Les exploitants de Newsgroup : une responsabilté limitée ?

Dans un récent jugement, le TGI a qualifié Free d'hébergeur, celui-ci ne procédant à aucun contrôle des contenus ainsi mis en ligne. Mais la qualité d'hébergeur est-elle toute puissante. Pas sûr.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris ("TGI") vient une nouvelle fois de prendre position sur la qualification des fournisseurs de services de groupes de discussion et de partage de fichiers, autrement appelés Newsgroup.

Rappel des faits

Par une décision en date 5 février dernier, le TGI a considéré que la société Free, en ses qualités de fournisseur d'accès et d'hébergement, n'était pas responsable de la présence de contenus contrefaisants sur des serveurs qu'elle gérait dans la mesure où elle ne procédait à aucun contrôle, ni à aucune sélection des fichiers mis en ligne. Par ailleurs, la responsabilité de Free a également été écartée du fait du non respect par les demandeurs des formalités de notification de la présence de tels contenus, formalités prévues par l'article 6-I-5 de la loi pour la Confiance dans l'Economie Numérique ("LCEN").

Dans cette affaire, la présence d'articles contrefaisants avait été constatée, par huissier, à la demande du Syndicat National de l'Edition ("SNE"), sur un serveur Usenet (le "Serveur") géré par la société Free. Le SNE et certains éditeurs (dont Dupuis et Lucky comics) avaient alors adressé une mise en demeure à Free en lui enjoignant d'interdire l'accès au Serveur et de leur fournir les données de connexion des rédacteurs de ces messages. Face au refus de Free d'empêcher tout accès, le SNE et plusieurs éditeurs ont alors assigné cette dernière devant le TGI de Paris aux fins de fermeture du Serveur et de paiement de dommages et intérêts.

L'argumentation des parties

Le SNE soutenait, d'une part, que Free avait la qualité d'éditeur en ce qu'elle introduisait et stockait temporairement les fichiers sur le Serveur. Ce stockage temporaire induisait "nécessairement" que Free exerçait un contrôle sur les fichiers. En conséquence, Free devait être considéré comme se comportant comme un éditeur de contenus contrefaisants.

D'autre part, le SNE faisait valoir que Free était le seul fournisseur d'accès à Internet ("FAI") permettant l'accès à ce Serveur donnant accès à des canaux non-censurés et anonymes. De ce seul fait, le SNE considérait que Free avait ainsi laissé se réaliser des actes de contrefaçon et avait dès lors engagé sa responsabilité envers le SNE et les titulaires de droits.

Pour sa part, la société Free invoquait classiquement sa qualité de fournisseur d'accès et d'hébergement, et son respect à ce titre des obligations lui incombant. N'ayant pas été informée de la localisation exacte des éléments contrefaisants sur le Serveur, elle ne pouvait pas être considérée comme dûment avertie du caractère illicite des contenus et ne pouvait pas, par conséquent, en interdire l'accès.

Face à ces prétentions, la décision du 5 février dernier du TGI de Paris ne surprend pas. Elle confirme le mouvement jurisprudentiel actuel qui accorde la qualité d'hébergeur aux fournisseurs de plates-formes de contenus dès lors qu'ils n'ont pas été informés de la présence de contenus illicites ou qu'ils n'ont pas agit promptement après avoir été dûment informés (voir notamment, Tribunal de Grande Instance de Toulouse, 5 juin 2002, "Domexpo" ; Tribunal de Grande Instance de Paris, 19 octobre 2007, "Société Zadig Production c. Google Inc.).

L'exploitant d'un Newsgroup : une responsabilité limitée ?

Le TGI part du constat que le réseau Usenet est comparable, bien que plus performant sur certains aspects, au réseau Internet en ce qu'il permet (i) aux utilisateurs "d'envoyer des messages auxquels peuvent être joints des fichiers, d'accéder à des forums de discussion où chacun met en ligne à la disposition d'autres internautes et qu'il ne connaît pas nécessairement, des commentaires", et (ii) de mettre en réseau différents serveurs qui font circuler ces fichiers.

Obéissant aux mêmes lois qu'Internet, les juges ont donc repris la distinction nécessaire entre éditeurs et fournisseurs d'hébergement au sens de la Loi du 21 juin 2004.

Constatant que Free exploitait un service qui ne faisait que "permettre à des internautes d'une part de poster des contributions binaires ou non et de les propager sur le système Usenet et [...] de prendre connaissance et de télécharger (ces) fichiers binaires à partir du même système", le Tribunal a donc naturellement qualifié Free d'hébergeur et ainsi exclu la qualité d'éditeur, Free ne procédant à aucun contrôle ou sélection des contenus ainsi mis en ligne, conditions nécessaires à cette qualité.

