Cheng Ouyang (Alibaba) "Nous voulons accueillir 100 millions de PME sur nos marketplaces"

Le directeur du centre de recherche d'Alibaba sur le crossborder explique au JDN la stratégie du géant de l'e-commerce chinois en matière de ventes transfrontalières.

JDN. Vous vous spécialisez dans la recherche sur l'e-commerce crossborder et l'internationalisation des entreprises chinoises. Quelle est la position actuelle du gouvernement chinois ?

Cheng Ouyang, directeur de l'Alibaba Crossborder E-Commerce Research Center © F.Fauconnier/JDN

Cheng Ouyang. Le potentiel qu'offre l'e-commerce transfrontalier aux vendeurs chinois et étrangers est gigantesque et le gouvernement chinois l'a réalisé. La classe moyenne chinoise se développe beaucoup et veut acheter des marques américaines et européennes. Les touristes chinois achètent déjà beaucoup lorsqu'ils sont à l'étranger. Le gouvernement veut encourager la même chose en ligne.

Pourquoi ? Quel est son intérêt ?

D'abord il peut taxer ces transactions. Ensuite, si les Chinois achètent auprès de marques étrangères, les fabricants chinois vont devoir progresser en qualité. Enfin, ouvrir plus grand la porte à ces échanges permettra de développer le marché adressable des vendeurs chinois.

C'est d'ailleurs le rôle d'Aliexpress, qui leur facilite l'accès aux marchés internationaux. Avec succès, puisqu'il s'est imposé comme le premier site marchand de Russie et marche extrêmement bien dans d'autres pays comme l'Espagne et le Brésil. Dans l'autre sens, notre filiale BtoB 1688 aide déjà 10 millions de fournisseurs étrangers à adresser les consommateurs chinois en offrant un service extensif qui comprend dédouanement, protection de la marque, marketing et logistique.

Depuis le début 2016, Amazon convainc des milliers de vendeurs chinois d'exporter via sa marketplace. Comment voyez-vous cette concurrence à Aliexpress ?

Tout ce que je peux dire est que fin 2015 début 2016, Aliexpress a rehaussé les seuils de ses critères d'acceptation des vendeurs, de façon à garantir aux acheteurs internationaux la bonne qualité des biens venus de Chine. Nous demandons que les fournisseurs aient une marque, qu'ils nous fournissent un registre de leur historique de transactions et qu'ils nous versent un dépôt de garantie, qui a été relevé.

"Nos priorités sont l'internationalisation, le big data et l'e-commerce rural"

Le marché chinois est-il saturé ou les marchands étrangers ont-ils encore une chance de s'y faire une place ?

Pour établir une nouvelle marketplace, c'est un peu trop tard en effet. Mais le potentiel pour les produits et les marques de qualité est énorme. Les catégories les plus demandées sont le luxe, les produits pour bébé, les cosmétiques, l'habillement, la chaussure et les produits d'hygiène.

De même qu'Amazon investit beaucoup dans son activité de transporteur, Alibaba développe beaucoup son bras logistique Cainiao…

Cainiao possède quelques entrepôts mais contrairement à l'activité logistique d'Amazon, il s'agit principalement d'une entreprise de data, qui connecte les marchands avec des logisticiens et transporteurs de tous les pays. Nous savons prédire que tel produit sera écoulé à telle vitesse et qu'il peut donc être stocké dans tel entrepôt européen. Nous pouvons optimiser la répartition mondiale et l'expédition des stocks et fournissons ces données à nos clients. Cainiao réalise le gros de son activité en Chine mais s'étend commercialement dans le monde et permet déjà aux fournisseurs de faire livrer leurs produits partout sur la planète, en un jour en Chine et en trois jours entre deux pays étrangers.

Quelles sont les priorités d'Alibaba pour les cinq ans à venir ?

Nous en avons trois. Premièrement, l'internationalisation via l'expansion de nos marketplaces, mais je n'y reviens pas. Deuxièmement, le big data. Prenez par exemple le Singles Day Festival que nous avons créé chaque 11 novembre. En 2015, sur cette seule journée, nous avons enregistré 14,3 milliards de dollars US de volume d'affaires. Une prouesse technique possible parce qu'Alipay, qui repose sur notre technologie cloud Aliyun comme d'ailleurs tout l'écosystème d'Alibaba, est capable d'encaisser jusqu'à 120 000 transactions par seconde, trois fois plus que Visa ou Mastercard.

"Taobao a directement généré 15 millions d'emplois en Chine en 2015"

Notre troisième priorité est l'e-commerce en zone rurale. 50% de la population chinoise habite à la campagne – soit tout de même 600 millions de personnes – mais elle ne représente que 30% de nos acheteurs. Les gens des campagnes ont souvent peu de moyens et parfois ils ne peuvent acheter que des faux. Nous voulons donc les aider à acheter directement auprès des fabricants, par exemple des engrais ou des équipements agricoles, en contournant les intermédiaires. D'autre part, nous les aidons à commercialiser leurs produits vers les villes, où il existe une vraie demande pour les produits de bonne qualité, comme du thé, des fruits, des noix ou de l'artisanat. L'alimentaire est une catégorie très importante sur Alibaba.

Concrètement, quelle forme prend cet accompagnement ?

Nous encourageons les gens à rentrer dans leur village pour y établir une boutique sur notre plateforme CtoC Taobao et aider leur entourage à acheter sur Alibaba. S'ils acceptent de devenir notre partenaire local, nous les formons, nous couvrons leur zone logistiquement et nous leur versons une commission sur les achats et les ventes qu'ils apportent. Ils peuvent donc en vivre ! Ils ont aussi la possibilité d'ouvrir un magasin physique approvisionné par Alibaba, pour que les gens comprennent ce que l'e-commerce peut leur apporter. Nous avons déjà signé avec 20 000 personnes et visons 100 000 contrats.

Quels sont les autres grands objectifs chiffrés que se fixe Alibaba ?

L'une de nos spécificités est notre focus sur les PME. En Chine, plus de 10 millions d'entre elles vendent sur nos marketplaces domestiques. Nous voulons maintenant en aider 100 millions dans le monde. Notre PDG Jack Ma a d'ailleurs proposé la création de l'Electronic World Trade Platform pour donner une voix plus forte aux PME, qui sont en train de devenir la première force de la globalisation.

Par ailleurs, Taobao a directement généré 15 millions d'emplois en 2015, auxquels s'ajoutent 30 millions d'emplois indirects. Notre objectif pour le futur proche est de porter ce nombre à 100 millions d'emplois globalement. Et enfin, nous souhaitons servir 2 milliards de clients.

Cheng Ouyang a rejoint l'Alibaba Research Institute en 2015 en tant qu'Executive Senior Advisor et dirige également l'Alibaba Crossborder E-Commerce Research Center. De 2011 à 2014, il était diplomate à l'ambassade de Chine en Australie. Il y pilotait la recherche, la coordination et les négociations en matière de politiques économiques et commerciales sino-australiennes, et travaillait à la promotion des investissements chinois en Australie. De 2003 à 2011, au sein du ministère chinois du Commerce, il était responsable de la recherche et des négociations des accords de libre-échange entre la Chine et les autres pays du monde.

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