Thierry Petit (Showroomprivé) "60% de l'e-commerce français est à vendre"

Acquisitions, international, logistique, gouvernance… S'introduire en bourse a conduit le site marchand à évoluer, explique son cofondateur.

JDN. Showroomprivé fête aujourd'hui ses 10 ans et le premier anniversaire de son IPO. Qu'a-t-elle changé ?

Thierry Petit, cofondateur de Showroomprivé © S. de P. Showroomprivé

Thierry Petit. Cela a apporté une nouvelle rigueur à l'entreprise. En matière financière évidemment, mais pas seulement. Par exemple nous prévoyons bien mieux qu'avant l'évolution de l'activité, ce qui n'est pas toujours évident sur un secteur aussi marqué par les saisonnalités. Plus largement, c'est l'IPO qui nous a conduits à projeter l'entreprise sur le long terme. Quand nous avons monté Showroomprivé, cela marchait bien, nous avons ouvert d'autres pays parce qu'il y avait du business à prendre, nous avons développé diverses activités, mais surtout par opportunité. L'IPO nous a forcés à avoir une cohérence stratégique. On se projette dans un objectif, on voit comment y aller et avec quels moyens.

La même chose s'est d'ailleurs produite pour Yoox ou Zalando, chez qui la cohérence faisait défaut avant leur introduction. La vocation de Zalando, par exemple, est maintenant très claire : il s'agit de mettre la technologie au service des consommateurs de mode. L'IPO force à aller dans ces projections-là et impose une gouvernance très claire ainsi que des actions lisibles, en phase avec la stratégie. C'est sain et très bénéfique, même s'il y a de petites choses pénibles à la marge.

Comment cette cohérence stratégique se traduit-elle concrètement ?

De multiples façons. Par exemple, nous avons retravaillé notre façon de faire de l'international. Jusque-là, nous avions mutualisé les structures et piloté les pays depuis la France. Mais certains marchés ont un besoin plus prononcé de marques locales. En Espagne, nous avons donc monté une équipe d'une vingtaine de commerciaux. Et en Italie, c'est la croissance externe qui est apparue la plus pertinente. Autre exemple : notre collection #IRL prenait jusqu'ici la forme de capsules temporaires. Nous la lancerons fin octobre en tant que rubrique permanente.

Nous sommes par ailleurs en train d'écrire notre schéma logistique à plusieurs années. L'un des enjeux est d'accélérer la livraison. Aujourd'hui, un tiers des commandes est livré en 24 heures car nous avons acheté les produits et les avons en stock. L'un de nos objectifs est de savoir préparer les commandes en quelques heures. Quant aux deux tiers des commandes que nous n'avons pas en stock, en quelques années nous avons ramené leur délai de livraison de 21 à 15 jours. Nous allons maintenant essayer de passer sous les 10 jours, mais aussi prendre des références en stock sans les acheter.

Nous nous sommes également demandé si nous avions l'organisation nécessaire pour tenir à trois ou quatre ans. Ce n'était pas le cas. En un an, nous avons renouvelé quasiment tout le Comex et recruté une dizaine de seniors, afin de bien caler la machine et de pouvoir scaler notre activité. Enfin, tous les salariés présents dans l'entreprise depuis plus d'un an sont devenus actionnaires, et ceux qui dépassent une année d'ancienneté le deviennent aussi. C'était important pour nous et cela marque la deuxième étape de la vie de l'entreprise.

"Nous ciblons des entreprises qui n'ont pas besoin de nous pour continuer"

Quels bénéfices avez-vous déjà tirés de la bourse ?

Nous avons gagné en visibilité, nous sommes un acteur plus "institutionnel". Le fait que tout soit transparent et public est loin d'être anodin, cela rassure beaucoup. On ne nous considère plus comme les copieurs du leader. C'est très positif. Et bien sûr, la bourse nous apporte les moyens de financer nos acquisitions.

Vous venez de finaliser le rachat de SaldiPrivati pour 28 millions d'euros plus 10 d'earn-out. Quels sont vos projets pour lui ?

En Italie, le leader des ventes événementielles est l'espagnol Privalia et le numéro 2 est l'italien SaldiPrivati, avec un chiffre d'affaires 2015 de 44 millions d'euros. C'est donc un actif fort, d'autant que les marques italiennes qu'il commercialise sont reconnues partout en Europe et étofferont avantageusement notre sourcing. SaldiPrivati est au stade de développement où nous étions il y a cinq ou six ans. Nous allons donc pouvoir leur apporter de quoi passer les paliers suivants. Nous conserverons leur marque et allons voir s'il est pertinent de garder aussi la nôtre en Italie.

