Le Net
Internet en campagne : 7. Diffusion des sondages électoraux, l'impossible réforme
 (Jeudi 31 janvier 2002)
         

Par Benoît Tabaka,
du cabinet d'avocats Landwell & Partners.
NB : cet article a fait l'objet
d'une première publication sur Juriscom.net

La suite La Cour d'appel de Paris le rappelait ainsi dans son arrêt du 29 juin 2000 : l'interdiction doit permettre "de préserver la réflexion personnelle notamment dans les jours qui précèdent la consultation". Dans le but d'éviter l'annulation de plusieurs scrutins lors des prochaines élections présidentielles ou législatives, le Gouvernement a suivi les alertes des autorités publiques spécialistes de la matière, et a rendu public le 16 janvier 2001, un projet de loi tendant à modifier l'article 11 de la loi de 1977. Ce projet de loi, actuellement en cours de discussions devant le Parlement, a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 23 janvier 2002.

Le texte tend tout d'abord à réduire la période interdite à la veille du scrutin et au jour de celui-ci contre une semaine auparavant. Tirant les conséquences de l'impact d'Internet dans le renouveau des sondages électoraux, le projet indique que "cette interdiction est également applicable aux sondages ayant fait l'objet d'une publication, d'une diffusion ou d'un commentaire avant la veille de chaque tour de scrutin". Néanmoins, "elle ne fait pas obstacle à la poursuite de la diffusion des publications parues ou des données mises en ligne avant cette date". Les sondages ou commentaires diffusés via Internet avant la période interdite, pourront continuer à figurer et ne devront pas être supprimés durant les deux jours de l'interdiction. A l'inverse toute nouvelle diffusion ou publication est interdite.

Au travers de ce texte, le Gouvernement souhaite concilier à la fois la nécessité d'une interdiction d'un point de vue du droit électoral, et l'obligation de respecter la liberté d'expression proclamée par l'article 10 de la Convention européenne. Le premier élément qu'il est nécessaire de relever dans ce texte est la prise en compte de manière assez claire de la dimension Internet. Le projet de loi précise expressément que les données mises en ligne n'auront pas à être supprimées ou rendues inaccessibles pendant la nouvelle période interdite de 48 heures. Le texte ne fait donc pas d'Internet un élément à part avec un régime juridique différent : de la même sorte que le papier où il aurait pu paraître illusoire d'interdire à tout citoyen de consulter voire de détruire pendant la période interdite toute vieille référence à un sondage électoral, les éditeurs de sites (médias, sites de campagne, personnes physiques) ne seront pas dans l'obligation de supprimer les contenus diffusés en totale conformité avec les dispositions législatives.

Une interdiction de 48 heures

Seulement, cette lecture du projet de loi constitue en elle-même une réelle insuffisance. Quelle différence notable va-t-il se produire, en matière de diffusion des sondages, entre le cas où aucune interdiction n'est édictée et la situation où une interdiction de 48 heures est imposée ? La réponse est assez simple : quasi-aucune. En effet, la période interdite va traditionnellement correspondre au samedi et dimanche de l'élection, c'est à dire à un moment où la diffusion des quotidiens n'est pas très importante. En outre, les seules victimes de cette disposition sont essentiellement les chaînes de télévision ou les radios qui seront dans l'obligation de ne pas diffuser avant la fermeture de tous les bureaux de vote ces fameuses estimations à la sortie des urnes, ce qui est le cas actuellement.

Mais également, la disposition telle que proposée va connaître rapidement une limite : la diffusion de l'ancien contenu. Même si dans la presse papier traditionnelle il est possible pour le lecteur de dater avec précision la diffusion de tel ou tel sondage, sur Internet, la chose sera rendue plus difficile. Rien n'interdit aux sites Internet de laisser en première page pendant la période interdite, une référence assez importante à un sondage diffusé, commenté ou analyser dans les jours qui précèdent. L'apparition dans les gros titres d'un site Internet d'un vieux sondage ne va-t-il pas avoir le même impact sur l'électeur - que le projet de loi cherche à protéger de toute pression afin d'éviter toute modification substantielle des résultats du scrutin - que la diffusion d'un nouveau sondage ?

