renforcées entre les écosystèmes français, allemands et italiens, avec des initiatives conjointes prévues à l'automne 2025. L'objectif : éviter un décrochage face aux acteurs américains qui bénéficient d'un soutien plus affirmé de leurs autorités financières.

"Quand un narratif se tasse, un autre émerge. Stablecoins, IA décentralisée, cryptographie post-quantique… Il y a toujours un sujet qui fonctionne. C'est pour ça qu'on ne s'ennuie jamais avec le Web3", conclut Ivan de Lastours.