Jean-Emile Rosenblum (ex-Pixmania) "Le massacre qu'a commis Dixons chez Pixmania est honteux"

Deux occasions de vente refusées, une politique de prix imposée par Dixons Retail... Le cofondateur de Pixmania revient sur la descente aux enfers du site marchand... et met les points sur les i.

JDN. Pixmania a vu son chiffre d'affaires dégringoler de 897 à 424 millions d'euros entre 2010 et  2013, d'après le rapport annuel de Dixons Retail. Que s'est-il passé ?

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Jean-Emile Rosenblum, cofondateur et ancien VP de Pixmania, aujourd'hui fondateur et PDG de The Kase © S. de P. Pixmania

Jean-Emile Rosenblum. En 2006, nous avons accepté la proposition de rachat du distributeur britannique Dixons Retail pour bénéficier de la puissance de sa plateforme d'achats. Et effectivement, la première année, en accord avec son PDG John Clare, nous avons mis en place des synergies. Pixmania a alors acheté pour 100 millions d'euros via Dixons, à mettre en regard d'un chiffre d'affaires de 350 millions d'euros. A l'époque, Canon pesait près du quart des revenus de Pixmania. Avec Sony et Samsung, on arrivait à 80%.

Puis deux événements se sont produits. John Browett a remplacé John Clare mi-2007 à la tête de Dixons et Lehman Brothers est tombée en septembre 2008. Huit mois après, Dixons était au bord de la faillite. Sa valorisation est passée de 5 milliards de livres sterling à 160 millions : à peine la valeur des stocks. A ce moment-là, John Browett a recentré les activités de Dixons pour sauver le Royaume-Uni. Ce que je comprends. Mais Pixmania est totalement sorti de ses considérations.

Quelle conséquence sur votre fonctionnement ?

Nos achats via Dixons ont diminué jusqu'à 10 millions d'euros. Et les fournisseurs en ont joué. Ils ne nous confiaient plus de produits haut de gamme, réservaient l'entrée de gamme aux grandes surfaces, les 5 ou 6 gros pure players se battaient sur quelques références... De plus, les fournisseurs appliquaient des prix 7% à 10% plus élevés qu'auprès de Dixons. Contrairement à Fnac.com qui travaillait avec les prix d'achat de la Fnac, ou à Darty.com avec les prix d'achat de Darty. Prenez Sony, avec qui nous réalisions 70 millions d'euros de chiffre d'affaires. Tous les ans, ils nous reprenaient 1 ou 2 points de marge. En cinq ans, on avait perdu 8 points de marge.

En plus de cela, au Royaume-Uni et en Scandinavie, où il est également très présent, Dixons nous interdisait de pratiquer des prix inférieurs à ceux de ses enseignes. Comme si, en France, on nous avait obligés à relever nos prix au niveau de ceux des magasins Darty ! En trois ans, notre chiffre d'affaires au Royaume-Uni est passé de 90 à 20 millions d'euros.

En 2009, Dixons nous a demandé, à Steve et moi, de rester à la tête de Pixmania encore deux ans. Nous avons resigné. Six mois après, Dixons refusait une proposition de rachat de Pixmania par Mediamarkt.

Pourquoi ce refus ?

Mediamarkt [propriété du groupe allemand Metro, ndlr] et Dixons sont les deux plus gros distributeurs d'Europe. Les dirigeants de Mediamarkt nous ont contactés, mon frère Steve et moi, et nous ont signalé leur intérêt pour Pixmania. Nous avons donc organisé une rencontre avec Dixons. Ils ont été extrêmement mal reçus. Pourtant c'était au pire moment, Dixons avait donc tout intérêt à vendre Pixmania. Peut-être une question de rivalité... En tout cas, une première occasion manquée.

Par ailleurs, Dixons nous avait rachetés car en 2006 il n'était pas présent sur Internet, ce qui à cette époque au Royaume-Uni était grave. En un an et demi, notre filiale eMerchant a monté tout leur e-commerce, qui aujourd'hui pèse 30% des 4,5 milliards de livres de chiffre d'affaires qu'ils réalisent au Royaume-Uni. Cela a dû compliquer l'idée d'une vente, dans la tête de John Browett.

"Ce qu'a fait Dixons sur les 15 derniers mois me fait de la peine"

A votre connaissance, eMerchant va-t-il continuer à assurer l'e-commerce de Dixons au Royaume-Uni ?

Cela fait un an que Dixons travaille à reprendre le savoir-faire d'eMerchant. Il est en train de terminer ce transfert.

La seconde occasion de rachat manquée fut avec Carrefour...

