Patrick Oualid (Monoprix) "Monoprix.fr vise 50% de croissance par an sur les trois prochaines années"

Drive-in en centre-ville, marketplace en 2013, nouvelles catégories de produits en propre... Le directeur e-commerce de Monoprix détaille les challenges et les projets de l'enseigne sur le Web.

JDN. Vous avez pris vos fonctions de directeur e-commerce de Monoprix il y a cinq mois. Quels sont les grands défis auxquels Monoprix.fr fait face ?

Patrick Oualid. Notre premier challenge est d'ordre financier. Internet, et plus largement le multicanal, doivent grossir dans les revenus de Monoprix mais également gagner en rentabilité. Ceci implique de travailler aussi bien la fréquence d'achat, qui aura un impact important sur la rentabilité, que le taux de transformation et le panier moyen, notamment en étant meilleurs sur les recommandations faites aux visiteurs. Nous visons une croissance de 50% par an de notre chiffre d'affaires sur les trois prochaines années.

Le deuxième challenge, c'est le multicanal. Et en particulier notre capacité à générer du chiffre d'affaires additionnel. Or nous avons mesuré que le Web en apportait. Ainsi, les clients achetant à la fois en magasin et en ligne dépensent trois fois plus que les clients exclusivement magasins. Pas 10% de plus : trois fois plus ! En outre, le panier moyen en magasin de ces clients multicanaux est deux fois supérieur à celui des clients pur magasin. Tout en sachant que les premiers se rendent encore plus en magasin que les autres.

Quel premier bilan tirez-vous des "walk-in", ces "drive-in" de centre-ville que Monoprix teste depuis le début 2012 ? (lire l'article Monoprix se met au drive et prépare des "walk-in" à Paris, du 20/01/2012)

Cela fonctionne bien. Nous en avons déployé une petite trentaine. Les enquêtes montrent que ce concept accompagne bien les mutations de la consommation. Avant l'arrivée du drive, les courses en ligne n'avaient pas encore décollé. Aujourd'hui, le drive tire le marché des courses en ligne et représente 1,4% des produits de grande consommation vendus en France. C'est déjà quelque chose ! Autrement dit, les courses en ligne ont décollé quand les enseignes ont fait la moitié du chemin qui les sépare des consommateurs. Le "walk" est la direction majeure dans laquelle je voudrais que Monoprix se dirige. Nous espérons créer une nouvelle habitude de consommation.

Lorsqu'un consommateur va chercher ses courses à pied, son panier moyen est bien moindre qu'en y allant en voiture. Comment rentabiliser les walk ?

Les courses en ligne sont surtout constituées de packs d'eau, de papier toilette ou de produits d'hygiène de la maison. Or lorsqu'un client achète un pack d'eau, notre marge est bien moins élevée que s'il achète son dîner du soir-même. De plus, la rentabilité des walk est rendue plus intéressante encore par le fait que nous n'avons pas besoin de subventionner la livraison, qui représente une partie beaucoup plus importante de nos coûts que la préparation de la commande. Le panier moyen du walk est en effet deux à trois fois plus bas que le panier moyen du site. Mais il s'agit d'une nouvelle habitude de consommation et donc de ventes incrémentales.

Comment avez-vous aménagé les magasins pour y insérer les walk ?

Gérer des magasins de centre-ville est de toutes manières d'une complexité extrême. Autrement dit nous savons faire quoi qu'il arrive. Dans ces magasins a été installée une borne avec un interphone. C'était le plus simple pour démarrer. Mais nous n'en sommes pas très satisfaits et testons donc autre chose.

Le mobile fait aussi partie du multicanal, où en êtes-vous ?

Notre application mobile a été lancée il y a moins de 6 mois et représente déjà 10% de nos ventes en ligne. Et puisque là encore nous recherchons l'incrémental, nous avons constaté que 40% des clients qui utilisent l'application n'étaient pas clients auparavant. Quant à ceux qui étaient déjà clients, leur panier moyen a progressé. Je ne peux pas encore en dire plus, mais beaucoup de choses vont sortir prochainement sur le mobile.

Avez-vous d'autres projets en matière de multicanal ?