Déjà dans sa décision du 19 octobre 2007 concernant le service de Google Video, le même Tribunal affirmait que "le fait pour la société défenderesse d'offrir aux utilisateurs de son service Google Video une architecture et les moyens techniques permettant une classification des contenus, au demeurant nécessaire à leur accessibilité par le public, ne permet pas de la qualifier d'éditeur de contenu dès lors qu'il est constant que lesdits contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes, situation qui distingue fondamentalement le prestataire technique de l'éditeur, lequel, par essence même, est personnellement à l'origine de la diffusion et engage à ce titre sa responsabilité" (TGI de Paris, 3ème Chambre, Affaire du documentaire "Les enfants perdus de Tranquility Bay").

Le Tribunal refuse également la qualification d'éditeur quant aux opérations de stockage temporaire et automatique réalisées au niveau des serveurs. Le Tribunal relève à cet égard qu'il s'agit d'opérations de "caching" consistant à enregistrer temporairement les données disponibles sur le réseau utilisé dans le but de préserver et d'améliorer la transmission. L'article L. 32-3-4 du Code des Postes et des Communications Electroniques prévoit dans une telle hypothèse que la responsabilité civile ou pénale du prestataire ne peut être recherchée, comme notamment cette affaire, en l'absence d'interaction sur les contenus.

Qu'en est-il dans les autres pays ?

Les exploitant de Newsgroup semblent protégés par la qualité d'hébergeur qui leur est ainsi reconnue par la jurisprudence actuelle. Mais ce constat de relative sécurité doit être limité au cadre français dans la mesure où un certain nombre de décisions contraires ont été prises par des juridictions d'autres pays à l'égard de services similaires de Newsgroup.

A titre d'exemple, une décision récente d'un Tribunal régional allemand en date du 23 janvier 2008 a ordonné au fournisseur du Newsgroup (Rapidshare) (i) de contrôler les fichiers mis en ligne et de retirer tout élément illicite, et (ii) d'instaurer des mesures rendant le service moins attractif dans la mesure où le fournisseur dudit service retirait des bénéfices financiers d'un service "particulièrement bien adapté à la distribution illicite de contenus protégés".

La responsabilité de ces exploitants peut-elle être envisagée ?

L'article 6-I-2 de la LCEN précise que les hébergeurs ne peuvent voir leur responsabilité civile ou pénale engagée au regard des contenus mis en ligne s'ils "n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits ou circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où (ils) ont eu cette connaissance, (ils) n'ont pas agi promptement pour retirer les données ou en rendre l'accès impossible".

Cependant, pour que les tribunaux considèrent l'hébergeur comme dûment informé, la notification se doit de contenir l'intégralité des mentions imposées par l'article 6-I-5 de la LCEN. Sur ce point, les juges font preuve d'une grande sévérité.

Les hypothèses de mise en oeuvre de la responsabilité des hébergeurs sont donc restreintes. Pourtant, quelques affaires récentes ont laissé entrevoir des cas où la responsabilité des hébergeurs pourrait être retenue (TGI de Paris, 20 février 2008, Flach Film c. Google France, Google Inc. ; TGI de Paris, 19 octobre 2007, susmentionné).

Dans ces affaires, la qualité d'hébergeur est confirmée et il est d'ailleurs clairement rappelé que "l'hébergeur n'est pas tenu d'une obligation de surveillance générale". Cependant, le Tribunal a complété son raisonnement et préciser que l'hébergeur était néanmoins "tenu d'une obligation de surveillance, en quelque sorte particulière, à partir du moment où il a connaissance du caractère illicite du contenu".

Dans la décision du 20 février dernier notamment, si l'hébergeur avait enlevé une première fois les contenus litigieux, il lui était néanmoins reproché de n'avoir pas mis en oeuvre les moyens nécessaires pour empêcher une nouvelle mise en ligne des contenus concernés. Serait-ce les contours d'une obligation de contrôle pour les hébergeurs des contenus mis en ligne ?

Malgré les arguments de ce FAI, l'avantage qu'il dégage en donnant accès à ce service Usenet est réel. Or, pour reprendre les termes d'une juridiction allemande (voir ci-dessus), ce service de Newsgroup est un service "particulièrement bien adapté à la distribution illicite de contenus protégés". Le projet de loi issu du rapport Olivennes fera-t-il évoluer les lignes de partage de responsabilités ?

Ce projet prévoit non seulement la création d'une Haute Autorité pour la protection des oeuvres sur Internet, mais surtout l'attribution à cette Autorité de larges prérogatives comme celle de pouvoir se faire communiquer, notamment par les hébergeurs, les données conservées et traitées telles que les adresses IP, les données d'identification des usagers, etc. Subsistera-t-il dès lors un moyen pour les exploitants de Newsgroup de s'abriter derrière des considérations techniques ou des dispositions légales qui semblent parfois inadaptées à la réalité technique ?

La décision du TGI n'est sans doute qu'une étape dans la jurisprudence. Si lutter contre la contrefaçon sur Internet est une évidence de principe, il ne saurait être soutenu indéfiniment que proposer des services de Newsgroup ne peut s'exercer sans un contrôle raisonnable et une responsabilité minimum même si les véritables contrefacteurs sont ceux qui partagent et téléchargent des contenus.