Quels types de dossiers examinez-vous ?

Notre politique d'acquisition couvre trois axes : géographique (le même métier dans un autre pays), sectoriel (des ventes événementielles de sport, maison, etc.) et technologique. En regardant les dossiers, on se rend d'ailleurs compte que 60% de l'e-commerce français est en vente ! Beaucoup d'investissements ont eu lieu en 2010-2011. Cinq ou six ans après, les fonds veulent sortir. De plus, pour les e-marchands actifs sur un secteur où les retailers sont en train d'accélérer en ligne,  il est très difficile de tenir sans avoir atteint une taille critique.

"La Fondation Showroomprivé ouvrira mi-novembre à Blanchemaille"

Nous ciblons donc des entreprises en bonne santé, en croissance et rentables ou près de le devenir, c'est-à-dire qui n'ont pas besoin de nous pour continuer. Il faut que l'équipe dirigeante veuille rester, qu'on perçoive un potentiel de synergies, et que le prix soit au maximum de notre multiple afin que nous ne perdions pas de valeur. Ce dernier point n'est pas simple, car souvent les fonds sont entrés sur des valorisations hautes.

Qu'est-ce que la bourse vous a apporté d'autre ?

Nous avons beaucoup travaillé le sens. Pour qu'on soit encore là dans 10 ans, il faut qu'on s'amuse, et qu'on ait une mission. C'est ainsi qu'est né notre incubateur Look Forward, qui est une belle réussite et débute sa deuxième saison début novembre. Il est gratuit pour les start-up, nous ne prenons pas de capital. Nous leur octroyons un crédit d'heures avec nos équipes et les mettons en relation avec les marques, les bons spécialistes… Nos collaborateurs adorent, et c'est une bonne chose qu'ils se confrontent à de toutes petites structures, obligées de trouver de bonnes idées pour compenser leur peu de moyens.

Notre réflexion sur le sens nous a aussi amenés à créer la Fondation Showroomprivé, qui ouvrira mi-novembre à Blanchemaille, l'antenne e-commerce d'Euratechnologies à Roubaix. Il s'agit d'une école gratuite, montée avec l'aide de Simplon, qui réinsérera des chômeurs de longue durée. Nous finalisons actuellement le recrutement des professeurs et des acteurs e-commerce du Nord tels que La Redoute se sont engagés à prendre des stagiaires. Nous commençons avec une vingtaine de participants et organiserons deux sessions par an.

Vous évoquez de "petites choses pénibles" apportées par votre cotation. A quoi faites-vous référence ?

Nous rendons publics toutes sortes de chiffres – investissements marketing, niveaux de marge, frais de port…-, dont nos concurrents peuvent se servir pour affiner leur propre stratégie. Mais les investisseurs préfèrent disposer de nombreux indicateurs, donc il faut arbitrer. Pour contrecarrer les mauvaises conditions de marché à l'époque de notre IPO, nous avons fait le choix d'être très ouverts.

Par ailleurs, nous essayons de ne pas rentrer dans le rythme trimestriel qu'a tendance à dicter la bourse. Mon associé David Dayan et moi détenons toujours 43% du capital et 55% des droits de vote, donc nous pouvons continuer à piloter avec une vision de long terme. Par exemple, au premier semestre, nous avons concentré nos efforts sur la France au détriment de l'international. Nous l'avons assumé, expliqué, et cela n'a pas posé problème. Aujourd'hui nous sommes au-dessus de notre cours d'introduction, ce qui est très bien au vu du marché : si on compare notre action aux valeurs du SRD, elle enregistre la troisième meilleure progression en pourcentage sur un an.

Thierry Petit est le co-PDG de Showroomprivé, avec David Dayan. Diplômé de l'INT, il débute sa carrière au sein des agences interactives Planète interactive et Brainsoft. En 1999, il crée le comparateur de prix Tooboo.com, qu'il cède à Libertysurf l'année suivante. Il en devient le directeur e-commerce, puis s'investit dans divers projets personnels, dirigeant notamment le magazine Mouvement, et entreprend un tour du monde de deux ans. En 2006 il cofonde Showroomprivé avec David Dayan.