Plus précisément, il est loisible aux créateurs de sites de continuer à diffuser d'anciens sondages publiés avant la période Internet, mais aux yeux des lecteurs, des internautes, ces sondages vont prendre une importance toute autre. Imaginons le cas d'un site d'information généraliste titrant pendant trois jours "Jacques Chirac donné gagnant" ou "Lionel Jospin donné gagnant". A la simple lecture du gros titre, quel élément permettra à l'e-électeur de savoir que l'information commentée a pour source un sondage diffusé quelques jours avant le scrutin ? En outre, avec la multiplication des supports possibles : site d'actualités, lettres d'informations (newsletters), sites des candidats, sites personnels, une même information peut être présentée différemment mais aussi universellement.

Le rôle du CSA

Alors que l'interdiction de diffusion sous peine d'amende vise tous les acteurs de la Toile (créateurs de pages personnelles, candidats, organes de presses, instituts de sondages), les règles déontologiques applicables sont assez différentes. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel encadre très fortement le commentaire des sondages à la radio ou à la télévision, alors qu'aucune disposition ne régit la diffusion de ces sondages par des particuliers. En outre, même si la Commission des sondages a demandé aux médias de ne pas donner un écho important aux enquêtes électorales ne répondant pas à toutes les attentes scientifiques d'un sondage, cette recommandation ne vise pas directement les autres diffuseurs de sondages à savoir les particuliers, les candidats, etc.

Que dire de l'impact sur le comportement des électeurs de la publication sur le site Yahoo! Actualités, du "chiffre du jour" qui n'est ni plus, ni moins la reprise des résultats d'une enquête auprès de quelques internautes grâce à un partenariat avec le site Expression-publique.com. Ces éléments permettent ainsi d'avancer que dans les faits - et en raison de la multiplicité des supports, des moyens de présenter l'information et des acteurs de cette diffusion - le projet de loi en réinstaurant une interdiction ne résout pas le risque d'atteinte à la sincérité du scrutin et en conséquence ne réduit pas les potentielles annulations d'élections qui pourraient en découler. Par ailleurs, le texte reste totalement muet sur la manière dont devra être traité le lien hypertexte.

Afin de contourner l'interdiction, divers organes de presse pourraient être tentés de réaliser des liens hypertextes vers des pages situées physiquement à l'étranger présentant le résultat de sondages qu'ils ont commandés, ou vers des sites Internet étrangers commentant des sondages réalisés pendant la période interdite. A ce jour, une seule véritable jurisprudence existe. Il s'agit d'un jugement en date du 6 avril 2001 [32] par lequel le Tribunal de grande instance de Paris a sanctionné l'hebdomadaire Paris-Match pour avoir réaliser un lien hypertexte depuis son site Internet vers une page hébergée aux Etats-Unis présentant un sondage sur les intentions de vote des français. L'enquête avait en effet démontré que l'hebdomadaire avait la totale maîtrise du contenu de la page incriminée et l'avait délibérément hébergé aux Etats-Unis afin d'échapper à l'application des dispositions de la loi de 1977.

Les liens vers les sites étrangers

Mais, de manière générale, un site français pourra-t-il renvoyer sur un site étranger au travers du lien hypertexte sans encourir de sanctions ? Dans l'état actuel de la jurisprudence, la solution semble être négative. Par un arrêt en date du 19 septembre 2001 [33], la Cour d'appel de Paris a eu l'occasion de juger que "lorsque la création [d'un] lien procède d'une démarche délibérée et malicieuse, entreprise en toute connaissance de cause par l'exploitant du site d'origine, [celui-ci] doit alors répondre du contenu du site auquel il s'est, en créant ce lien, volontairement et délibérément associé dans un but déterminé". Cette affaire n'était pas relative à des questions électorales, mais la solution donnée par le juge est facilement transposable.