Tout d'abord, Daily Monop va proposer la livraison du déjeuner et nous allons ouvrir un site à cet effet. Par ailleurs, nous pourrions imaginer de livrer en magasin Monoprix les commandes en ligne de mode. Là encore nous ferions la moitié du chemin, qui plus est pour apporter des ventes supplémentaire aux magasins. Sauf que cela n'a l'air de rien, mais c'est très complexe à mettre en place car contrairement à notre offre alimentaire, livrée par les magasins, l'habillement vendu en ligne est livré à partir d'un entrepôt dédié. Enfin, nous venons de lancer sur Facebook une "battle" de produits innovants. Les articles qui seront élus par nos fans bénéficieront d'une vitrine spéciale en magasin. Une façon aussi d'amener l'e-commerce dans la rue.

Quels sont vos autres chantiers ?

Le troisième de nos principaux challenges consiste à accompagner une marque de 80 ans, à l'identité très forte, pour qu'elle reste pionnière dans les tendances actuelles de l'e-commerce, comme elle l'a été sur les marques de distributeur ou encore le développement durable. Et en particulier, nous réfléchissons beaucoup au concept de marketplace.

Imaginons : je suis client de Monoprix mais je préfère acheter mes surgelés à côté, chez Picard. La leçon que nous a enseignée Jeff Bezos, le fondateur d'Amazon, en inventant le concept de place de marché, c'est de ne pas considérer cette autre enseigne comme concurrente, mais de faire au mieux pour le client. Evidemment, nous n'envisageons – pour l'instant – cette idée que sur Internet et pas en magasin. Mais prenez le livre ou le jouet. Autant en avoir une sélection en magasin a du sens, autant sur Internet, nous ne pouvons pas rivaliser avec Cdiscount, Pixmania et autres. Bref, peut-être que mes concurrents ne sont pas mes concurrents.

Vous allez donc ouvrir Monoprix.fr à des vendeurs tiers ?

Aujourd'hui, la logique des marketplaces existantes consiste à capitaliser sur son trafic et à aller chercher une rentabilité plus facile. Mais dans l'approche d'un retailer traditionnel tel que Monoprix, nous réfléchissons plutôt à la meilleure façon d'accompagner les tendances qui remettent le client au centre de l'acte d'achat. Concrètement, nous ne référencerons pas des centaines et des centaines de marchands. Nous comptons privilégier des alliances avec des marques fortes, y compris parmi les distributeurs traditionnels qui sont présents en ligne.

La concrétisation de ce troisième axe stratégique devrait intervenir en 2013 et pourrait concerner le jouet, le livre, les produits éditoriaux, les produits techniques... Et pourquoi pas la mode ! Monoprix est connu pour ses collections-capsules de créateurs. Sur ces collections, le site vend davantage que les magasins. Nous pourrions donc tout-à-fait inviter les créateurs à concevoir des collections uniquement destinées à la vente en ligne.

Après l'habillement l'an dernier et les jouets pour Noël, allez-vous ouvrir de nouvelles catégories de produits non-alimentaires en propre sur Monoprix.fr ?

L'équipement de la maison et les loisirs, absents des magasins, font partie des axes prioritaires de développement du site marchand, ainsi que la parfumerie et le maquillage. Mais nous avons encore besoin d'adapter notre logistique : nous travaillons sur un modèle hybride, qui nous permettra bientôt de vendre en ligne des références non commercialisées en magasin.

A terme, nous voulons pouvoir à la fois vendre en ligne ce que nous vendons en magasin - or beaucoup des 12 000 références magasins ne sont pas encore commercialisées en ligne -, vendre en ligne ce que nous ne vendons pas en magasin – comme la maison et les loisirs – et enfin vendre des produits que le magasin n'a pas vocation à porter - par exemple des packs jumbo de couches-culottes ou d'eau.

Patrick Oualid, 39 ans, débute sa carrière par 5 années en agences Web entre 1995 et 2000, en France et aux Etats-Unis. A son retour en France en 2000, il démarre l'aventure Pixmania auprès des frères Rosenblum. Pendant 7 ans, il crée et anime la direction marketing et CRM, les équipes trafic, fidélisation et communication online de Pixmania. A partir de la fin 2007, il dirige la division "new business" et œuvre à la mise en place de nouveaux relais de croissance rentables. Il travaille notamment à la création et au développement de PixPlace, la marketplace de Pixmania, et d'E-Merchant, l'offre d'e-commerce délégué du groupe. Il rejoint le groupe Monoprix fin 2011 à la tête de sa nouvelle direction e-commerce, afin d'y développer le commerce multicanal alimentaire et mode.