Deux ans après l'échec des discussions avec Mediamarkt, nous étions, en 2011, en négociations sur le rachat de Pixmania par Carrefour. Mais encore une fois, cela n'a pas abouti. Lars Olofsson, PDG de Carrefour à l'époque, n'avait peut-être pas les coudées franches, je ne sais pas. Toujours est-il que nous en sommes restés à un deal de délégation e-commerce pour eMerchant. Ensuite, chez Pixmania, la situation a pourri.

Le tsunami de 2011 en Asie vous a porté un autre coup dur...

Photo, TV, smartphones... Nos approvisionnements sur certaines catégories de produits ont diminué jusqu'à 50% pendant 6 mois. Auparavant, nous avions toujours été rentables en BtoC car nous devions rembourser la dette levée au moment du LBO familial sur Fotovista. S'y ajoutaient quelques contrats d'eMerchant, comme Dixons et Carrefour. Mais le tsunami a été une vraie catastrophe. Qui nous a frappés comme tous les acteurs high-tech : des enseignes comme la Fnac ou Darty vont toujours mal.

Mi-2012, Dixons nous a sortis, Steve et moi, afin d'avoir les coudées franches. Pour piloter Pixmania ils ont envoyé Phil Birbeck, qui ne connaît pas Internet. Le nouveau PDG de Dixons depuis début 2012, Sebastian James, n'est venu à Paris que deux fois en un an au lieu de toutes les semaines. Toute la direction de Pixmania est partie. Dixons aurait dû les bloquer, mais ne l'a pas fait. A l'arrivée, cette stratégie leur a coûté très cher : 100 millions pour la restructuration, 10 millions pour nous racheter, 70 millions à Mutares...

Même si je ne conteste pas que le contexte était très difficile, ce massacre commis par Dixons est honteux. Ce qu'ils ont fait sur les 12 à 15 derniers mois me fait de la peine, c'est un terrible manque de respect pour l'entreprise et les gens qui y travaillent. Même Carrefour aurait repris Pixmania aujourd'hui, surtout avec ce que Dixons a payé pour le vendre.

"Pour moi, fermer les magasins Pixmania, c'était fermer Pixmania"

Dixons Retail a-t-il eu raison de fermer les magasins Pixmania ?

Pour moi, fermer les magasins Pixmania, c'était fermer Pixmania. En Espagne, les boutiques faisaient 30% de notre chiffre d'affaires. En France, près de 20%. Le multicanal, ce n'est pas simple, mais c'est la seule voie possible pour les grands e-commerçants aujourd'hui.

Que vous inspire la vente de Pixmania au groupe allemand Mutares, annoncée le 5 septembre ?

Je ne sais pas encore, je ne connaissais pas Mutares avant l'annonce. Il n'a pas l'air d'être un groupe gigantesque, mais cela redonne une chance à Pixmania. A condition qu'il mette à sa tête une équipe qui connaît réellement Internet.

Comment voyez-vous évoluer le paysage français de l'e-commerce ?

Cdiscount, Amazon... sur Internet aucun pure player ne gagne de l'argent. A l'exception de Vente-Privée, mais ses marges vont s'éroder car la concurrence monte, ce qui plaît évidemment aux fournisseurs. Les acteurs multicanaux, eux, gagneront de l'argent car ils peuvent amortir leurs coûts, pourvu qu'ils parviennent à réduire la voilure de leurs réseaux de magasins. Je pense qu'ils vont progressivement reprendre leur part de marché naturelle. Et bien sûr, des pure players de niche continueront à prospérer, comme Pecheur.com, Oscaro ou encore Photobox.

En réalité, la vraie exception en Europe vient des frères Samwer. Zalando va réaliser 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires cette année. Or sur le prêt-à-porter, les marges sont de 40, 50%. S'ils arrivent à trouver le bon modèle, ce qu'Amazon n'a pas réussi à faire sur ce segment, ils tiennent quelque chose de très fort.

Jean-Emile Rosenblum est le fondateur et PDG de The Kase. A la sortie de l'Institut Supérieur de Gestion, en 2000, il rejoint son frère à la tête de Fotovista (depuis renommé Pixmania) en le rachetant avec un fonds d'investissement. Fotovista devient Pixmania, dont il est le vice-président. En avril 2006, le groupe britannique de distribution Dixons Retail devient actionnaire majoritaire. En août 2012, Dixons Retail monte à 99% du capital de Pixmania et prend les manettes du site. En décembre, Jean-Emile Rosenblum lance un nouveau projet : une chaîne de magasins d'accessoires pour mobile baptisée The Kase.