En cas de réalisation d'un lien hypertexte par un site français vers un site étranger, le juge pourrait estimer qu'il s'agit là d'une démarche délibérée et malicieuse, entreprise en toute connaissance, dans un but d'intégrer virtuellement le contenu du site destinataire à son propre contenu. La création d'un simple lien hypertexte sera donc susceptible d'entraîner la condamnation du responsable du site Internet dès lors que la démarche délibérée est prouvée. Cette preuve sera d'autant plus facile à rapporter vu qu'un lien hypertexte repose sur un contenu cliquable : c'est ce contenu (texte, image) et la manière dont il est formulé qui permettra au juge d'apprécier le caractère délibéré de la démarche.

Le problème devient épineux dès lors que le lien est réalisé à l'insu du responsable du site, notamment dans des forums de discussions non modérés. La loi prohibe toute diffusion ou commentaire d'un sondage. Or, dans un tel cas, la personne qui poste le lien vers un sondage hébergé à l'étranger dans un forum de discussion le commente, et le site qui héberge le forum, diffuse le commentaire du sondage. Par une interprétation stricte du texte, la responsabilité pénale à rechercher sera donc celle des deux acteurs. De manière plus juridique, la nouvelle interdiction posée par le projet de loi semble fortement contestable. Dans sa décision en date du 4 septembre 2001, la Cour de cassation a précisé explicitement que l'interdiction instaure "une restriction à la liberté de recevoir et de communiquer des informations qui n'est pas nécessaire à la protection des intérêts légitimes énumérés par l'article 10".

Il est interdit d'interdire

Le juge judiciaire suprême n'a pas contesté la durée de l'interdiction mais bien le principe même. Pour le juge, en matière de diffusion de sondages en période électorale, il est interdit d'interdire. La mise en place d'une nouvelle prohibition, certes plus réduite, s'oppose donc aux principes posés par la Cour de cassation. Toute interdiction est à proscrire afin de protéger à la fois la liberté de communiquer des informations mais également la liberté pour les citoyens de les recevoir. Si le juge judiciaire est appelé à contrôler la compatibilité de ce projet de loi avec les articles de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, la réponse apportée sera certainement la même que dans la décision du 4 septembre 2001.

Enfin, si le litige n'est pas soumis au juge judiciaire, ou s'il modifie sa position jurisprudentielle, la législation française actuelle ou à venir pourrait être sanctionnée par la Cour européenne des droits de l'homme en cas de recours devant la juridiction européenne. Au final, le problème du risque juridique pesant sur les élections se posera à nouveau. Nous sommes donc entrés dans une logique du cercle infernal.

Une solution existe pourtant. Elle n'est pas à rechercher auprès du législateur ou de la loi, mais auprès des juges de l'élection. Afin de concilier liberté des citoyens, liberté d'information, risque juridique et droit électoral, les juges de l'élection devraient intégrer dans leur contrôle contentieux une touche de subjectivité. En effet, même si le juge tente de protéger la réflexion de l'électeur de toute influence extérieure néfaste, cela peut l'être au détriment du candidat. Les quelques exemples donnés plus haut ont montré qu'un candidat peut être sanctionné en raison non pas de ses pratiques mais du comportement d'une personne extérieure sur laquelle il ne possède aucun contrôle ni influence [34].

Il serait opportun pour le juge de l'élection, qu'il soit administratif ou constitutionnel, de ne sanctionner en matière de sondages que les violations qui vont émaner directement ou indirectement du candidat et/ou de ses équipes proches. En raison du développement de nombreux outils sur lesquels le candidat ne peut avoir aucune influence, la lignée jurisprudentielle actuelle est anachronique et constitue la source du risque juridique que l'on tente d'éviter aujourd'hui devant le Parlement. En conclusion, il ne revient pas au législateur le soin de décrire un état idéal des choses, mais bien au juge. Toute tentative de réécriture de la loi risque d'entraîner de très nombreuses confusions et/ou contournement et, dès lors qu'une interdiction est établie, le spectre de l'annulation au regard des dispositions communautaires est bien présent.

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Notes :
[32] TGI Paris, 17e Ch., 6 avril 2001, Ministère public c/ Roger Thérond et Didier Jeambar.
[33] CA Paris, 4e Chambre A, 19 septembre 2001, SA NRJ c/ Sté Europe 2 Communication.
[34] Voir les faits de l'affaire dite du Vrai Journal.

[Rédaction, JDNet]
 
 
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